En France comme dans de nombreux pays en Europe et dans le monde, le peuple sahraoui bénéficie d’une solidarité active qui s’exprime sous diverses formes : projets de coopération ; accueil d’enfants sahraouis ; parrainage de prisonniers politiques sahraouis ; envoi d’avocats aux procès des militants sahraouis ; missions civiles d’observation ; interventions et délégations ; manifestations de soutien.
Mais ce travail militant pour la solidarité avec le peuple sahraoui n’a pas eu d’écho suffisant dans les médias et son impact a été trop faible sur les positions du gouvernement français qui constitue actuellement le principal obstacle à une solution au conflit.
DE GISCARD A SARKOZY
Quelques semaines après son entrée en fonction, Nicolas Sarkozy avait déclaré à des journalistes : « Il n’y a pas l’ombre d’une brouille avec le Maroc. Sur le fond, il n’y a pas de changement de la position de la France sur le Sahara ». Effectivement, « même s’il n’a pas été un familier du Royaume comme tant d’autres responsables français », d’après un journal marocain, Nicolas Sarkozy a suivi la voie tracée par son prédécesseur Jacques Chirac. Allié inconditionnel du royaume et de son souverain, « Chirac El Alaoui », surnom donné par le journal espagnol « El Pais », avait fait des relations entre la France et le Maroc une affaire de famille comme l’avait souligné le journaliste Jean-Pierre Tuquoi dans son livre « Majesté, je dois beaucoup à votre père… ».
De façon plus ou moins avouée, les gouvernements français successifs ont toujours soutenu le Maroc. Dans les déclarations publiques, ils affirmaient leur soutien au droit international et leur respect des résolutions des Nations Unies auxquelles la France ne manquait pas de souscrire comme membre permanent du Conseil de sécurité. Mais, en même temps, les autorités françaises agissaient en sous-main comme porte-parole des positions marocaines. Aux Nations Unies, le dossier du Sahara occidental a toujours été sous-traité par la diplomatie française. C’est elle qui a exigé, dès l’accord de cessez-le-feu en 1991, que la solution au conflit ne soit pas imposée aux deux parties mais soit « mutuellement acceptable ». Cette contrainte a laissé la possibilité au Maroc de bloquer toute solution politique qui ne lui plaisait pas. Et il ne s’en est pas privé !
Pendant sa présidence, Nicolas Sarkozy a voulu faire légitimer le fait accompli de l’occupation marocaine du Sahara occidental en essayant de mettre le projet marocain d’autonomie au cœur des négociations entre le Maroc et le Front Polisario qui ont démarré en juin 2007 sous l’égide des Nations Unies. Ces négociations n’ont toujours pas abouti car le Maroc a multiplié les manœuvres d’obstruction et refusé le référendum d’autodétermination avec le soutien du gouvernement français dont l’Ambassadeur au Maroc avait déclaré : » Pour nous, la proposition marocaine d’autonomie, sérieuse et crédible, est celle qui doit nous permettre d’aboutir à un règlement de cette affaire ». Avec leur projet d’autonomie, les autorités marocaines veulent s’arroger le droit de décider du sort du Sahara occidental en lieu et place du peuple sahraoui.
Le gouvernement français a laissé piller en toute impunité les ressources naturelles du Sahara occidental occupé. Il a accepté l’accord de pêche entre l’Union européenne et le Maroc bien qu’il inclue, en toute illégalité, les eaux territoriales sahraouies. C’est en résistant aux pressions des gouvernements français et espagnol que le Parlement européen a rejeté en décembre 2011 la prolongation de cet accord. Bien qu’il se fût engagé comme candidat à « promouvoir les libertés et les droits de l’homme sur la scène internationale », Nicolas Sarkozy a gardé une vision très sélective des droits de l’Homme. La France était si peu soucieuse de défendre les droits de l’Homme au Sahara occidental que, depuis le déclenchement du soulèvement populaire de mai 2005 et même après le démantèlement du camp de Gdeim Izik le 8 novembre 2010, elle a empêché l’extension du mandat de la mission des Nations Unies (Minurso) à la surveillance des droits de l’Homme au Sahara occidental. Quelles sont les raisons du soutien inconditionnel des gouvernements français successifs ? De nombreux arguments ont été avancés : empêcher la fragilisation de la monarchie marocaine ; faire barrage à l’influence de l’Algérie dans la région ; maintenir le Maroc dans l’orbite de la France pour contrer l’influence grandissante des Etats-Unis en Afrique … Comme ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy était soucieux de défendre les intérêts commerciaux et financiers des firmes installées au Maroc ou exportatrices. Effectivement, la France est le premier partenaire commercial du Maroc, le premier créancier public et le premier investisseur étranger (industrie, banques, immobilier, tourisme). Une grande partie de l’économie marocaine est sous le contrôle de capitaux français, notamment dans l’hôtellerie, l’automobile (avec l’implantation d’une usine de montage à Tanger), les télécommunications, sans oublier les ventes d’armes.
D’autres pays comparables, comme par exemple la Tunisie de Ben Ali, ont eu ce même type de relations commerciales avec la France. Mais, avec le Maroc, il y a un plus, comme l’a souligné Jean-Pierre Tuquoi : « La défense des intérêts industriels français n’implique pas forcément le traitement de faveur dont bénéficie le Maroc. Ce dernier doit beaucoup aux compromissions individuelles (…) Le Maroc est le pays où les ministres français se rendent le plus fréquemment (…), le royaume est un lieu de pèlerinage obligé pour les membres du gouvernement français quelle que soit la couleur politique ». Les relations entre la France et le Maroc sont plus qu’une affaire de famille mais il faut reconnaître que ce sont des relations vraiment « singulières ».
LE CHANGEMENT, CE N’EST PAS ENCORE MAINTENANT
Après une campagne électorale qui a fait l’impasse sur les enjeux internationaux, François Hollande a été élu Président de la République en mettant en avant le slogan « Le changement, c’est maintenant ». Dans son discours d’investiture, il a déclaré : » La France respectera tous les peuples, elle sera partout fidèle à la vocation qui est la sienne, défendre la liberté des peuples, l’honneur des opprimés ». Le peuple sahraoui, opprimé et colonisé, qui défend sa liberté et sa dignité, attend donc un changement de la politique française concernant la question sahraouie. Au vu de la campagne électorale et des positions du Parti socialiste, dont François Hollande a été longtemps premier secrétaire, on est en droit de s’interroger sur la volonté du nouveau président.
Changera-t-il de cap ou continuera-t-il la même politique que ses prédécesseurs ? La diversité des points de vue au sein du Parti socialiste laisse la porte ouverte aux deux possibilités. L’Internationale socialiste (dont le Front Polisario est membre observateur depuis juin 2008) réaffirme régulièrement « son soutien au droit à l’autodétermination du peuple sahraoui ». Fidèle à cette position, Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale (avant de devenir Premier Ministre), écrivait le 8 juin 2010 à une association de soutien à la cause sahraouie : » Le PS soutient les efforts accomplis par le secrétaire général de l’ONU pour organiser un référendum d’autodétermination (…) Ce différend international concerne l’expression du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ».
Malheureusement, on entend trop souvent un autre son de cloche chez d’autres responsables socialistes et pas des moindres. Au cours de sa visite au Maroc en mars 2012, la première secrétaire du PS, Martine Aubry, a déclaré à la télévision marocaine : « Nous avons toujours appuyé l’initiative marocaine d’autonomie et nous continuerons à le faire si on est au pouvoir .Le Conseil de sécurité devrait travailler sur cette proposition pour résoudre la question du Sahara ».
Conduisant en avril 2012 une délégation de parlementaires européens dans les territoires occupés, le député socialisteGilles Pargneaux a déclaré à l’agence de presse marocaine Map : »Notre visite est l’occasion pour réaffirmer un avis favorable concernant le statut d’autonomie du Sahara ». Le site slateafrique a publié le 10 février 2012 un article d’Ali Amar sous le titre « Comment le Maroc courtise François Hollande » (Ali Amar est l’auteur avec Jean-Pierre Tuquoi du livre »Paris Marrakech : luxe, pouvoirs et réseaux » ). On y apprend que Manuel Valls, directeur de communication du candidat socialiste avant d’être nommé ministre de l’Intérieur, a été décoré par le roi Mohamed VI du Wissam Alaouite, la légion d’honneur marocaine, « une médaille qui vaut caution pour celui qui la porte à son revers ».
Avec Pierre Moscovici et Najat Vallaud-Belkacem (qui a été longtemps membre du Conseil des Marocains de l’étranger), Manuel Valls défend les thèses marocaines auprès de François Hollande. Ils ont sans doute servi de relais au roi du Maroc qui a réussi à être reçu par François Hollande le 24 mai à l’Elysée. Le clan pro marocain a gagné une première manche puisque le porte-parole du ministre des affaires étrangères a réaffirmé le 18 mai : « La France réitère son appui au plan d’autonomie marocain, qui est la seule proposition réaliste sur la table des négociations et qui constitue la base sérieuse et crédible d’un solution dans le cadre des Nations Unies ». C’est au mot près la déclaration du porte-parole de l’ancien ministre des Affaires étrangères en date du 25 avril…
Renseignements pris, le porte-parole est le même sous Juppé et sous Fabius !
LE CHANGEMENT PASSERA PAR LA MOBILISATION
Comme on le voit, les résistances à un changement de politique vis-à-vis du Maroc sont très fortes dans l’équipe de François Hollande. Il est donc nécessaire de poursuivre et renforcer la mobilisation auprès du gouvernement et des élus à tous les niveaux. Avec l’objectif d’obtenir du gouvernement français un engagement ferme pour l’application du droit international avec un référendum d’autodétermination du peuple sahraoui, pour la libération des prisonniers politiques sahraouis et la défense des droits de l’Homme au Sahara occidental qui doit être incluse dans le mandat de la Mission des Nations Unies au Sahara occidental.
Les résultats obtenus au Parlement européen avec le rejet en décembre 2011 de la prolongation de l’accord de pêche UE-Maroc et le soutien à l’autodétermination du peuple sahraoui réaffirmé le 18 avril 2012 constituent un encouragement et un point d’appui pour de nouvelles campagnes d’information et de sensibilisation et des actions (délégations, rassemblements…) pour infléchir la position du gouvernement français et briser le silence des principaux médias qui font preuve de bienveillance, pour ne pas dire de complaisance, à l’égard du Maroc.
Tenant compte de ses liens politiques et commerciaux privilégiés avec le Maroc, la France peut exercer des pressions sur le Maroc pour qu’il respecte ses engagements et accepte le référendum d’autodétermination. Si le gouvernement français continue à empêcher l’application du droit international, il portera la responsabilité de l’utilisation d’autres moyens d’action par le peuple sahraoui comme la reprise de la lutte armée. Le gouvernement français doit s’engager et s’impliquer plus activement dans les instances internationales pour la mise en œuvre du référendum d’autodétermination permettant enfin au peuple sahraoui de décider librement et démocratiquement de son avenir.
Jean Paul Le Marec
juin 2012
Source : Rouge Midi, 29/06/2012
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