« Douar Chlihates » ! Le nom claque comme une insulte, tant il charrie de mépris.
« Le douar des petites chleuhs », comme on cracherait son venin.
Sombre attitude héritée du colonialisme, lorsque celui-ci préméditait la détestation et semait la haine et la discorde histoire de dresser les uns contres les autres, les habitants de ce pays.
Il n’y a qu’au Maroc que les autorités locales ont à ce point banalisé le lazzi et le dédain qu’elles nourrissent à l’endroit du petit peuple, qu’elles en ont baptisé un village entier et ses habitants dans la foulée.
Pire que le sketch de Fellag, il y a le cas marocain.
Un ancien officier de l’Etat-civil, aujourd’hui à la retraite, me confessait le plus tranquillement du monde que les fonctionnaires de l’administration coloniale qui l’avaient formé, s’inspiraient le plus souvent du physique, de l’accoutrement, du phrasé ou encore de l’attitude de leur vis-à-vis, pour lui attribuer un nom de famille. Les mêmes pratiques se sont perpétuées après l’indépendance.
Le chef de famille souvent analphabète qui venait d’empocher le précieux livret, ne se doutait pas un instant que le fonctionnaire qui en pouffait encore de rires, l’avait affublé, pour des générations d’un patronyme infâmant. Ainsi naquirent les « Draouis » (Nègres), les « Bouderbala » (l’homme aux haillons), les « Boukaa » (Gros cul), les « Bounif » (Gros nez), les « Boueden » (Grandes oreilles)……………………..
Nombre de ces marocains-là appartiennent pourtant à de prestigieuses tribus qui n’ont pas démérité de la patrie. Le sobriquet « Chlihates » procède de ces ignominies là, tout comme l’interdiction qui est faite, aujourd’hui, aux marocains de choisir librement un prénom pour leur descendance.
Le Maroc d’aujourd’hui ressemble donc bien étrangement à celui qu’occupaient naguère, les puissances coloniales et la parabole des « Chlihates » se nourrit assurément de tous les ingrédients du colonialisme: une population misérable et complètement démunie, un pouvoir central arrogant, omnipotent, magouilleur et confiscatoire, des investisseurs s’adjugeant, d’un seul tenant, à vil prix et dans des conditions qui restent à éclaircir, quelques milliers d’hectares, avec en prime, le soutien inconditionnel de l’administration. Saupoudrez le tout de chômage des autochtones, de désoeuvrement et d’injustices et vous aurez le scénario idéal pour la jacquerie que l’on sait.
Autiste aux revendications des paysans, l’administration n’a su, comme de coutume, apporter, pour seule et unique réponse, que violences, mises à sac et arrestations. En outre, dans leur insondable stupidité, les « facilitateurs » marocains, (appelons les ainsi) obnubilés par leur voracité et l’appât du gain, ont tout bonnement oublié d’intégrer un postulat d’une simplicité enfantine : la location de milliers d’hectares aux espagnols dans une région qui faisait partie intégrante du protectorat de Madrid, constitue en soi, une lamentable faute de goût et une malheureuse provocation. Les deux ne sont, sans doute, pas étrangères à la haine que les habitants du douar vouent désormais à ceux qu’ils qualifient d’occupants.
– « Le colon n’a désormais plus besoin de faire appel à ses légionnaires, puisque c’est le colonisé lui-même qui garnit les rangs de la répression et fournit les armes qui servent à le battre ! » gronde un jeune qui dissimule les traits de son visage sous un keffieh.
L’affaire des « Chlihates » est à elle seule un condensé de l’histoire du Maroc. Hassan II avait conduit la politique des barrages, des terres récupérées et de la marocanisation pour se constituer un matelas, une dot qui le rendrait attrayant aux yeux de ses courtisans. Il ignorait que viendrait Mohamed VI et ses comparses. Le premier puise abondamment et sans vergogne, dans le matelas foncier confisqué par son géniteur. Les seconds battent la campagne à la recherche de “pigeons” à plumer. Ils sillonnent l’Europe et ne manquent jamais une occasion de draguer les uns et aguicher les autres avec les miettes que le roi a oubliées ou négligées. Les milliers d’hectares loués aux ibères du côté de Larache font partie de ces miettes-là.
J. un proche de Mohamed VI promet par exemple, à tout investisseur, l’attribution de terrains de l’Etat à des prix « préférentiels », l’appui inconditionnel de l’administration et des hommes politiques, l’inauguration du projet par le roi, l’obtention rapide des autorisations de construire, des protections spéciales et des passe-droits. En échange, notre ami prélève sa dîme sous forme de cash, avant même le lancement du projet en question.
C’est sans doute dans cette façon de procéder que se trouve l’explication de l’arrogance des espagnols de « Ribera del arroz », l’indifférence des autorités aux souffrances des villageois et la violence de la répression policière.
Elayoubi, 01/07/2012
Be the first to comment