par Abdelkader Abderrahmane *
Le 22 mars dernier, l’armée malienne déposait à travers un coup d’Etat l’ancien président Amadou Toumani Touré (ATT). Selon la junte militaire, ce coup était motivé par la rébellion du MNLA (Mouvement National pour la Libération de l’Azawad) qui appelait à l’autonomie du nord du Mali.
Depuis, un nouveau gouvernement civil intérimaire a été mis en place mais il demeure cependant difficile de savoir qui gouverne vraiment le Mali. En attendant, la situation à travers le pays s’est détériorée et AQMI et Ansar dine ont renforcé leur présence dans la partie nord du Mali. Par ailleurs, selon certains rapports d’Intelligence, un lien de plus en plus étroit se tisse entre AQMI et le groupe terroriste nigérian de Boko Haram, ce qui ne ferait qu’aggraver la situation déjà alarmante. En outre, le MNLA qui était favorable à une solution à travers des discussions sereines avec Bamako est de plus en plus pris entre le marteau et l’enclume d’Ansar Dine et d’AQMI et aucune solution politique ne semble apparaitre dans l’immédiat. Dans l’intervalle, la situation humanitaire ne fait que s’aggraver alors que l’UNESCO à souligné son inquiétude au sujet du futur de la ville de Tombouctou, classé patrimoine mondial et dont plusieurs mausolées ont été détruits par les hommes d’Ansar Dine et d’AQMI. Enfin, dans ce conflit malien, un nombre de voix s’interrogent sur la position de l’Algérie, état pivot de la région, qui insiste sur une approche de non-intervention militaire, privilégiant l’option du dialogue afin de trouver une solution et mettre un terme à ce conflit.
En étudiant cette crise malienne, il est cependant nécessaire d’élargir le champ d’analyse et de prendre une approche globale et holistique afin d’avoir une meilleure compréhension des enjeux au sein du Sahel. En effet, certaines pièces du puzzle sahélien restent encore à assembler et une analyse binaire n’incluant que Bamako et Alger comme les seuls et premiers protagonistes risque de ne pas présenter une image complète nécessaire à la compréhension des ramifications de cette crise malienne.
En effet, le Sahel a été historiquement le théâtre de multiples flux religieux, démographique, militaires et financiers. Ceux-ci ont résulté en une insécurité générale et confrontations géopolitique et stratégique entre différent protagonistes externes. Plusieurs des états du Sahel ont non seulement été colonisés par la France mais leur politique est encore hautement influencée, sinon contrôlée, par le Quai D’Orsay. De plus, certains de ces pays sont riches en ressources naturelles et minéraux tel que l’uranium et l’or. Le Niger est par exemple, le deuxième producteur d’uranium mondial et le Mali est le troisième producteur d’or en Afrique. A ce sujet, en exploitant deux mines et une troisième à partir de 2013, le géant français AREVA, détient le quasi monopole d’uranium au Niger. Pareillement, le groupe pétrolier français TOTAL s’apprête à forer deux puits de pétrole au Mali.
De plus, des zones d’ombres subsistent au sujet de l’obscur et énigmatique groupe terroriste du MUJAO. Basé au Sahel, il a fait la une des journaux en s’attaquant à l’Algérie à quatre différentes occasions au cours de ces derniers mois. En effet, le MUJAO à kidnappé trois humanitaires dans les camps de refugiés sahrawis de Tindouf ; il a ensuite attaqué un baraquement de gendarmerie à Tamanrasset; kidnappé en avril, sept diplomates algériens, dont le vice-consul, dans la ville malienne de Gao et la semaine dernière a attaqué un autre baraquement de gendarmerie à Ouargla. Cependant, selon les services français secrets de la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure) ainsi que la DRM (Direction du Renseignement Militaire), le Qatar aurait financé ces derniers mois AQMI, MUJAO et Ansar Dine. De plus, selon des sources maliennes concordantes, des membres du Croissant Rouge qatari escortés par le MUJAO, ont récemment été aperçu dans le nord du Mali.
Il est important ici de rappeler que Al Qaddafi était une réelle épine pour Paris vis à vis de ses anciennes colonies africaines. En versant ses pétrodollars au sein de la CEN-SAD créée par lui-même en 19981 , l’ancien leader libyen avait essayé de diminuer l’influence de Paris sur ces états. Cependant, suite à la chute de Al Qaddafi, la CEN-SAD se retrouve aujourd’hui sans support ni financement. Depuis, Tripoli est aussi devenu un allié de Paris qui peut poursuivre sa politique au Sahel -sa chasse gardée pour ses entreprises- avec l’assistance active du Maroc et du Qatar. En effet, Rabat essaie depuis plusieurs mois maintenant de prendre la direction de la CEN-SAD. Le mois dernier, une réunion des ministres des affaires étrangères de ce groupe des états sahéliens eut lieu à Rabat. Ce fût l’occasion pour le Maroc de réitérer son ambition de piloter la CEN-SAD qui pourrait éventuellement lui procurer un plus grand support dans son ambition de prendre le leadership de l’Afrique du nord. Last but not least, depuis l’élection de François Hollande, il semblerait qu’un rapprochement rapide entre Paris et Nouakchott ait été engagé.
Avec le Maroc -allié par excellence de la France dans la région- à la tête de la CEN-SAD, Paris aurait encore plus d’influence sur le groupe sahélien. Cette stratégie pourrait par ailleurs être facilitée grâce à la participation financière du Qatar, et peut être même des états du Golfe. En retour de cette aide financière, Doha, qui rêve d’une aura diplomatique sur la scène internationale, peut espérer de Paris un fort lobbying en sa faveur au sein des chancelleries européennes et d’ailleurs. Il est important de rappeler ici que le Qatar entretient des liens étroits avec la France et que cet état du Golfe est aussi actionnaire à hauteur de 5% de la compagnie pétrolière française TOTAL et à hauteur de 12.80% du joyau français qui se spécialise dans l’aéronautique civil et militaire, EADS2 . Le Qatar est aussi le propriétaire du club de football français du PSG (Paris Saint-Germain), du club de handball de cette même ville et à aussi investi ses dernières années, dans un très grand nombre de projets immobiliers et hôtels de luxes en France. Doha a aussi des parts dans différents groupes français tels que LVMH, Vinci, Veolia Environnement et Vivendi. Une succursale du musée du Louvre existe aussi à Doha ainsi qu’une école de la très prestigieuse HEC (École des Hautes Études Commerciales). Il y a même un projet de reproduire le quartier historique du Vieux Lyon en plein désert qatari.
En outre, en augmentant sa présence dans la région, le Qatar qui est gouverné par des musulmans sunnites, pourrait contrecarrer l’influence grandissante de l’Iran en Afrique. En effet, ce dernier s’est depuis plusieurs années embarqué dans une politique subtile afin de non seulement tisser des liens commerciaux avec les états de l’Afrique de l’ouest tel que le Sénégal mais a aussi l’ambition d’encourager l’islam shiite en Afrique. Il est ici important de rappeler qu’il y a une importante communauté libanaise en Afrique de l’ouest qui pourrait servir de relais et prêcher la parole de Téhéran.
Une telle stratégie iranienne est donc un danger pour les pays du Golfe où une minorité shiite vit -et même une majorité dans le cas du Bahreïn- qui pourrait un jour se retourner contrer leurs dirigeants sunnites. De plus, l’Iran, ennemi des Occidentaux par excellence, est aussi intéressé par l’uranium présent en Afrique qui lui permettrait de poursuivre son supposé programme nucléaire. En sus des inquiétudes des états du Golfe, une présence shiite en Afrique serait donc un réel challenge stratégique, politique et économique pour les intérêts de pays tels que la France et les Etats-Unis.
Aussi, ce qui pourrait se tramer aujourd’hui est la création d’un axe politico-économique et stratégique à travers le Sahel incluant le Qatar, le Maroc, la France et les Etats-Unis. Le Maroc a déjà ouvert en 2011 sa base militaire de Guelmim aux forces militaires américaines. Ces dernières sont à ajouter à leur présence massive en Afrique sub-saharienne ainsi qu’aux troupes françaises, et plus précisément au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Gabon et à Djibouti. Avec une telle stratégie, ce trio serait en mesure de renforcer leur position dans cet océan sahélien3 .
En analysant de plus près une carte de l’Afrique et de la région de la CEN-SAD, il est possible d’avoir une perspective différente de ce qui se trame au Mali mais aussi à travers cette vaste région du Sahel qui s’étend de l’Océan Atlantique aux côtes somaliennes et la Mer Rouge. Mais ce qui est extrêmement important, c’est qu’une analyse claire nécessite d’avoir une vision de long terme tenant compte de l’histoire complexe de la région.
C’est le père Foucauld, qui était plus qu’un homme d’église, qui dès 1910 avait compris et informé le gouvernement français de la localisation géostratégique du Sahel et conseilla les militaires de son pays d’opposer les Touaregs [blancs] plus assimilables aux valeurs et à la civilisation occidentales aux noirs [de Bamako] afin de permettre à la France de contrôler le Sahel. Cette région a depuis des décennies indéniablement été le champ de batailles de différents acteurs régionaux et internationaux qui sans forcément avoir des intérêts communs ont néanmoins une stratégie convergente. Le Sahel, qui est au carrefour de tous les dangers, demeurera donc et pour longtemps encore une zone géographique sensible où une grande part du futur du monde pourrait être décidée.
En attendant, les militaires et les civils à Bamako doivent urgemment mettre un terme à leur querelle intestine afin de trouver une solution durable à la crise qui perdure au nord du pays, au risque de créer très bientôt, un maliland. Et penser qu’Alger détient seul la clé de la solution est sûrement erroné car la crise du Sahel est un nœud où trop de protagonistes sont partis prenantes.
Cela dit, la crise au Mali et plus généralement au Sahel, se dirige dramatiquement vers une lutte de pouvoir stratégico- économique et religieux international dans lequel les populations autochtones seront les premières victimes.
* Chercheur au sein de la division des conflis et Analyses des Risques’, (CPRA) Institut d’études de sécurité (ISS)
Note :
1 La CEN-SAD est composé de 28 états membres, nommément le Bénin, le Burkina Faso, l’Afrique Centrale, le Tchad, les Comores, la Côte d’Ivoire, Djibouti, l’Egypte, l’Eritrée, la Gambie, le Ghana, la Guinée, Guinée-Bissau, le Kenya, la Libye, le Libéria, le Mali, la Mauritanie, le Maroc, le Niger, le Nigéria, Sao Tomé et Principe, le Sénégal, la Sierra Léone, la Somalie, le Soudan, le Togo et la Tunisie. Par ailleurs, plus de la moitié de ces pays sont francophones.
2 Il est de notoriété publique que le Qatar souhaite aussi devenir actionnaire d’Areva, afin de sécuriser sa provision d’uranium. L’Emirat à cependant jusqu’à présent essuyé un refus catégorique de la part des autorités françaises.
3 L’expression est de Mehdi Taje.
Le Quotidien d’Oran, 04/07/2012
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