Le Maroc est en train de mobiliser tout son potentiel pour parvenir à une exploitation à grande échelle des réserves en hydrocarbures sur le bassin de Zag, situé sur les territoires du Sahara occidental et non loin des frontières avec l’Algérie.
Dans le prolongement de ce bassin, les opérations de recherche et d’exploration sont très timides et Sonatrach tarde à exploiter un gisement estimé à 800 milliards de mètres cubes, découvert en association avec des sociétés étrangères. Une expertise élaborée en ce sens s’est révélée accablante sur les provocations marocaines par rapport à l’exploitation des richesses des territoires sahraouis, au mépris du droit international. De même qu’elle évoque la passivité de Sonatrach et de sa tutelle face à cette exploitation du bassin de Zag, en l’absence de stratégie pour contrecarrer l’hégémonie marocaine.
La légalité contournée
Lors de l’invasion du Sahara occidental en 1975, la «marche verte» marocaine avait pour objectif l’exploitation de l’énorme potentiel minier dont dispose ce pays. Pendant plus de trois décennies, le Maroc a encaissé des dizaines de milliards de dollars, résultant de l’exploitation des phosphates situés sur les territoires occupés du Sahara occidental. Mais depuis quelques années, l’appétit devient grandissant avec la découverte de pétrole et de gaz sur les territoires sahraouis. Le bassin de Zag, partagé entre les trois pays (Algérie, Maroc et Sahara occidental), fait l’objet d’un intérêt particulier de Rabat et des compagnies pétrolières qu’il a attirées pour cette opération. Avec les phénomènes de migration des richesses souterraines, le Maroc entend ainsi exploiter une bonne partie du bassin situé sur les deux côtés de la frontière.
Par ailleurs, l’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM) continue de proposer des licences pour l’exploitation des hydrocarbures sur les territoires occupés du Sahara occidental et mène une vaste campagne de relevés sismiques 3D. Afin de réussir cette opération, le Maroc a eu recours à de petites sociétés peu connues à l’international. Car les grandes sociétés pétrolières refusent de s’aventurer sur les terrains marécageux du Sahara occidental et préfèrent ne pas s’exposer à d’éventuelles sanctions de la part de la communauté internationale. C’est la raison pour laquelle les autorités du royaume chérifien ont opté, dans la plus grande discrétion, pour la société australienne Longreach Oil and Gas pour l’exploitation du site de Zag. Cette société exploite également un site offshore baptisé Tarfaya, situé toujours sur les territoires sahraouis. Le site de Tarfaya est convoité également par une autre société australienne, Tangiers Petroleum, qui a récemment prouvé, grâce aux relevés sismiques 3D, que les côtes maritimes de ce territoire recèlent des richesses énormes en hydrocarbures.
Et comme le gouvernement marocain ne s’investit jamais dans les dépenses pour l’exploration, Tangiers Petrolium a demandé son admission à l’Alternative Investment Market du London Stock Exchange afin de lever les capitaux nécessaires au développement de ses projets au Maroc. Du coup, le gouvernement de Rabat engage indirectement les investisseurs britanniques dans l’aventure sahraouie et obtient par conséquent leur soutien indéfectible lors des batailles politiques. Il faut retenir le fait que jusqu’à ce jour, le gouvernement marocain n’a fait aucune déclaration officielle sur ces découvertes et entend maintenir ce cap jusqu’à la concrétisation de contrats avec des sociétés influentes sur les gouvernements des grandes puissances à l’image d’Anadarko (USA), BP (Grande-Bretagne), Total (France) et ENI (Italie). Ces sociétés ne veulent, pour l’heure, en aucun cas frustrer Alger pour s’engager dans une aventure pareille. D’ailleurs, la société allemande Siemens, partenaire stratégique de l’Algérie, a été sérieusement ébranlée à la suite de son implication, pour le compte de Rabat, dans un projet d’éoliennes sur les territoires occupés du Sahara occidental. Mais, au-delà de cette expérience, le Maroc ne désespère pas de voir les grandes compagnies débarquer sur ces champs pétroliers, à l’image de Genel Energy, la société de l’ancien patron de BP, Tony Hayward, qui vient d’acquérir une part majoritaire (60%) du bloc offshore de Sidi Moussa. L’ex-président de British Petrolium a engagé la somme de 1,3 million de dollars pour concrétiser cette transaction, avec en sus l’engagement de 50 millions de dollars pour couvrir les frais des forages.
Jeu de flambeurs
Au Maroc, la question de l’énergie ne relève pas seulement de l’ONHYM, mais de la stratégie d’Etat. De la propagande gouvernementale à la spéculation boursière, tout est orienté vers la mobilisation de toutes les ressources pour attirer les grands investisseurs et aboutir à une exploitation optimale des hydrocarbures, aussi bien sur le sol marocain que sur les territoires occupés. Au début de l’année, les autorités marocaines avaient forcé en quelque sorte le cabinet international d’intelligence économique Oxford Business Group à confirmer, à travers la publication d’un rapport, l’intérêt croissant des grandes compagnies pétrolières pour le potentiel pétrolier marocain. La propagande est allée plus loin lorsque la société australienne Pura Vida Energy a déclaré avoir revu à la hausse ses évaluations des réserves de Mazagan. Le champ offshore Mazagan, situé au large des côtes marocaines, censé produire 3,2 milliards de barils au départ, a vu son potentiel augmenter à 7 milliards à la suite des études annoncées par Pura Vida. Le gouvernement marocain ira jusqu’à faire des concessions inimaginables à travers la délivrance de ce permis à Pura Energy au premier trimestre 2012, en partage de production. 75% de la production reviendra à la compagnie alors que l’Etat marocain devra se contenter de 25% seulement.
Une stratégie offensive
L’attachement du Maroc aux ressources énergétiques a dépassé le seuil d’une politique de bon voisinage, allant jusqu’à créer des tensions avec des pays voisins, comme l’Espagne, et empêcher l’exploitation de sites susceptibles d’avoir des prolongements en direction des territoires marocains. A ce titre, la société espagnole Repsol a été confrontée, au début de l’année en cours, à une multitude d’attaques marocaines lors de la mise en œuvre du projet offshore aux îles Canaries. Le Maroc a mobilisé non seulement une bonne partie des habitants des îles Canaries, mais également la puissante et influente organisation Green Peace. Rabat voulait faire savoir à Madrid que la zone délimitée pour ces recherches empiète sur le territoire marocain et rappeler que les frontières maritimes hispano-marocaines n’ont toujours pas été définitivement fixées. Leur tracé est encore à l’étude au niveau d’une commission de l’ONU. Le lieutenant général César Muro Benayas, chef du Commandement militaire des îles Canaries, est alors sorti de son mutisme pour suggérer que les Forces armées de son pays se préparent à gérer un regain de tensions entre l’Espagne et le Maroc suite à la découverte de gisements de pétrole et de gaz au large du Sahara occidental. Pendant plus d’une décennie, Repsol et le gouvernement espagnol ont été empêchés par Rabat d’aboutir à l’exploitation des richesses pétrolières offshore des îles Canaries.
La faillite de Chakib Khelil
Alors que l’agitation marocaine commence à porter ses fruits et jeter les bases d’une industrie pétrolière dans le bassin de Zag, Sonatrach est pratiquement absente sur la rive algérienne du bassin. Pourtant, les réserves prouvées sur le bassin de Reggane-Nord (800 milliards de mètres cubes) prouvent que le sous-sol de la région est très riche. Mais Chakib Khelil considérait toujours que cette région ne constituait pas une priorité pour l’Algérie. Du reste, après la maturation du gisement Reggane-Nord, le projet du gazoduc GR5 (Reggane-Hassi R’mel) a été sciemment retardé et, par conséquent, sa mise en service ne sera pas possible avant 2015. Et même si Sonatrach devait rattraper le retard accusé sur les explorations dans la région de Tindouf, il faudra attendre encore une dizaine d’années avant d’exploiter les premiers puits. Pendant ce temps, les Marocains auront déjà aspiré une bonne partie de nos réserves. De même, le potentiel géologique des gisements de Mecheri Abdelaziz et de Gara Djebilet (Tindouf) avec ses 3,5 milliards de tonnes à 57% fer est resté à l’abandon, alors qu’en termes de richesse, il représente 4 fois Hassi Messaoud. Au lieu de lancer une industrie minière sur place, Chakib Khelil avait lancé des appels à manifestation d’intérêt pour l’exploitation de ces gisements et suggéré le transport des minerais sur une distance de 1 500 km. Pendant des années, aucun investisseur n’a répondu favorablement à l’appel, car considéré comme irréalisable.
Mokhtar Benzaki
Le Soir d’Algérie, 17 oct 2012
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