Par Ali El-Gazi
Ali El Gazi, ancien commissaire à la DGST, revient sur l’existence du centre de détention de Témara. un lieu dont la classe politique nie bien volontiers l’existence malgré l’insistance des ONG internationales.
Monsieur,
En tant que citoyen marocain et en ma qualité d’ancien commissaire de police ayant servi dans les rangs de la DGST pendant plus de 19 ans et compte tenu de vent de changement qui a soufflé sur le Maroc, je me fais un devoir de briser le silence ou plutôt mon silence autour de la question des violations des droits de l’homme au Maroc et du centre de détention secret de Témara, véritable symbole des atteintes aux droits et à la dignité de l’homme.
Les événements qu’a connus le Maroc au cours de l’année 2011 à savoir l’organisation du référendum (1er juillet 2011) et la tenue d’élections législatives (25 novembre 2011) ont suscité en moi beaucoup d’espoirs auxquels j’ai cru naïvement. Mais le silence complice de plus d’un responsable qui entoure cette prison secrète et les sévices qui y ont été perpétrés a brisé tous mes espoirs d’un lendemain qui chante en matière des droits de l’homme.
Les autorités marocaines ont beau nier l’existence de ce tristement célèbre centre, la première fois c’était en 2004, l’année où le procureur général du Roi auprès de la Cour d’appel de Rabat a effectué une visite d’inspection au siège de la DGST et à l’issue de laquelle il a affirmé n’avoir constaté l’existence d’aucun local pouvant servir d’un lieu de détention secret. Après une deuxième visite effectuée sous la pression de la rue le 18 mai 2011, le procureur général du Roi a réaffirmé les mêmes conclusions à savoir que les locaux de ce siège n’abritaient aucun lieu de détention. Cette visite a été suivie par celle du Président et du Secrétaire général du CNDH et de celle des parlementaires, dont Lahcen Daoudi, qui ont tour à tour fait le même constat. Un constat d’autant plus surprenant qu’il émane, entre autres, d’anciens détenus politiques et défenseurs des droits de l’homme qui ont eux‑mêmes subi, au cours des années de plomb, les affres de la détention et de la torture. Le 2 novembre 2011, une délégation marocaine s’est fait l’écho, devant les experts du Comité contre la torture réunis à Genève, des résultats de ces visites et a tenté en vain de nier l’existence de ce centre de détention. Et depuis lors le Maroc n’a eu de cesse d’en nier l’existence chaque fois que l’occasion se présentait.
Par ces dates, j’avoue que je ne vous apporte rien du nouveau puisqu’il s’agit là d’un secret de Polichinelle, sauf qu’en ma qualité d’ancien commissaire de police à la DGST, je déclare en mon âme et conscience que ce centre a bel et bien existé.
Dire que ce centre n’a jamais existé ou qu’il s’agit d’une légende qui n’a que trop duré comme l’a déclaré l’ancien ministre de la Communication et porte‑parole du gouvernement Al Fassi, M. Khalid Naciri dans un entretien à RFI relève de la distorsion de la réalité et de la désinformation. Ce haut lieu de torture a été, par excellence, un lieu de torture et de violation des droits de la personne les plus élémentaires où les détenus ont enduré les traitements et les sévices les plus dégradants.
Pire encore, ce centre a servi de lieu de détention où la DST a pratiqué la torture sur des détenus étrangers pour le compte d’autres pays. Là encore, je ne vous apporte rien de nouveau, M. Mustapha Ramid, pour ne citer que celui‑là, alors député du PJD n’a‑t‑il pas un jour déclaré urbi et orbi que dans ce centre on pratiquait la torture « par procuration » au profit d’autres pays? Ce même député n’a‑t‑il pas annoncé avoir rassemblé de nombreux témoignages de citoyens qui auraient été victimes d’actes de torture dans ce centre de détention? Des actes abominables pratiqués dans ce centre et dans d’autres endroits au Maroc que je dénonce et auxquels j’ai toujours refusé de participer. Mon refus d’y participer n’a pas été sans me valoir de gros ennuis qui m’ont contraint à signer mon départ « in » volontaire en 2005 et à quitter mon pays.
N’est‑il pas donc grand temps, Monsieur le Chef du gouvernement, que M. Mustapha Ramid, aujourd’hui ministre de la Justice et des Libertés ordonne l’organisation d’une visite en bonne et due forme à ce siège en présence d’anciens pensionnaires de ce centre de détention, de leurs avocats et d’experts internationaux pour recueillir tout indice susceptible de révéler l’existence de cette prison? N’est‑il pas urgent qu’il ordonne l’ouverture d’une enquête sur les violations des droits de la personne et sur la torture pratiquée systématiquement dans ce centre de détention et ailleurs?
Les auteurs de ces violations tiennent toujours les commandes et ils ont même bénéficié de plusieurs promotions. Faut‑il donc attendre des années ou des décennies pour que leur responsabilité soit établie, qu’il soit mis fin à l’impunité dont ils bénéficient, que la justice soit faite et que l’existence de ce centre de détention soit reconnue?
On a beau nier, des années durant, l’existence de Tazmamart, d’Agdz et de Kelaat Magouna pour ne citer que ceux‑là, mais on a fini par reconnaître leur existence. Qu’on le veuille ou non, le centre de détention de Témara subira tôt ou tard, le même sort que ceux‑là, car tout finira, un jour, par se savoir.
Sachez, Monsieur le Chef du gouvernement, que nier l’existence de ce centre de sinistre mémoire revient à nier les cruels sévices infligés à ses anciens pensionnaires dont les aveux, qui leur ont été extorqués, ont souvent été utilisés, devant les tribunaux, comme preuves pour leur condamnation. Sachez aussi que nier cette existence est une injustice flagrante à leur égard, puisque, ce faisant, vous leur déniez un droit élémentaire à savoir celui d’être rétablis dans leurs droits et de poursuivre en justice les responsables des violences qu’ils ont subies.
Je ne doute nullement de votre volonté ni de vos bonnes intentions, mais la seule volonté et toutes les bonnes intentions du monde ne suffisent pas. Seule une bonne dose de courage moral et politique, une qualité, je n’en doute pas, dont vous ne manquez pas, vous permettra de veiller à une bonne gouvernance sécuritaire. Et la bonne gouvernance, un principe qui vous est très cher, passe par une gestion transparente du dossier des violations des droits de l’homme.
Certes, vous avez hérité de plusieurs dossiers et leur traitement ne se réalise pas d’un coup de baguette magique, je vous le concède, mais ma plus grande crainte est de vous voir traiter le dossier des droits de l’homme avec votre fameuse formule سلف عما الله اعف (faire table rase du passé) ou de le mettre aux oubliettes.
Enfin, permettez‑moi, Monsieur le Chef du gouvernement, de saluer, à travers cette lettre ouverte, le courage et la persévérance des jeunes et des moins jeunes du Mouvement du 20 février, toutes tendances confondues, grâce auquel votre parti a gagné les élections, qui ont bravé toutes les interdictions et ont tenté d’organiser le 15 mai un pique‑nique devant le siège de la DST pour dénoncer les violations des droits de l’homme qui y ont été perpétrées. L’histoire retiendra surtout la persévérance et la détermination de ces jeunes qui ne désarment pas en dépit de la répression qui continue à s’abattre sur eux et les procès iniques dont ils sont l’objet.
Permettez-moi, Monsieur le Chef du gouvernement, de vous exprimer mes vœux de succès les plus sincères et j’espère que vos promesses électorales relatives à la bonne gouvernance ne restent pas de vœux pieux.
maghreb.msn.com, 14/1/2013
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