Le Mali, la France et… la Constitution algérienne

Cette anecdote nous renseigne sur l’attitude de la France qui nourrissait et nourrit encore peut-être une méfiance à l’encontre de l’Algérie que l’on soupçonne être un obstacle à sa politique de la Françafrique. En 1978, elle le manifesta en envoyant ses avions Jaguar bombarder le Polisario pour soutenir le Maroc et la Mauritanie. Ce fut un message «d’amitié» à Hassan II et aujourd’hui encore son jugement sur le «réalisme» du plan actuel d’autonomie au Sahara occidental du roi du Maroc vient couronner politiquement un soutien on ne peut plus clair.

Par Ali Akika

Les derniers événements au Mali semblent surprendre nombre d’observateurs. L’offensive des islamistes contre la «ligne de démarcation» qui leur ouvrirait le chemin vers Bamako et la rapide contre-offensive de la France cachent nécessairement des objectifs non avouables publiquement.
Et comme dans une guerre, une des lois tactiques est de lire dans la pensée de l’adversaire pour l’entraîner sur un terrain que l’on choisit pour le piéger, vient donc naturellement la question de l’auteur de ce piège éventuel. Première hypothèse : sont-ce les islamistes qui voulaient élargir «leur territoire» avant que la fameuse coalition de la Cédéao soutenue par la France ne soit opérationnelle, rendant encore plus difficile la future reconquête du nord du Mali. Seconde hypothèse : est-ce la France qui, lasse d’attendre le feu vert effectif de l’ONU et agacée par les réticences de l’Algérie et le peu d’enthousiasme de ses alliés européens et surtout des Etats-Unis, a voulu y aller toute seule, à la fois pour mettre devant le fait accompli ce beau monde et pour piéger les groupes islamistes en les décimant sous le feu de son aviation, du pain béni quand l’ennemi est concentré et à découvert. Signalons que le ministre de la Défense française avait déclaré publiquement que la guerre de reconquête serait lancée au plus tard début janvier. Les planificateurs de son armée avaient-ils fait leurs plans pour éviter les chaleurs et les vents de sable de l’été qui paralyseraient l’aviation ? L’avenir vérifiera l’une de ces deux hypothèses. Pour l’heure, comme ces événements ne sont qu’un épisode dans la longue et complexe question du Mali, essayons de cerner un tant soit peu les données historiques et géopolitiques reliant le Mali, la France et… l’Algérie. Ces données expliquent les positions du présent et du futur. Un peu d’histoire donc. Pour la deuxième fois depuis l’indépendance, l’Algérie se trouve confrontée le long de ses frontières à des dangers de déstabilisation. Cette situation nécessite de la lucidité et de la rigueur pour éviter des pièges éventuels. La lucidité nous empêche d’aller à la guerre la fleur au fusil car l’immensité du désert n’est pas une simple promenade des Anglais et ses habitants ne sont pas une quantité négligeable à ignorer dans la plus belle tradition coloniale. La rigueur enseigne que l’on ne peut pas envoyer l’ANP à l’extérieur de nos frontières sur un coup de tête comme semble le suggérer un homme politique. J’y reviendrai plus loin. Les menaces potentielles qui guettent donc le pays et les ingrédients qui les alimentent sont identifiées et identifiables. La position géographique et l’immensité du pays avec ses richesses n’ont cessé de susciter les convoitises de nos voisins immédiats ou lointains. La France qui n’a pas digéré notre indépendance fait de juteuses affaires avec le pays tout en manifestant ses sympathies politiques à nos voisins. Ainsi, aux lendemains de l’indépendance, le Maroc, la Libye et même la pacifique Tunisie de Bourguiba, espérant profiter de la faiblesse supposée de la jeune Algérie indépendante, ont voulu la dépecer de morceaux de son territoire. Quant à la France, elle s’inquiétait des liens que l’Algérie entretenait avec des pays africains, une amitié née durant leur guerre de libération. Cette appréhension, je l’ai sentie en Angola en 1986 où je tournais un film sur la lutte du peuple namibien. A Luanda, au cours d’une rencontre, l’ambassadeur de France, apprenant que j’étais Algérien, me dit tout de go : «Ah ! l’Algérie c’est un pays quelque peu notre rival en Afrique.» Et d’ajouter : «Elle jouit d’un grand prestige à tel point que le président Agostino Neto a chargé son ministre des Affaires étrangères de donner à l’Algérie la meilleure villa de la capitale pour abriter le siège de son ambassade.» Effectivement, le lendemain, à la suite d’une invitation de l’ambassadeur Oussedik, l’équipe du film et moi dégustions un délicieux méchoui dans le splendide jardin de l’ambassade d’Algérie. Cette anecdote nous renseigne sur l’attitude de la France qui nourrissait et nourrit encore peut-être une méfiance à l’encontre de l’Algérie que l’on soupçonne être un obstacle à sa politique de la Françafrique. En 1978, elle le manifesta en envoyant ses avions Jaguar bombarder le Polisario pour soutenir le Maroc et la Mauritanie. Ce fut un message «d’amitié» à Hassan II et aujourd’hui encore son jugement sur le «réalisme» du plan actuel d’autonomie au Sahara occidental du roi du Maroc vient couronner politiquement un soutien on ne peut plus clair. Et puis dernièrement, sa guerre en Libye aux portes de l’Algérie peut être considérée au moins comme un acte inamical si ce n’est un élément de stratégie qui lui procurerait un moyen de pression supplémentaire sur la politique du pays. Cette intervention militaire en Libye a ouvert la boîte de Pandore. Les frontières de la Libye devenant une passoire où transitent avec armes et bagages des hommes vers le Mali posent de sérieux problèmes à l’Algérie et suscitent de l’inquiétude. Cette inquiétude ne doit pas cependant faire perdre le sens des réalités car le délicat et complexe problème du Mali exige plutôt de prendre en considération tous les paramètres pour ne pas se précipiter dans une aventure où l’armée algérienne risque de s’embourber dans les sables mouvants du désert. Et dans pareilles contrées où la nature est un ennemi coriace dans une guerre de mouvement, s’y ajouterait un paramètre qui a pour nom France qui peut mettre son grain de sable (sans jeu de mots). Imagine-t-on les soldats algériens opérant au Mali sous le regard de l’aviation française transmettant des informations sur la logistique et les manœuvres tactiques de l’armée algérienne ? Comment allons-nous nous regarder dans un miroir si jamais nous verrions l’ANP coordonner son action avec l’armée française ? N’oublions pas le cas de la Syrie qui a cautionné l’intervention des Etats-Unis contre l’Irak pour régler des comptes inter-baâth et dans l’espoir de récupérer son Golan. En ce moment, elle n’est pas payé en retour par les Américains, c’est le moins qu’on puisse dire. Un peu de géopolitique là aussi. Toute analyse sérieuse sur la France qui a d’importants intérêts dans la région doit intégrer les facteurs qui poussent ce pays à tenter une aventure militaire. En France, dans la mesure où l’alternance politique gouvernementale ne signifie pas une rupture avec les intérêts de l’Etat français, produits d’une historique et fructueuse exploitation coloniale, il est difficile de croire en la «sincérité» de gouvernements qui ont fermé les yeux quand le Mali laissait circuler librement trafiquants et bandes armées et leur servait d’intermédiaire pour engranger de juteuses retombées des rançons payées pour la libération de ressortissants étrangers. La France se réveille quand les Touareg deviennent maîtres du territoire où ils sont historiquement établis, territoire comme par hasard qui recèle dans le sous-sol des minerais et des sources énergiques âprement convoités dans le monde. On est donc en droit de s’interroger sur les motivations de cette tardive réaction de la France alors qu’elle n’a fait aucune autocritique de son aventure militaire en Libye qui n’est pas étrangère à la désintégration du Mali. Comment peut-elle faire un examen de conscience quand le pouvoir actuel a soutenu l’aventure sarkoziste ? Toutes les informations citées ici ne sont pas des secrets d’Etat. Elles sont libres et gratuites d’accès par la grâce de la «magie» de l’Internet. Bref, nous devons tenir compte de tous ces facteurs pour ne pas nous faire accuser de quelque préjugé à l’encontre de la France et pour ne pas non plus succomber aux charmes des flatteries de l’Algérie puissance régionale qui doit faire son devoir (en gros, faire le travail à la place de ceux qui veulent sauvegarder leurs intérêts sans payer le prix du sang). L’Algérie, de par sa position géopolitique, est en droit de mettre en œuvre tous les moyens diplomatiques et politiques à sa disposition (y compris s’appuyer sur la partie du peuple français qui ne veut pas d’aventures néocoloniales et dont certains représentants ont critiqué l’actuelle intervention) pour éviter une intervention étrangère qui se veut provisoire mais qui peut se transformer comme on l’a vu ailleurs en installation permanente. La prudence et la rigueur dans la position politique ne signifient pas que l’Algérie doit détourner ses yeux des événements qui se passent à ses frontières et laisser s’agiter des groupes armés qui violent son territoire en commettant des actes de guerre (attentat contre la gendarmerie de Tamanrasset). Un Etat ne peut admettre non plus qu’on prenne en otage ses diplomates. Pour répondre à ces agressions et ne pas foncer dans une aventure où le pays pourrait laisser des plumes, une maîtrise de toutes les données et leurs conséquences est indispensable. Une puissance ayant une débauche de moyens a connu un échec cuisant quand elle a voulu jouer au cow-boy en Iran pour libérer ses diplomates enfermés dans leur ambassade à Téhéran. La France a organisé dans le désert du Niger une lamentable expédition aérienne qui s’est soldée par la mort de deux de ses ressortissants. Elle vient de connaître un fiasco en voulant libérer un de ces agents secrets en Somalie. Ces exemples doivent servir de repères et inciter à la prudence non pas par peur mais par souci de faire intelligemment la guerre, c’est-à-dire la politique (Clausewitz). Il est donc préférable pour le pays de jouer les cartes (qui ne sont pas négligeables) : pressions politiques sur les acteurs présents sur le terrain, contrôle strict de la frontière avec le Mali pour empêcher tout trafic de carburant, produit indispensable pour les 4×4 des bandes armées, faire appel éventuellement aux autres moyens de la lutte clandestine, etc. Il n’est pas indiqué qu’un problème de sécurité nationale donne lieu à une proposition (à laquelle j’ai fait allusion au début de l’article) pour inscrire dans la future Constitution le droit de l’ANP à intervenir à l’extérieur de nos frontières. Une Constitution, parce qu’elle est la loi suprême, est à la fois le miroir de l’histoire du pays et sa projection dans l’avenir. Elle n’est pas une simple loi qui devient caduque à la moindre toux de l’air du temps. L’histoire de l’Algérie, le droit international et pourquoi pas l’éthique politique interdisent de faire sortir les forces armées des frontières du pays. En revanche, tous les éléments que je viens de citer donnent la légitimité et le droit de poursuivre un agresseur sur son propre territoire pour lui enlever à jamais l’envie de venir chatouiller le pays à l’intérieur de ses frontières. Mais revenons à l’enchevêtrement des données maliennes. Pour une réelle solution à long terme dans ce pays qui éviteraient les ingérences étrangères et réglerait (en protégeant les droits des Touareg) l’intégrité territoriale du Mali, l’Algérie a quelques moyens pour conseiller amicalement cet Etat à respecter et même enrichir les accords conclus avec les Touareg. Dans la mesure où les groupes armées trouvent refuge au Mali, l’Algérie peut exiger que, dans l’avenir, l’Etat malien ne laisse pas une paix royale à tous les trafiquants et autres barbus. La vigilance est de mise dans cette période de bouleversements qui peuvent fournir des prétextes à des Etats pour transformer une situation à leur profit.Ces Etats ne passeront pas à l’acte s’ils ont la conviction qu’ils auront en face d’eux tout un peuple et non pas un pouvoir politique isolé comme hier en Libye et aujourd’hui en Syrie. Pour ne pas vivre l’angoisse d’un avenir qui serait une sorte de «terra incognita» comme le subit actuellement le peuple syrien, un pays conscient des dangers doit uniquement s’appuyer sur la seule force qui vaille, à savoir la souveraineté du peuple. Le calvaire et les déchirures qui ravagent des pays comme l’Irak, la Libye et la Syrie sont suffisamment parlant pour nous éviter de se laisser distraire par des disputes et des croyances infantilisantes. Les tâches du développement économiques titanesques et l’espoir de la démocratie tant attendue recommandent à investir l’intelligence à bon escient, bref que le changement est une affaire du peuple. La période où Napoléon apportait les lumières de la révolution française à Moscou est révolue et c’est le peuple russe qui a en fini avec son tzar et non un quelconque sauveur ou Mehdi. 

LE SOIR D’ALGERIE, 15/1/2013

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