Sites mauritaniens: manipulation et support de la propagande terroriste

 La zone de Tiguentourine, lieu de l’attaque terroriste du 16-19 janvier 2013.
 En haut, le complexe gazier, en bas la zone de vie. Entre les deux, une caserne de l’armée.
Crise d’In Amenas: Comment les terroristes ont manipulé l’opinion.
Ce qui s’est passé lors des évènements dramatiques de l’attaque terroriste de Tiguentourine, près d’In Amenas, devrait faire l’objet d’un cas d’école à enseigner dans les instituts de journalisme. Le manque de discernement dans l’emballement médiatique a joué le jeu des extrémistes. Les messages des jihadistes du groupe de Belmokhtar ont abondamment pollué le traitement et le suivi de la crise, à travers les sites ANI (Agence Nouakchott Information), Sahara Medias et AlAkhbar.
La démarche de propagande de la Katiba (unité jihadiste) de Mokhtar Belmokhtar – au nom évocateur des « Signataires par le Sang » – a été involontairement aidée par le silence maladroit des autorités algériennes. Si sur le plan des réformes politiques, Alger fait toujours un amalgame entre stabilité et immobilisme; sur le plan de la communication, elle confond contrôle de l’information et quasi mutisme. Ce comportement est consubstantiel à la nature du régime politique algérien. Mais cela n’est pas l’objet de cet texte.
Ceci est une analyse partielle de la propagande jihado-terroriste, éclairée par des témoignages et des éléments connus aujourd’hui. Les liens mentionnés ici sont presque tous ceux d’articles d’ANI, le site dont les informations ont été les plus reprises par les agences internationales d’information, chaînes de télévisions et autres médias.

Mensonges par omission.

1. Dès le début de la prise d’otages, le matin du mercredi 16 janvier 2013, il y a eu des exécutions d’otages expatriés, sur le site gazier et sur la base de vie de Tiguentourine. A 10h49, le site ANI annonce une prise de 5 otages occidentaux par une section de la Katiba de Belmokhtar. Au même moment, c’est une véritable chasse aux otages expatriés qui était effectuée sur place dans le sud-est algérien. Ce que les jihadistes omettent de dire, c’est que plusieurs cadres de la société de sécurité ont été froidement exécutés. Et comme ils ne pouvaient contrôler et maîtriser qu’un nombre limité d’otages,les criminels ont abattu gratuitement d’autres expatriés. Les sites web proches du jihadisme ne le mentionneront pas. Et l’officine ANI ne mentionnera pas non plus que des emplacements de l’usine de gaz ont été minés, et que de nombreux otages doivent porter des vestes piégées avec des explosifs.
2. Sur l’ensemble des sites, il y a près de 600 employés algériens et près de 140 expatriés.Les jihadistes mentent à propos des centaines d’algériens séquestrés sur place. Dans l’un des premiers textes d’ANI, il est mentionné la présence de « quelques ouvriers algériens. » Le soir du mercredi 16, nouvelle contre-vérité des jihadistes relayée par ANI: les otages algériens ont « été pour la plupart libérés. » Ce qui était totalement faux! Des petits groupes s’enfuiront pendant la nuit qui suit. Des centaines d’algériens s’enfuiront le lendemain à la faveur du début de l’assaut de l’armée.
3. Sur la composition du groupe des assaillants, la Katiba sanguinaire dit que ses combattants sont issus de différents pays: Algérie, Egypte, Niger, Mali, Mauritanie et Canada (voir cette dépêche ANI en arabe). Le groupe le plus important, celui des onze tunisiens n’est pas mentionné. Certainement pas une erreur d’inattention, une omission pour ne pas attirer l’attention des services de renseignement sur leurs activités dans le pays voisin. La Tunisie serait-elle devenue la base arrière du jihadisme?
4. Le vendredi 18 janvier à 18h13, ANI dit que les ravisseurs sont rentrés du Niger et qu’ils sont une quarantaine. Une nouvelle fois, ce qui est omis est plus important que ce qui est affirmé. Belmokhtar ne veut pas attirer l’attention sur les camps d’entrainement du Nord du Mali, ni ne veut voir dévoilée sa collaboration avec des jihadistes et des contrebandiers dans un autre pays voisin. La Libye est assurément la base logistique du terrorisme.

Des sites qui servent la propagande des terroristes.

5. Dès le mercredi, et à plusieurs reprises, ANI diffuse des avertissements des jihadistes. Si les forces algériennes interviennent, les terroristes massacreront les otages. Ce message ne s’adresse pas aux gradés de l’armée algérienne qui encercle les lieux. Des négociations ont d’ailleurs été tentées entre les militaires et les terroristes. Ces mises en garde visent à gagner l’opinion publique. Une manipulation dans une stratégie bien établie, gagner du temps pour atteindre les objectifs initiaux, faire sauter l’unité de gaz de Tiguentourine, et transférer le maximum d’otages au Mali. Dès le début, mercredi à 15h40, ANI publie un premier avertissement des terroristes, et où ils disent détenir 31 otages occidentaux. Un autre avertissement sera publié le lendemain matin à 6h54, un horaire surprenant aux aurores. Un peu comme si ANI servait de porte-parole en temps réel. De nombreuses communications téléphoniques sont autorisées avec les familles des otages, mais les preneurs d’otages ne s’exprimeront pas directement à un média occidental. Ils tenaient absolument à contrôler leur communication, et à passer par des canaux favorables à leur ligne de pensée.
6. Le mercredi à 20h20, ANI dit qu’il y a des jihadistes occidentaux dans la Katiba. Et comme très souvent, la propagande est un savant mélange d’une part de vérité mélangée à une intoxication ciblée. Le même article parle d’un armement multiple dont des armes légères, des mortiers et des armes « anti-aériennes. » Les terroristes avaient des rampes de lancement de missiles, des engins semble-t-il bricolés en Libye à partir de lance-roquettes air-sol. Mais pas de missile SA-7 ou de canons anti-aériens, issus d’un stock de Kadhafi. Objectif: intimider les moyens militaires aériens.
Des contradictions multiples.
7. Qui était le Chef du commando terroriste? Le jeudi matin, la chaîne TV Al Jazeera diffuse un entretien téléphonique avec celui qu’elle présente comme le chef du commando, l’algérien Abou Bara. Vers midi, un convoi de cinq véhicules 4×4 tente de s’échapper sur la route en direction de l’usine de gaz. Il sera dans l’urgence intercepté par un raid aérien. ANI annonce alors qu’Abou Bara, « le chef du commando » est mort dans l’attaque. Le vendredi à 18h00, ANI se déjuge en disant qu’Abou Bara n’était que le chef du commando de la base de vie, et que le chef de l’ensemble du commando est Abderrahmane El Nigéri (Le Nigérien) connu sous le nom d’Abou Dajana. Le PM algérien dit que le véritable Chef était Mohamed El-Amine Bencheneb connu sous le nom de Tahar, qui était lui aussi dans le convoi ciblé. L’avis de l’auteur ici est que ni Abou Dada ni Abou Dajana n’avaient l’étoffe du turban de chef dans l’organisation et déroulement des opérations. Bencheneb dit Tahar était-il le chef? Possible.
Des mensonges avérés. Au cours de ces derniers jours, le site ANI a diffusé deux courts extraits audio sur son compte Youtube. Bizarrement, le compte en question a été désactivé aujourd’hui.
8. Après la tentative de fuite et l’interception du convoi, les forces spéciales algériennes partent à l’assaut de la base de vie. Dès 13h00, ANI donne un bilan totalement faux du raid: « 35 otages et 15 ravisseurs tués« . Ces chiffres seront repris et largement diffusés par des médias internationaux sans précautions particulières pendant plus de 48 heures. Et pourtant à 14h00 le même jour, un autre texte court d’ANI affirme que 7 otages ont survécu au raid d’après ses sources. Mais il y a un souci de taille, il est passé inaperçu car il n’était pas mis en avant sur la une du site. De son côté, le site Al Akhbar disait le même jour à 13h20 qu’il y avait « 25 otages et 15 ravisseur tués. » Le lendemain vendredi, l’agence d’information ANI continuait de rapporter « 35 otages tués » par le raid aérien, en contradiction flagrante avec son propre article précédent. Une désinformation trop utile pour être démentie.
9. Autre contre-vérité. Abou Dajana était le jeudi dans un endroit investi par les militaires algériens (écouter ici l’une des deux audios initialement diffusées par ANI). Et pourtant le vendredi à 18h00, ANI affirme qu’Abou Dajana est au deuxième endroit, à l’usine de gaz et qu’avec ses hommes il détient 7 otages sur place. Un étonnant sens de l’ubiquité. Et d’après le PM algérien, un canadien parlant « un anglais châtié » était en contact téléphonique avec un site mauritanien depuis l’usine. Tout porte à croire qu’ANI ne voulait pas révéler l’identité vocale de son dernier correspondant à In Amenas. Bienvenue dans les sables mouvants du Sahara.
Un engagement pro-jihadiste qui dépasse la vocation du journalisme. Dans un droit de réponse publié sur son propre site à l’endroit du journal El Watan, ANI déclare
« Et nous insistons bien sur ce «dans les règles de l’art» car nous avons refusé aux terroristes, de diffuser certaines de leurs déclarations et celles des otages, d’une part pour éviter d’être un support de propagande et d’autre part, parce que nous respectons les sentiments propres des otages et de leurs familles. En vérité, ce que nos confrères d’El Watan nous reprochent, c’est leur médiocrité ! »
10. Or vingt-quatre heures plus tôt, ANI avait presque intégralement publié uncommuniqué de la Katiba de Belmokhtar. Avec un message qui peut être résumé par une formule lapidaire « les gentils jihadistes ont protégé les innocents otages de la violence des forces algériennes. » Et qui diffuse cette propagande sans la contre-balancer par les faits mentionnés par les témoins présents sur place? Des sites d’information dont l’absence de déontologie, le non respect des familles des victimes, la mission de support de la propagande terroriste… ne font aucun doute.
En conclusion, ces sites et sources d’infomation proches des jihadistes sont très utiles aux spécialistes qui étudient les groupes terroristes du Sahel. Mais ces sources de documentation ne sont pas faites pour être consultés par un public non outillé pour détecter la manipulation lorsqu’elle a lieu. Le recours à une véritable expertise d’analyse et de déchiffrage est nécessaire en période de crise internationale. Une leçon et un cas d’école à retenir.

Baki 7our Mansour, 22/1/2013

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