Entre principe de précaution, analyse des faits et syndrome d’Al Jazeera.
L’article précédent de ce blog a étudié la manipulation de l’opinion publique par les jihadistes lors de l’attaque sur la base gazière de Tiguentourine, à l’Est d’In Amenas en Algérie. Cet article aborde des sujets connexes, dans un texte articulé suivant les trois axes suivants.
1. Principe de précaution.
Au cours de la crise, l’auteur de ce blog a tweeté une série d’erreurs observées dans le traitement médiatique. Une erreur récurrente était l’absence d’identification de la source jihadiste. Les chaînes TV internationales avaient souvent sur leurs écrans des bandeaux fixes ou défilants avec l’affirmation des terroristes sur les »35 otages tués » dans un raid aérien de l’armée algérienne. Et le spectateur n’était pas averti qu’il s’agissait d’une déclaration très orientée des terroristes.
D’autres informations peuvent avoir un effet collatéral sur le terrain. Certains journalistes ne sont pas au fait des motivations des terroristes, ne connaissent pas le contexte du jihadisme international, et peuvent alors naïvement communiquer une information vitale. Au premier jour de la prise d’otages, le français Yann Desjeux avait été interrogé par téléphone. Il disait que « le moral était bon » tout en signalant qu’il était obligé de porter une veste d’explosifs. C’est le seul otage français qui y a perdu la vie. Les circonstances de sa mort ne sont pas connues avec précision.
Les tweets affichés ci-dessus sont directement liés à la situation de l’otage Desjeux. « Ignorer le fait que même au fond du Sahel, les jihadistes regardent les chaînes TV satellitaires et utilisent Internet.« En effet, le jeudi 17 janvier, le site du journal régionalSud-Ouest publiait un article mentionnant le passé d’ancien militaire de Yann Desjeux. Cela n’a sûrement pas été la cause directe de sa fin tragique. Mais cela illustre l’ignorance de certains médias quant au danger qu’ils font encourir aux otages (situation similaire avec les deux otages Verdon et Lazarevic au Mali). Les jihadistes sont impitoyables avec les militaires, que ces derniers soient encore actifs ou retraités. Faut-il rappeler Mohamed Merah près de Toulouse, Nidal Hasan dans la tuerie de Fort Hood, etc… On ne sait pas avec précision pourquoi certains otages ont été froidement exécutés à In Amenas. Mais on devine que parmi les agents de sécurité du site, les anciens militaires étaient les premiers condamnés à mort par les jihadistes de Belmokhtar.
2. Une analyse rigoureuse des faits.
Dans le monde des médias, de véritables professionnels font consciencieusement leur travail. En voici un exemple, cette vidéo de Paris-Match. Ce qui est affirmé ici a été précédé par un recoupement des informations, un travail corroboré par divers témoignages et est argumenté par des photos qui apportent un véritable plus à la compréhension de l’évènement.
La lecture de plus d’une centaine d’articles, de diverses sources par l’auteur de ce blog, confirme que ce qui est mentionné dans cette vidéo colle à la réalité des faits.
3. Un exemple de pratique contestable. Le syndrome Al Jazeera.
Ce qui est appelé icisyndrome d’Al Jazeera, c’est un ensemble de symptômes. La propension de certains médias et intellectuels acquis à une partie des idées jihadistes, jusqu’à à développer une empathie idéologique avec les terroristes, à afficher une sympathie émotionnelle pour leurs actions, et jusqu’à communiquer au public par effet de contagion la propagande extrémiste. Cela ne concerne pas qu’Al Jazeera d’ailleurs, et certains sites mauritaniens étaient atteints de la même pathologie lors de la crise d’In Amenas.
Place à quelques arguments. Pour ceux qui ne le connaissent pas, le journaliste Faisal Al Kasim est le présentateur de l’émission Al itijah al moakas, « la direction opposée », sur Al Jazeera TV en Arabe (AJA). L’une des émissions les plus regardées de la chaîne qatarie. Le principe est de voir s’opposer dans des joutes verbales violentes des hommes politiques ayant des positions totalement antagonistes.
Sur son compte twitter @kasimf, le présentateur vedette d’AJA est suivi par plus de 550.000 followers! Cela ne l’empêche pas de tenir parfois des propos irresponsables. Et concernant l’Algérie, son opinion – exprimée à maintes reprises – est que les généraux d’Alger sont totalement coupable de la mort de 200.000 civils pendant la guerre des années 90. Il innocente complètement les jihadistes. Antar Zouabri et les fatwas criminelles d’Abou Qatada n’ont jamais existés! Une opinion et une vision tranchée qu’il partage ainsi avec un nombre considérable de spectateurs et de lecteurs.
Lors de la crise des otages en Algérie, ce journaliste d’Al Jazeera a publié un tweet qu’il a par la suite supprimé de son compte, du fait de son caractère controversé. Se voulant ironique, il y disait
« L’opération de l’armée algérienne est une réussite, mais sont morts presque tous les malades, je veux dire par là les otages. »
La thèse diffusée étant que les otages ont été tués uniquement par l’armée algérienne. Certains seront tentés de dire que cela ne concerne qu’un journaliste isolé. Il n’en est rien, cette thèse a été largement martelée par AJA, et également par la chaîne en langue anglaise d’Al Jazeera (AJE). Illustrons cela par deux vidéos d’AJE.
Dans cette vidéo 1, le commentaire est presque déconnecté de l’image. La chaîne ne décrit pas en détail les évènements montrés: des gendarmes qui doivent battre en retraite lors de combats avec les jihadistes, un hélicoptère militaire qui survole les lieux, une zone ensuite surveillée par les forces spéciales algériennes…
Dans cette première vidéo, la ligne de narration choisie porte sur 3 éléments controversés:
- « selon un journaliste algérien, onze employés étaient complices. » Une source, qui n’est pas nommée et dont on ne connait pas le degré de crédibilité, mentionne une information d’origine inconnue. Comme s’il s’agissait à tout prix de montrer que les jihadistes ont le soutien d’une partie du peuple algérien ! Leur donner une légitimité !
- Le commentaire d’AJE insiste sur une résolution violente de la crise par les forces armées algériennes. Et AJE ne mentionne pas les otages exécutés par les terroristes dès le début de la crise. Surtout ne pas mentionner les crimes des islamistes radicaux !
- AJE dit à ses téléspectateurs que « loi algérienne interdit aux sociétés étrangères de détenir des armes. » Ce qui est faux. Sous certaines conditions, et en fonction d’une alerte donnée par la gendarmerie, les agents de sécurité du site gazier pouvaient être armés d’armes légères. Au point où on en est, un mensonge de plus ou de moins…
Dans la vidéo 2, une infographie est sensée aider le spectateur à comprendre la topographie des lieux. Sauf qu’au lieu de montrer la base de vie et l’unité gaz BP-Statoil-JCG de Tiguantourine, la vidéo montre la ville d’In Amenas à 35 km du lieu de la crise.
Et l’incompétence sur la forme rejoint le mensonge sur le fond. Pour le commentateur d’AJE, il n’est question que de ravisseurs, de preneurs d’otages, de militants. Il n’utilise jamais le terme de terroristes, de jihadistes, de criminels. Ce sont des ex-otages algériens qui témoignent et qui parlent d’un groupe de tueurs. C’est le premier ministre japonais lui même qui renvoie la faute sur les « terroristes. » Ce n’est jamais AJE qui prononce ces mots tabous dans son discours.
Pour Al Jazeera, c’est « l’opération à la fin du siège qui a tuée beaucoup de personnes, dont des algériens et des douzaines d’étrangers. » Elle critique les « tactiques sans compromis » de l’armée algérienne, une stratégie « critiquée par plusieurs pays. » Une opération qui est un « avertissement aux militants. »
Al Jazeera aurait voulu quoi en fait ? Qu’il y ait des négociations pendant que des otages continuent à être tués froidement. Que les terroristes puissent accéder en nombre -et avec suffisamment d’explosifs- à l’unité de gaz et puissent la faire exploser. Que le groupe de Belmokhtar ait tous les moyens et outils pour mener son entreprise terroriste, repartir avec des otages occidentaux et détruire les installations gazières? Objectivement parlant, Al Jazeera est une alliée de la communication des jihadistes terroristes.
Baki @7our Mansour
NB: Après avoir fini d’écrire ce texte, je me suis demandé si l’expression de « syndrome d’Al Jazeera » avait été utilisée précédemment. Rien n’a pu être trouvé en français. Cependant en anglais, Al Jazeera syndrome est un paragraphe d’un livre de Walid Phares,The coming revolution. Struggle for freedom in the middle east, une expression utilisée dès 2010.
Voici un extrait de ce qu’il écrivait sur Al Jazeera:
« Volumes could be dedicated to the immense success of al Jazeera in promoting not just jihadism as an ideology, but also the actions by jihadi forces in countries around the world. The doctrinal identity of the network is not a secret in the Arab world -it is open, clear, and unapologetic. »
BAKI 7OUR, 29/1/2013
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