L’affaire des 24 prisonniers politiques sahraouis «groupe Gdeim Izik» a été reportée par le tribunal militaire de Rabat. Initialement prévu pour la journée d’avant-hier, le procès aura finalement lieu vendredi prochain, selon des sources proches des familles citées par l’APS.
Ce report intervient alors que les pressions d’ONG internationales, dénonçant la tenue de ce procès et plaidant pour l’autodétermination du peuple sahraoui, s’intensifient. Il intervient également à un moment ou l’Envoyé personnel du Secrétaire général de l’Onu pour le Sahara occidental multiplie les consultations aux États-Unis, en Russie et dans les plus importantes capitales européennes. Par ailleurs, le report a été décidé après la requête formulée par les avocats des accusés, exigeant la présence de témoins des arrestations, intervenues le 8 novembre 2010, après un assaut des forces marocaines contre le camp sahraoui de Gdeim Izik, proche d’El-Ayoun, au Sahara occidental, a-t-on ajouté. Les avocats ont également exigé la présence des responsables politiques marocains qui négociaient avec les dirigeants du camp dans le cadre du «comité de dialogue», mais cette requête n’a pas été acceptée par le tribunal, a-t-on précisé de même source.
Les 24 Sahraouis, militants des droits de l’homme, sont notamment accusés «d’atteinte à la sécurité intérieure et extérieure de l’État, formation d’une bande criminelle et atteinte aux fonctionnaires publics dans le cadre de l’exercice de leur fonction», et risquent de ce fait la réclusion à perpétuité. Une trentaine d’observateurs européens pour la plupart des magistrats, avocats et militants des droits de l’homme, représentant notamment le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme (REMDH), l’Association internationale de juristes démocrates (AIJD), la Cour internationale de justice (CIJ) et l’Association internationale pour l’observation des droits de l’homme (AIODH) étaient présents à l’ouverture du procès. Plus de 20 000 Sahraouis avaient, à l’automne 2010, élu domicile dans le camp de Gdeim Izik où ils avaient élevé quelque 3 000 tentes pour «défendre leurs droits politiques, économiques et sociaux», avant d’en être délogés par les forces d’occupation marocaines. Avant l’ouverture du procès qui s’est déroulé sous haute surveillance policière, les familles des prévenus, soutenues par des militants sahraouis, ont organisé un sit-in devant le tribunal pour exiger leur libération et dénoncer leur comparution devant un tribunal militaire.
Plusieurs associations dénoncent le procès
Brahim Dehane, militant sahraoui et président de l’Association sahraouie des victimes des violations graves des droits de l’homme (ASVDH) a indiqué que ce procès était une occasion pour les militants de la cause sahraouie «d’exprimer devant l’opinion publique internationale les revendications du peuple sahraoui et son droit à l’autodétermination». Les prisonniers politiques sahraouis sont détenus à la prison locale 2 de Salé, la ville jumelle de Rabat, depuis 27 mois. Jeudi, à la veille de leur procès, ils avaient appelé à l’application du droit international dans ce dossier. «Nous demandons à ce que les principes du droit international soient imposés dans le dossier du groupe de Gdeim Izik, puisqu’il s’agit de détenus politiques qui ont exprimé des revendications par rapport à la question sahraouie qui est gérée par l’Organisation des Nations unies», avait déclaré Mustapha el-Mechdoufi, coordinateur des familles de prisonniers sahraouis dans une conférence de presse au siège de l’Association marocaine des droits humains (AMDH). De son côté, l’ONG Human Rights Watch (HRW) a souligné dans son rapport mondial 2013 de 665 pages qui évalue la progression des droits humains dans plus de 90 pays que, «les autorités marocaines restreignent sévèrement les droits de ceux qui plaident pour l’auto-détermination du Sahara occidental, un territoire placé de facto sous administration marocaine depuis 1975».
L’ONG américaine a relevé que «le Maroc refuse de laisser manifester les activistes indépendantistes au Sahara occidental ou de reconnaître légalement les associations, dont les leaders sont connus comme partisans de l’indépendance», précisant que «cette politique est étayée par une législation qui interdit de porter atteinte à l’islam, à la monarchie ou à l’intégrité territoriale du Maroc». HRW a souligné que «cette dernière formule est interprétée de façon à signifier la revendication territoriale du Maroc sur le Sahara occidental et son annexion».
Christopher Ross multiplie les consultations
Pour sa part, l’Envoyé personnel du Secrétaire général de l’Onu pour le Sahara occidental, Christopher Ross, a entamé des consultations sur la question du Sahara occidental, en effectuant une visite à Washington, avant de se rendre, tout prochainement, dans plusieurs capitales européennes. Ainsi, Ross s’est entretenu mardi à Washington avec de hauts responsables du Département d’État américain, a indiqué le porte-parole de l’Onu, Eduardo del Buey, dans une déclaration à la presse, à New York. Après les États-Unis, il s’est rendu mercredi en Russie avant d’aller successivement en France, en Espagne, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Suisse. Ces consultations, qui dureront jusqu’au 15 février prochain, «visent à établir un soutien international supplémentaire pour les négociations sur le Sahara occidental en vue de la prochaine phase d’engagement avec les parties au conflit (Front Polisario-Maroc) et les pays voisins, prévue pour mars», selon lui.
Un procès semblable aux pratiques du régime d’apartheid
Le président sahraoui, secrétaire général du Front Polisario, Mohamed Abdelaziz, a, quant à lui, lancé un énième SOS envers les chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine (UA), en indiquant que le procès des détenus sahraouis de Gdeim Izik s’assimile aux pratiques du régime d’apartheid en Afrique du Sud. Intervenant à la 20e session ordinaire du sommet de l’UA, tenu les 27 et 28 janvier 2013, à Addis-Abeba, Abdelaziz a souligné que «l’État marocain a violé et continue de violer la Charte et les principes de notre Organisation continentale, en occupant des parties du territoire de la République sahraouie, où il érige un mur militaire de séparation qui divise les Sahraouis, de plus de 2 700 km de long et pille leurs richesses naturelles». Il a ajouté que l’État marocain «continue de commettre de graves violations des droits des Sahraouis, mentionnées dans des dizaines de rapports d’organisations spécialisées, y compris la commission de l’Onu pour les droits de l’homme». «L’Afrique continue, malheureusement, d’enregistrer les pratiques du régime d’apartheid, mais cette fois-ci dans les territoires occupés du Sahara occidental, après que le gouvernement marocain eut décidé de présenter 24 détenus politiques sahraouis au tribunal militaire, début février prochain», a ajouté Abdelaziz. «Tout cela représente une situation illégale et immorale inacceptable sur tous les points», a indiqué le président sahraoui, précisant que «la liberté, la démocratie, la justice et la paix ne sauraient être instaurées en Afrique et dans le monde, tant que le peuple sahraoui est privé de ses droits naturels, légitimes».
Younes Guiz
LE COURRIER D’ALGERIE, 2/2/2013
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