Mali: il était une fois l’Algerian bashing.

Délégation d’Ansar Dine à Ouagadougou il y a quelques semaines.
 Devant les micros Mohamed Ag Aharib, sur la droite
de la photo, Alghabass Ag Intallah.
Il était une fois l’Algerian bashing, une animosité et un ressentiment anti-algériens. Un comportement multiforme qui avait ses racines dans différents épisodes historiques et politiques. On y retrouvait une très large palette de calomniateurs, certains encore mus par la nostalgie de l’Algérie française, d’autres qui pensaient prouver par ce biais la marocanité du sahara occidental, des jihadistes algériens qui voulaient gagner sur le plan médiatique la reconnaissance qu’ils n’avaient pas obtenu sur le plan militaire, des pays arabes « frères » qui voulaient tordre le cou à la diplomatie inertielle de l’Algérie, etc…
Bien sûr qu’on peut critiquer l’Algérie, et sur beaucoup d’aspects elle est critiquable à juste titre, encore faut-il présenter des arguments et des preuves, ce dont s’exonèrent certains. La frontière entre critique et Algerian bashing est allègrement franchie lorsque l’Algérie est calomniée quoi qu’elle fasse, ou qu’elle ne fasse pas d’ailleurs.
En fait, cet article est un commentaire qui fait suite à la lecture de deux articles. Le premier d’entre eux a été publié par le New York Times (NYT) et a été largement repris par différents médias internationaux.
Intitulé « Algeria Sowed Seeds of Hostage Crisis as It Nurtured Warlord« , l’article stipule qu’Alger a semé les graines de la crise des otages du site gazier de Tiguentourine, près d’In Amenas, en ayant protégé et couvé le seigneur de guerre touareg jihadiste Iyad Ag Ghaly au Mali. Ce qui est loin de correspondre à ce qui a été observé.
Cet article du NYT comporte plusieurs omissions et contradictions, et rapporte des rumeurs colportées et retraitées par certains soit disant connaisseurs du conflit au Mali. On y trouve nommément cité des « experts« , d’ex-officiels algériens anonymes en retraite, et un seul responsable islamiste touareg, Mohamed Ag Aharib. Ce dernier, qui était l’un des porte paroles d’Ansar Dine d’Iyad Ag Ghaly, est l’un des fondateurs du Mouvement Islamique de l’Azawad (MIA) qui vient de faire récemment scission d’Ansar Dine. La comparaison avec un second document apportera un autre éclairage. Il s’agit de l’interview du leader du MIA, Alghabass Ag Intallah, et qui n’était autre que le négociateur en chef d’Ansar Dine il y a quelques semaines.
1. Le lien entre Ag Ghaly et les services secrets algériens. Le texte du NYT clame que l’offensive jihadiste menée par Ag Ghaly a enragée ses protecteurs, ses « patrons algériens. » On retrouve là une narration largement vulgarisée par divers pseudo-expertsqui squattent les plateaux TV, et qui ressassent depuis des mois qu’Iyad Ag Ghaly est un agent du DRS algérien, le Département du Renseignement et de la Sécurité. Pas moins! On attend toujours l’ombre d’un début de preuve de la part de ces esprits scientifiques d’un nouveau genre pour qui le mensonge répété devient une vérité absolue.
Comparons avec l’interview d’Alghabass Ag Intallah. Le fils de l’Aménokal – Chef coutumier tribal touareg – a joué le rôle de chargé des relations extérieures d’Iyad, son compagnon au sein d’Ansar Dine depuis près d’un an. A noter qu’il est interrogé par Andy Morgan, un auteur proche des positions du MNLA, et qui ne peut pas être taxé d’être pro-algérien (voir à ce sujet son article »Algeria plays a master’s game in northern Mali« ).
Question: Y at-il une relation entre Iyad et le gouvernement algérien?
Réponse: Je ne le pense pas. Sauf si c’est la même vieille relation que l’Algérie veut toujours nous sauver de l’AQMI. Je ne sais pas si c’est cela. Mais ce n’est pas une relation qui l’oblige à faire quelque chose. Je ne le pense pas.
L’Algérie n’a aucun contrôle sur l’islamiste Iyad Ag Ghaly, au grand dam des pseudo-experts télévisuels et amateurs du complot secret. Alger a juste essayée de dissocier en vain les islamistes touareg des terroristes jihadistes.
2. Des négociations uniquement à Alger ? L’article du NYT présente Mohamed Ag Aharib comme étant le « représentant d’Ansar Dine en Algérie« , logé « plusieurs mois dans un hôtel » de luxe d’Alger. Les auteurs omettent de mentionner les négociations officielles de Ouagadougou au Burkina Faso, auxquelles a participé Ag Aharib en tant queporte parole d’Ansar Dine, car tel était son titre officiel. Il a d’ailleurs participé à l’unique rencontre début décembre avec le ministre malien des affaires étrangères Tieman Coulibaly. Une discussion tenue sous l’égide du médiateur du conflit malien, le président Blaise Compaoré du Burkina Faso. Et le chef de la délégation d’Ansar Dine n’était autre qu’Alghabass Ag Intallah.
Alger a joué un rôle de facilitateur, de médiateur non officiel, en raison de sa connaissance de plusieurs acteurs du conflit de l’Azawad. De là à dire qu’elle a été la seule à avoir été piégée par l’intransigeance d’Iyad Ag Ghaly…
3. L’acte terroriste d’In Amenas comme réaction à l’intervention française ? Depuis des mois, l’Algérie aide discrètement l’armée malienne à rétablir ses moyens militaires. Les jihadistes n’ignorent pas la réalité du terrain. L’Algérie agit secrètement dans l’Azawad pour contrecarrer les réseaux logistiques des terroristes. Les extrémistes ne le savent que trop bien car ils y sont confrontés régulièrement. L’assaut de la Katiba desSignataires par le Sang sur In Amenas était un acte de guerre prémédité et longuement préparé. L’équipement de guerre utilisé, la taille et la composition du groupe des assaillants, tout cela nécessite plusieurs mois d’entrainement et de préparation. Clamer que c’était une réaction immédiate à l’ouverture du ciel algérien aux avions français relève au mieux de la naïveté. Et faire le lien entre « couver la vipère » Ag Ghaly comme l’écrit le NYT et la dynamique guerrière de Mokhtar Belmokhtar, cela relève plus de la supercherie. L’opération Serval n’était qu’un prétexte. Les terroristes avaient décidé de cibler l’industrie des hydrocarbures en Algérie depuis des mois si ce n’est depuis des années.
4. Une contradiction révélatrice. Au début de l’article du New York Times, l’islamiste Ag Aharib rapporte les derniers propos de ses interlocuteurs algériens. « Ils m’ont dit qu’ils ne voulaient pas plus avoir affaire avec moi, » dit Ag Aharib, suite à l’offensive jihadiste d’Iyad Ag Ghaly vers le Sud du Mali « qui les a choqués. » Et en fin d’article, les auteurs écrivent « Pour l’instant, M. Aharib a sauvé sa chambre à l’hôtel à Alger. » Entre le début et la fin, le lecteur se fait balader dans les couloirs sombres de la diplomatie.
5. Frontière fermée ou ouverte, c’est toujours critiquable. Le texte du NYT cite un certain Georg Klute, professeur à l’Université de Bayreuth, en Allemagne. Il dit que les algériens « ont fermé leurs yeux quand Ansar Dine a traversé la frontière » pour obtenir en Algérie du « carburant, des voitures, des pièces de rechange. » C’est déjà très mal connaitre les réseaux de contrebande de la région frontalière. Les produits recherchés n’auraient-ils pas traversés la frontière dans les véhicules des contrebandiers ? Pour alimenter aussi bien les membres d’Ansar Dine que les tous les autres habitants du Nord du Mali.
L’affirmation de M. Klute est en contradiction avec les propos de Alghabass Ag Intallah – qui faut-il le rappeler était un dirigeant d’Ansar Dine avant sa conversion opportune à l’islamisme modéré :

« Vous savez, si nous parlons avec l’Algérie, ils vont dire qu’ils sont nos amis, ils sont nos frères, ils sont ceci et cela. Mais dans leurs actions, en particulier au cours de la dernière année, ils ont fermé leurs frontières à nos familles, à nos personnes âgées, à nos réfugiés qui voulaient trouver refuge sur le territoire algérien. Vraiment cela signale qu’ils ne se soucient pas beaucoup des Tamashek (Touareg). »

Le lecteur aura compris. La calomnie anti-algérienne est allumée quelque soit la position de l’interrupteur. Que la frontière entre l’Algérie et le Mali soit ouverte ou fermée n’est finalement qu’un prétexte pour faire dans un Algerian bashing de circonstance. La réflexion paresseuse ne va pas s’intéresser à la complexité de la situation, à une succession de plusieurs épisodes différents depuis un an de crise au Mali. Trop compliqué pour le lecteur consommateur. Depuis douze mois, il y a eu des moments où la frontière était fermée, et des périodes où elle était ouverte.
Dans son article, le New York Times a usé et abusé du storytelling, il a publié un récit assez dépouillé des évènements récents au Sahel, un récit enjolivé et nettoyé des aspérités de la réalité. Puisque l’information utilise désormais les ressorts du conte, il n’y avait plus qu’à reprendre une formule telle que « Il était une fois l’Algerian bashing » pour rappeler certains faits sur ce blog.
Baki @7our Mansour

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