Au-delà de la guerre des mémoires, l’Algérie s’est courageusement engagée au côté de la France pour soutenir son engagement au Mali. Il est temps que, dans leur propre intérêt, les deux pays deviennent réellement partenaires.
Quelques semaines après le voyage du président de la République en Algérie, il serait injuste aujourd’hui d’en nier les répercussions positives. Pourtant, les relations entre la France et l’Algérie semblaient encore et toujours perturbées par le rappel des moments tragiques de leur histoire commune. D’autant que, des deux côtés de la partie occidentale de cette Mare Nostrum, d’aucuns s’emploient à rouvrir les plaies dès que l’occasion se présente.
L’année 2012, ô combien symbolique, n’avait pas échappé à la règle : 19 mars, 50e anniversaire des accords d’Evian ; 2 juillet, 50e anniversaire de l’indépendance algérienne ; 5 juillet, 50e anniversaire des massacres à Oran ; polémique sur le transfert des cendres du général Bigeard au mémorial d’Indochine ; reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir des victimes de la guerre d’Algérie au même titre que le 5 décembre. Et, bien évidemment, le déplacement du président s’était inscrit dans cette polémique. Nombreux sont ceux qui ont scruté ses faits et gestes, décortiqué ses allocutions.
Mais ni les politiques ni les parlements, qu’ils soient algériens ou français, n’ont vocation à écrire l’histoire en lieu et place des historiens. De plus, pour aborder cette histoire douloureuse avec recul et objectivité, il faut accepter des deux côtés de la Méditerranée de déchirer un certain nombre d’images d’Epinal.
Geste symbolique très fort
C’est exactement ce qu’a clairement exprimé le président de la République, en s’adressant aux parlementaires algériens : «Rien ne se construit de solide sur la dissimulation, l’amnésie ou le déni», et en ajoutant que «la vérité n’abîme pas, elle rassemble» et que «l’histoire, même quand elle est tragique, doit être dite». Et de poursuivre : «Etablir la vérité, c’est une obligation qui lie les Français et les Algériens», afin que «cette vérité soit connue de tous», car elle «était due à toutes les jeunesses». On ne pouvait être plus clair : ni excuses ni repentances. Ce qui a conduit certains commentateurs à parler de voyage «décevant» et de«rendez-vous manqué».
On aurait pu effectivement rêver que les présidents de France et d’Algérie, côte à côte, aient un geste symbolique propre à marquer la volonté des deux pays de s’inscrire dans une vision ambitieuse d’un avenir d’intérêts partagés, dans une relation apaisée où reconnaissance ne veut pas dire repentance. Peut-être dans les pas d’Albert Camus face à cette Méditerranée qui est notre bien commun, «pleine de tumultes autant qu’elle l’est de promesses», comme la décrivait récemment M. Arif, ministre délégué aux Anciens Combattants. Ce ne fut pas le cas, du moins lors de cette visite.
Pourtant, l’Algérie, unilatéralement, quelques semaines plus tard, a fait ce geste symbolique très fort, en autorisant le survol de son espace aérien à nos avions d’armes et en fermant sa frontière saharienne pour appuyer notre intervention au Mali. Nul doute que les dirigeants algériens en avaient mesuré les conséquences possibles, en particulier le risque de rallumer les braises de la guerre civile qui couvent encore ou de subir une attaque terroriste de grande ampleur. Ce fut effectivement le cas et ils ont assumé avec beaucoup de courage politique et de pragmatisme la prise d’otages d’In Amenas, en ne cédant pas aux pressions de la communauté internationale. Ils ont apporté la seule réponse crédible face à une attaque suicidaire. Car, ne nous méprenons pas, le commando jihadiste qui a lancé cette attaque savait parfaitement qu’il n’avait aucune chance d’en revenir, compte tenu de la doctrine algérienne face à ce type d’action.
Vision stratégique partagée
De facto, l’Algérie s’est militairement engagée à nos côtés alors qu’elle avait de bonnes raisons de laisser la France assumer seule les conséquences de la guerre contre le régime du colonel Kadhafi qu’elle avait estimées désastreuses pour toute la bande sahélienne. Cet engagement militaire au Mali, les événements récents et toujours actuels du printemps arabe (Tunisie, Libye, Egypte), sans parler du conflit israélo-palestinien, démontrent chaque jour que nos intérêts prioritaires en termes de sécurité restent la Méditerranée et les marches proches de l’Afrique, zones d’instabilité et de grands dangers.
Pour cet espace qui a besoin de sécurité et aussi de prospérité, l’Algérie et la France doivGent travailler ensemble. Il est de leur intérêt de ne plus subordonner leurs relations à ce qui s’est passé il y a plus de cinquante ans. Au contraire, il est enfin temps d’établir des rapports qui s’inscrivent dans une vision stratégique partagée et dans un partenariat «gagnant-gagnant». Par leur histoire commune, leur géographie, la complémentarité de leurs économies, les deux pays ont une part déterminante à prendre dans ce futur proche, en bousculant l’ordre actuel, en faisant en sorte que la Méditerranée cesse d’être une frontière pour le moins hostile entre deux mondes.
Alors que l’Europe de la défense brille par son absence, mais ce n’est pas une surprise, l’Algérie est devenue pour notre engagement au Mali notre meilleur allié. N’attendons plus, par peur que la guerre des mémoires ne reprenne de plus belle, pour avancer ensemble. L’histoire vient de nous en donner l’opportunité en nous désignant un ennemi commun.
*Henri Poncet est général de Corps d’Armée. Il est né en Algérie.
http://www.marianne.net/L-Algerie-reste-notre-meilleur-allie_a226697.html
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