Le Jugement militaire et la recherche de la vérité, par Naama Asfari

Introduction : Ali Omar Yara 
Au Maroc, depuis l’indépendance de ce pays en 1956, les jugements politiques se succèdent, mais ne se ressemblent pas, à savoir contre la gauche dans les années 1960, contre les comploteurs et les putschistes militaires dans les années 1970. Viennent après, durant les années 1980-1990, voire plus récemment, les jugements des insurgés des Atlas et du Rif. Tous ces « troubles » conduisent à des exactions incommensurables commises par le Maghzen et le Roi qui ordonnent l’enfermement souvent à longue durée des opposants, coupables de lui faire front.
Il s’agit-là d’une question politique du Maroc moderne. Mais, depuis la disparition des Franquistes coloniaux du Sahara occidental, en 1976, un autre adversaire est subitement apparu sur l’échiquier maghrébin qui tient
tête à l’occupant et à l’autorité judiciaire marocaine : la minorité Sahraouie dans les territoires occupés. Or, les Sahraouis ne sont pas des opposants, au roi, et aux Marocains, pour la simple raison qu’ils ne se considèrent pas comme Marocains, ni à travers leur histoire, ni dans leurs représentations collectives. Dans ce texte, Naama Asfari Ould Abdi rend compte de la manière dont les Sahraouis revendiquent le droit à l’autodétermination, relevant du droit international humanitaire, même si le Secrétaire général des Nations unies n’applique pas la Charte qui stipule l’obligation de liquider le colonialisme. Sinon, pourquoi le Conseil de sécurité resterait-il saisi de l’affaire du Sahara espagnol ?
Il s’agit-là, de la réflexion critique d’un juriste et d’un pacifiste, d’une méditation philosophique en matière des droits de l’homme. Depuis le soulèvement sahraoui de 2005 dans les territoires occupés, Naama Asfari affine cette approche. C’est dans sa prison qu’il a écrit ce document en arabe, comme il en a écrit plusieurs autres confisqués et probablement détruits par les gardiens de sa cellule, avant sa comparution avec ses camarades, le 1e février 2013 devant le tribunal militaire « permanent ! » de Rabat . Il s’agit aussi d’une réflexion sur le rapport entre « la justice et les sentences infligées » aux êtres libres. Par sa compétence en manière de droit et ses différents « séjours » dans les prisons marocaines, il savait que la sentence serait très lourde pour eux les « 24 », comme elle l’avait été pour son père Abdi Ould Moussa, Daddach, El Khadir, Ballagh, Ould Tamek, Haïdar, et des milliers d’autres Sahraouis.2
Pour juger la justice marocaine quand elle s’applique aux Sahraouis Naama s’appuie sur deux constats : le fait qu’elle ne reconnaît pas la culpabilité des tortionnaires marocains et l’existence d’une dissymétrie entre les charges retenues contre les prévenus incarcérés et la sentence prononcée contre eux. La lourde condamnation des « 24 » de Gdaïm Izig n’est qu’un prélude aux tractations politiques entre les détenteurs du Makhzen marocain et la revendication de l’indépendance totale du peuple sahraoui. A travers ce procès, le Maroc veut faire accepter par les Sahraouis le statut de l’autonomie élargie, voire une régionalisation au Sahara occidental, au moins dans les territoires occupés. Ali Omar Yara3 Le Jugement militaire et la recherche de la vérité Par Naama Asfari Abdi, prison militaire de Rabat1 De notre cellule, nous proposons de témoigner de la singularité d’une mémoire qui, dissimulant ses contradictions, déforme la vérité en en inventant une autre. En effet, après plus de deux ans d’incarcération et d’emprisonnement ferme, le régime marocain a enfin décidé, de nous faire comparaître, nous, les 24 prisonniers du groupe de Gdaïm Izig, devant le tribunal militaire permanent de Rabat, le 1er février 2013.
Il y a donc, aucun obstacle pour quelqu’un qui suit ce dossier à constater que notre incarcération collective ne correspond pas à ce que prétend le Maroc et que ce jugement ne respecte, ni les procédures ni la loi pénale marocaine.
Il s’agit bel et bien d’une captivité, depuis le premier moment de notre enlèvement (le 8 novembre 2010) qui ne prend pas en considération les principes élémentaires du respect du droit et n’offre aucune garantie d’un jugement équitable. Ce fut à l’instant même de notre arrestation que le régime marocain a rendu son verdict d’une condamnation collective. Il a ainsi trouvé un motif pour nous prendre en otages. Un ordre politique qui dépasse et de loin la compétence d’un juge d’instruction et du procureur général. Cette décision prise à notre encontre, nous a privés de liberté depuis deux ans et quatre mois, pour nous faire subir, de surcroît, un sort inconnu pour une période indéterminée. Car, cet emprisonnement à caractère politique inavoué, est une torture morale, psychique et physique. D’ailleurs, les observateurs et les ONG marocaines et internationales sont impressionnés par cette logique particulière, qu’ils ne peuvent saisir. Ils ne réalisent pas encore ou peu, que l’incarcération infligée aux Sahraouis, notamment les activistes juridiques, hommes et femmes, est aussi une forme de récupération à caractère politique. Du même ordre que les intimidations et l’exercice de la violence physique, pratiqués dans la rue et dans les différents locaux des services de l’ordre.
Ce que le jugement militaire marocain veut prouver On peut, déjà, s’interroger légitimement sur la signification de l’incarcération préventive de notre groupe avant sa condamnation au tribunal. Nous soulevons la question de la légitimité d’un emprisonnement préventif sensé être inscrit dans les lois reconnues par le Conseil national (marocain) des droits de l’homme ainsi que par d’autres organismes juridiques proches du Makhzen, en vertu des dispositions de la constitution marocaine en matière de garantie de la protection juridique des accusés relevant des normes internationales.
Il est curieux, que cette affaire des « 24 » de Gdaïm Izig soit si peu médiatisée, inscrite seulement dans la rubrique de la propagande et non dans le cadre d’un énorme scandale. Qu’en est-il du devoir des journalistes et de la presse marocaine ? Il est étrange qu’ils prétendent être des professionnels dotés de courage et à la recherche de la vérité et qu’ils n’osent pas rapporter ce qui s’est passé réellement au campement de Gdaïm Izig et pourquoi tous ces gens sont emprisonnée depuis plus de deux ans sans aucune preuve de culpabilité ? Sous cet angle, « cette affaire » est exemplaire du paradoxe et de la confusion qui règnent encore au Maroc sur les plans sécuritaire, juridique et médiatique. Notre « affaire pénale » cache d’immenses contradictions du Makhzen qu’il sera difficile de masquer à long terme quels que soient les moyens juridiques et médiatiques utilisés. L’origine du conflit entre le Maroc et les Sahraouis exige une réflexion plus approfondie, nourrie de l’événement de Gdaïm Izig qui a révélé une mise en rapport causal entre le jugement de notre groupe, à caractère militaire, et l’agir de Gdaïm Izig. Mais, nous pensons que ce jugement ne sera pas à la hauteur de ce que le Maroc veut montrer et espérer dans le cadre du droit, mais bel et bien une condamnation politique. Soulignons par ailleurs, que, ni la justice, ni les droits garantis aux victimes ne peuvent tolérer l’apparition des civils devant un tribunal militaire. Pour le Maroc le but de cette comparution est de privilégier sa propre vérité et d’imposer sa domination politique. Mais, cela ne peut pas nous affecter, nous prisonniers et militants de la résistance civile qui ont conduit la contestation non violente avec conscience et responsabilité.
Les victimes entre lois et châtiments Après notre incompréhensible enlèvement, cette comparution devant un tribunal militaire, malgré la vaste pression internationale en l’absence évidente de preuves, nous conduit à nous interroger sur la logique à partir de laquelle le régime marocain justifie une affaire politique de cette ampleur. Tous, au Maroc, savons comment le pouvoir utilise l’appareil judicaire et la justice militaire en particulier, en vue de régler ses comptes politiques. Un juge du Conseil suprême de la justice, procureur du roi au tribunal de première instance de Rabat, déclarait à un Journal marocain : « Le Maroc voit dans la justice en général, comme un organe de l’Etat, affilié au ministère de la justice et, par conséquent, tous les éléments établis dans la conclusion du « Forum de Justice et Camp et campement sont dans la culture sahraouie la même chose du fait qu’ils traduisent le repli des nomades vers les pâturages. Le Campement est une structure mobile et volontaire. d’Equité » prouvent, sans aucun doute, le rôle passif que la Justice en tant que telle joue à notre époque. Elle est devenue un simple instrument entre les mains de l’Etat et n’a pas la main mise sur le procureur général du roi. En outre, le FJV est complice dans la plupart des abus judiciaires qu’a commis le Maroc alors que, paradoxalement, il appelle à l’indépendance totale de l’autorité judiciaire. Si c’est cela la réalité de la justice ordinaire au Maroc que peut donc être un jugement militaire aujourd’hui ? Non seulement au regard de la nouvelle constitution marocaine de 20112, mais à celui des obligations de ce pays en matière des droits de l’homme et des garanties d’une justice équitable. Consultons les penseurs en la matière. L’historien et penseur marocain Abdellah Laroui explique, dans une Table Ronde, le lien entre l’Historien et le Juge. Pour étayer son approche, il est remonté au XVIIIe siècle, origine contemporaine de la
révolution scientifique dans l’écriture de l’histoire, et l’avènement d’une mutation de taille dans le domaine judiciaire : « la preuve établie par des choses matérielles est plus crédible que les témoignages fournis par les individus ». Pour étayer ces arguments, Laroui, s’appuie sur deux penseurs l’un, Italien et l’autre, russe Fiodor Dostoïevski. Mais, l’appui sur les seules preuves matérielles ne signifie aussi pas que la voie est tracée pour le juge et l’historien et qu’ils peuvent ainsi aboutir à la vérité. Cet écrivain admet l’importance des preuves matérielles qu’il appelle « le témoin silencieux » au détriment des témoignages humains. Pour nous, la preuve matérielle, irréfutable, de notre innocence c’est l’image atroce des milliers de tentes sahraouies brûlées à Gdaïm Izig, et celle des enfants, des femmes et des vieillards qui fuient précipitamment le Campement au vu de tout le monde. Grâce au courage de la jeunesse du mouvement contestataire de Gdaïm Izig l’ultime succès de cette manifestation pacifique a fait réagir le régime (marocain) qui veut se venger en nous faisant comparaître devant le tribunal militaire. En présence d’une preuve matérielle, poursuit Laroui, l’accusé sera condamné et, en l’absence de preuves, il sera acquitté. En effet, nous pouvons comprendre aisément tel événement ou tel acte, mais nous ne pouvons pas toujours le saisir émotionnellement, ni l’accepter et encore moins l’admettre et nous restons fixés sur le témoignage fictif, puisque la preuve matérielle, fournie pas des individus, peut être interpréter de mille façons.
FVJ Forum Vérité et Justice (Rabat) a été crée par le Roi Hassan II face à la pression internationale, pour effacer à moindre frais, les atrocités commises durant la longue période « des années de plomb ». Reste la question de l’impunité maintenue par les autorités marocaines que les Sahraouis exigent pour les exactions suivantes : disparition forcée, détention arbitraire, torture, génocide déportation. Nous avons vérifié les références que l’auteur a évoquées. Toutes exactes, nous citons plusieurs d’entres elles à toute fin utile, notamment celles peu connues.  Adoptée par référendum le 1er juillet 2011 dans un contexte social et politique singulier, la nouvelle Constitution renouvelle le « pacte sacré » qui unit le peuple marocain à son Roi. 3 Crimes et Châtiment, roman classique de l’écrivain Russe Fiodor Dostoïevski (1866).
Il n’est justice, dit le philosophe Averroès, que quand l’individu fournit à son adversaire, des preuves auxquelles il veut croire lui-même. A travers un roman narratif, Ayer no más » (Pas plus tard qu’hier) 2 Andrès Trapiello, pose aussi la question de l’histoire en rapport avec la mémoire. La pertinence de cette œuvre littéraire, (si on la met en rapport avec le jugement militaire des personnes civiles sahraouies, accusées), vient du fait que l’auteur soulève la question de la « loi de la mémoire historique », approuvée par le Parlement espagnol à l’époque du mandat du PSOE par rapport à la terreur infligée aux victimes innocentes. Ce récit rend compte de la réalité sociale et politique de l’Espagne durant toutes ces années 1930. Il expose, en effet, les contradictions propres à l’événement et les paradoxes des faits dramatiques. Pour ce faire, il s’appui sur une manière inédite d’écrire un roman historique. « Pas plus tard qu’hier » offre peu de héros. Chacun d’eux joue son rôle et disparaît de la scène, pour laisser le lecteur ou le spectateur apprécier et toucher aux réalités de l’événement, comme s’il les vivait. De son côté, le héros du roman de Cesare Bonesana Beccaria, prend à cœur la recherche et les investigations dans le domaine des crimes commis par le Général Franco durant et après la guerre civile espagnole. Dès qu’il veut faire la lumière sur ces crimes et réunir les preuves de l’identité de leurs auteurs, il est rejoint par le passé de son père fasciste et se retrouve accusé, en raison de l’implication de son père dans ces crimes. L’auteur découvre après coup, la particularité de cette mémoire, qui enfouit en elle des contradictions qui déforment les vérités essentielles pour ne faire apparaître que des vérités mineures. L’auteur, à travers son héros découvre aussi, avec intelligence et courage une vérité amère lui permettant d’atteindre une chose sensible et belle, la conscience en soi. En ce qui concerne ce qui s’est passé à Gdaïm Izig, est-il possible de rechercher la vérité et de faire toute la lumière sur cet événement majeur ? Car, en effet, on ne sait pas si une personne qui prétend chercher la vérité pour établir la justice ne la 1 Abû El Walid Ibn Ahmed Ibn Rušd né en 1126 à Cordoue. Certains de ses écrits sont consacrés à la jurisprudence islamique. 2 Andrès Trapiello, (né en Espagne en 1953), Ayer no más, (éd. Destino, 2012), Pas plus tard qu’hier : Un garçon est témoin du meurtre de son père dans les premiers jours de la guerre civile en Espagne, 70 ans plus tard il reconnaît par hasard dans une rue de León, celui qui a participé à cet attentat un entrepreneur connu qui refuse de révéler où son père a été enterré. Son essai relève de la littérature espagnole pendant la guerre civile d’Espagne traduit par l’éd. Les armes et les lettres, Paris, Table Ronde, 2009. 
PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) a été au pouvoir en Espagne entre octobre 1982 et mars 1996 et à nouveau de mars 2004 à décembre 2011. 4 Le Marquis italien Cesare Bonesana Beccaria (1738-1794), Des délits et des peines, traduit de l’italien par Collin de Plancy, Paris, éd. Boucher, 2002, 5 Voir sur cette question de la « conscience en soi », Martin Heidegger, Etre et temps (Sein und Zeit), Paris, éd. Gallimard, Jean-Paul Sartre, L’Être et le Néant, Paris, éd. Gallimard.7 dissimule pas aussi en partie ? Et si elle a pris conscience de cette vérité aura-t-elle assez de courage et d’audace pour la pointer du doigt ? Partant de cette réflexion, on peut, on peut se demander sur quelles vérités le décideur qui a choisi de faire comparaître « les 24 » devant le tribunal militaire. Le travail du juge, comme celui de l’historien ne sera jamais évident aux cours de la phase de l’investigation et de l’instruction. Franchie cette phase, le juge devra être en capacité de maîtriser les choses, avec une grande force de caractère, de lucidité et un vrai pouvoir de décision. Celui qui connaît et instruit les affaires c’est celui justement qui a la capacité de trancher. Dans notre cas, est-ce que la justice est capable de nous rendre justice, à nous, prisonniers politiques ? Nous devrions plutôt écrire : vient-elle nous rendre justice ? Car cette affaire n’est pas si compliquée. On pense à la réponse de Thomas Mann, interrogé à propos des romans de Franz Kafka1 : « Mon cerveau n’est pas si compliqué pour ne pas comprendre l’affaire », avait-il répondu. La vérité nue sur l’affaire de Gdaïm Izig instruite devant le tribunal militaire n’est pas celle inscrite dans les procès verbaux et dans les rapports confiés à la justice et appareils de renseignements civils et militaires. Alors comment sur des fausses bases peut-il sortir un jugement équitable ? Dans une de ses œuvres Ibn Qoudama écrit à propos de la certitude2 : « on ne doit soupçonner quelqu’un que lorsqu’on a découvert une chose qui permet de l’accuser. Quand il t’informe de sa vérité tu as tendance à le croire et tu es excusable. Mais, il a souligné une autre condition « il faut chercher, écrit-il, à découvrir l’existence, ou non, d’une jalousie ou une hostilité entre les deux adversaires ». Si le juge ne fonde pas son jugement sur la vérité et la valeur de la certitude, il le fondra sur les intentions et émotions. De son côté, le juriste l’Imam Al Chafii a dit 3 que le jugement rendu entre les gens se fonde sur ce que nous en disent les deux adversaires « même s’ils pensent autrement au fond d’eux mêmes ». Un autre principe est de ne pas prendre en considération les preuves tant que l’accusé continue à nier et ne pas avouer. Si quelqu’un est accusé d’un crime ou d’un délit et a nié a prouvé l’existence d’un alibi, ce n’est plus la peine de le poursuivre. Dans le même ordre d’idée, un récit rapporte qu’une personne nommée Khatib Ibn Abi Baltaa, a divulgué un secret au 1 Thomas Mann, (1875 – 1955), est un écrivain allemand, lauréat du prix Nobel de littérature en 1929. Il est le frère du grand auteur allemand Heinrich Mann, le père des écrivains Klaus et Erika Mann, de l’historien Golo Mann, ainsi que du musicien Michael Mann. Franz Kafka, écrivain pragois (1883 – 1924), connu surtout pour son roman Le Procès. Symbole de l’homme déraciné des temps modernes.. 2 Ibn Qoudama Al Maqdissi Al Hanbali, né à Jérusalem en 1160. Il a consacré ses études sur
l’évidence et la preuve. 3 Al Chafii Abu Abdullah Mohammad Bin Idris (767 à Gaza – 820 Egypte) Juriste musulman (Fiqh).8 prophète Mohamed. Le Calife Omar ibn El Khatab1 demande qu’on lui coupe la tête, mais le prophète continue à écouter El Khatib jusqu’au bout et dit : « Il a dit la vérité, ne lui faite que du bien ». Après ces témoignages et récits sur le rapport entre la vérité et les preuves, comment en ce qui nous concerne, extraire la vérité des féroces procès verbaux et des rapports des services de renseignements en ce qui concerne le dossier de notre cause devant le tribunal militaire ? Si la lecture du roman « Pas plus tard qu’hier » nous amène à une meilleure compréhension, il reflète aussi la réalité politique et sociale qu’a vécue la société espagnole, grâce au don littéraire d’Andrès Trapiello, qui, à travers ses personnages explore les contradictions d’un l’événement dramatique. La parodie du tribunal militaire marocain nous conduit, cette fois-ci vers un autre monde. Un monde plus réaliste encore, la réalité d’une guerre ancienne et actuelle que livre l’occupant contre un peuple qui milite et résiste pour la liberté, la dignité et la justice. Comme dans toute guerre, quelles que soient ses causes, ses victimes et ses bourreaux, comme ces criminels des guerres anciennes qui ont commis des atrocités (même si certains disparaissent avec le temps, vivant cachés à l’abri du regard), il existe, dans la guerre actuelle des gens qui ont commis et commettent des crimes non moins atroces, uniquement pour satisfaire leur désir de vengeance. Le tribunal militaire de Rabat est ici la preuve d’un échec, prouvée à Gdaïm Izig. Cet échec ne doit pas nous empêcher de fouiller dans la mémoire historique d’une manière globale et totale pour trouver la vérité. Cet acte exige un grand courage, une habileté politique et de hautes valeurs morales. « Tu dois savoir comment tu te réveilles. La vigilance est le réveille réel de l’imaginaire pur » comme le dit le poète palestinien Mahmoud Darwich2.
Gdaïm Izig, un tribunal pourla résistance populaire Gdaïm Izig devient le tribunal de la résistance populaire pacifique qui se propose d’affronter le plus grand crime permanent. Le crime d’occupation. Ce tribunal populaire dans l’univers de Gdaïm Izig a permis au peuple sahraoui de trancher et de fournir des verdicts qu’aucune autre instance ne peut exécuter. C’est lui qui légifère sur le châtiment infligé à l’occupant, injuste à l’égard de ce peuple depuis quarante ans. Plus encore, le peuple dans l’univers de Gdaïm Izig a déjoué les négociations et a décidé de ne pas se plier à la volonté de l’occupant3. Mieux encore, il a décidé 1 Le deuxième Calife de l’Islam après la mort du prophète. 2 Mahmoud Darwich, né le 13 mars 1941 à Al-Birwah en Galilée (Palestine sous mandat britannique) et mort le 9 août 2008 à Houston, États-Unis). Il reste une des figures de proue de la poésie palestinienne. 3 Ici Naama fait allusion à la rupture du Comité de Coordination du Camp de Gdaïm Izig qui a refusé de négocier avec l’autorité locale et le ministre marocain de l’intérieur sur la base des9d’élargir son champ de résistance. Ainsi, peu après les événements à notre Campement de Gdaïm Izig, la ville de Dakhla, et toutes les localités sahraouies, continuent la lutte pacifique jusqu’à la liquidation de l’occupation.
Il est d’ailleurs peu probable que cette résistance renonce à juger et à condamner un jour les coupables des différents types de crimes commis contre les droits de l’homme, connus d’ailleurs dans les clauses internationales. Cette résistance populaire demeurera tant que le crime persistera. Face à cette flagrante réalité l’occupant tente, comme il en a l’habitude, d’abattre
son jeu devant le tribunal militaire pour annuler ou saper la résistance populaire pacifique en espérant freiner son action jusqu’à sa disparition. Cette tactique a aussi pour objet de pousser la résistance a rendre les armes en contre partie de promesses floues à travers « le nouveau programme de développement » 1, un rêve qui prétend saper le soulèvement d’un peuple contre l’occupation. Ce jeu peut durer longtemps. L’occupant a échoué dans ses tentatives de récupération et personne ne peut maintenant le croire à propos du développement social et du respect des droits de l’homme. Le résultat tangible d’événements, c’est qu’ils ont produit une transformation historique dans la lutte contre l’occupant et la formation, chez les Sahraouis, d’une conscience objective élargie. En effet, cette illusion chez l’occupant de vouloir dominer la terre et l’homme sahraouis est arrivée à son paroxysme. Cet occupant a compris, grâce à la résistance populaire pacifique à Gdaïm Izig, qu’il ne pourrait arrêter ce refus de l’occupation. Cette différence structurelle et historique entre deux cultures et deux identités, (occupant-occupé) s’est concrétisée à Gdaïm Izig dans la résistance d’un peuple capable d’arracher le pouvoir, et de prendre l’initiative et de maîtrise son destin Depuis plus de trente années de combats, Gdaïm Izig est le plus grand soulèvement populaire politique qui ait généré des mutations économiques, sociales et politiques. Et face à cela, le pouvoir marocain n’a pas compris qu’il ne faisait que nourrir ses contradictions et sa propre crise structurelle depuis des décennies. En
témoigne les devises contestataires au camp de Gdaïm Izig : 1° Nous sommes les maîtres incontestés de ce territoire, et la terre appartient à ses propriétaires, 2° L’accès au camp de Gdaïm Izig est interdit à toute personne ayant un rapport avec l’occupant, 3° Nous refusons la situation de doute et d’incertitude de la MINURSO, revendications sociales que cette autorité voulait leur imposer. Voir le deuxième Document inédit n° 2, Fait au Camp de Gdaïm Izig, le 6 novembre 2010, Cahier de l’Ouest Saharien, n° 8, 2012. 1Il s’agit des projets de développement des territoires sahariens supervisés par l’agence marocaine.10 4° Nous avons perdu confiance dans la communauté internationale, 5° La situation de, ni guerre ni paix, signifie l’occupation et le pillage, 6° Non et non à toute action susceptible de saper le référendum d’autodétermination, 7° Nous demandons l’intervention du Haut Commissariat des Réfugiés et la protection des civils dans les villes occupées en vertu du droit international humanitaire. La riposte violente du pouvoir du Maghzen a accru la colère, la résistance et la révolution contre lui. Ainsi le mouvement de Gdaïm Izig a tenu plus d’un mois, d’autant plus difficile à mener que l’adversaire employait la violence sauvage en faisant appel à l’armée, principe totalement opposé au nôtre. Le Maroc est ici coupable d’une violation flagrante de cessez-le-feu de septembre 1991. Mais, la résistance populaire a brisé la chaîne de la peur qui paralysait les Sahraouis. Cette fois-ci, ils sortaient à l’extérieur sans crainte et refusaient la passivité et le désespoir devant une réalité imposée. Ce soulèvement est analogue à celui des premières vagues des Sahraouis contraints, en 1976 et 1979, de s’éloigner de chez eux. Cette installation à Gdaïm Izig, pérennise les symboles et la signification de l’organisation des camps de réfugiés. Les Sahraouis sont venus de toutes les villes sahraouies pour créer un ordre nouveau, à savoir, le refus catégorique de toutes formes d’occupation. Au début, nous n’avons pas cru que nos revendications pouvaient être satisfaites. Nous avions la certitude que ces revendications seraient dures à obtenir et qu’aucun mouvement collectif pacifique, quelle que soit sa force, ne pouvait arrêter la puissance destructrice de l’occupation. Mais, le mouvement de Gdaïm Izig a relevée le pari et rendu plus crédible notre cause au Sahara occidental, malgré les entraves que constituent les formes de la société que l’occupant a planifié et imposer comme réalité durant des décennies. L’esprit de solidarité et la création de mécanismes inédits de coordination entre les membres de la société sahraouie se sont renforcés, tandis que, de son côté, l’occupant cherche à soutenir des groupes ethniques isolés, focalisés et centrés sur eux-mêmes. Une fois de plus la cohésion nationale de la société sahraouie est en sortie plus puissante. L’attaque militaire traîtresse du lundi, 8 novembre 2010 sur le camp de Gdaïm Izig a prouvé que l’occupant ne peut exister que par le recours à la violence, ce que le soulèvement populaire pacifique de l’indépendance avait prouvé le 20 mai 2005. Pour conclure, cette réflexion nous réaffirmons la dualité de notre démarche : poursuivre la résistance populaire pacifique et, à chaque étape de la lutte, adapter les moyens de cette résistance. A terme, l’Etat sahraoui indépendant est la seule solution. Signé, Naamaa Asfari, prisonnier politique et d’opinion et co-Président du CORELSO – Comite pour le respect de libertés et des droits de l‘homme au Sahara Occidental.

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