C’est une longue langue de sable et de terre, de plus de 500 kilomètres de long.Le Sahara Occidental est au cœur d’une dispute trentenaire entre Sahrouis et Marocains. Mais il est également au cœur de la musique de Mariem Hassan, qui chante depuis qu’elle a dû quitter son pays. Ses disques, produits et distribués par le label espagnol Nubenegra, ont fait entendre la musique mélancolique et poignante des camps de réfugiés dans le monde entier. Rencontre au Babel Med avant un concert mémorable …
Vous êtes souvent présentée comme l’ambassadrice du peuple sahraoui. Ce n’est pas un poids trop lourd pour vous ?
Mariem Hassan : Non, ce n’est pas un poids. Je dois le faire parce que je suis la seule à avoir la chance de voyager, de faire connaître ma culture et mon combat dans le monde entier. Je ne dirai jamais que c’est un poids …
Le peuple sahraoui, vous le représentez par la musique. Traditionnellement, quelle est la place des musiciens dans la société sahraouie ?
Mariem Hassan : Autrefois, nous avions des chanteurs et des poètes. Ils chantaient des airs anciens dans les fêtes de famille. Mais tout a changé après 1975, 1976 [NDA : la date de l’exode de dizaines de milliers de Sahraouis, qui fuyaient la guerre vers des camps de réfugiés]. Aujourd’hui, nous sommes des musiciens contemporains, comme partout ailleurs. Nous ne reprenons plus le répertoire traditionnel mais nous composons notre propre musique, sahraouie bien sûr mais contemporaine. Nous écrivons nos propres textes pour nous adapter à notre époque. Nous chantons pour la résistance, pour encourager mon peuple. Personnellement, j’écris depuis plus de 30 ans, depuis l’époque de la guerre, lorsque j’écoutais les femmes qui pleuraient. J’étais jeune. Trois de mes frères sont morts. Mais, moi, je continue, comme tous les musiciens sahraouis, à chanter pour le peuple, pour l’encourager, pour faire passer sa douleur …
Quel est aujourd’hui le rôle des musiciens dans la société sahraouie ?
Mariem Hassan : Autrefois, il y avait des chansons traditionnelles qui dataient de plusieurs siècles et qui parlaient de tout : de la nature, du Sahara, de la beauté des femmes, des rires, … Il y avait également des chansons religieuses, de la poésie. Aujourd’hui, les chanteurs ont une tâche très difficile. Moi, je suis la mère de cinq enfants. J’ai une maison, un mari. Ma mère a 97 ans et vit avec nous dans un campement de réfugiés. Je suis donc à la fois infirmière, mère et chanteuse. C’est difficile. Mais je continue à chanter ma culture, sinon elle va dépérir. La culture est très importante pour nous. Chaque chanson raconte une histoire : elle parle d’une manifestation, d’un prisonnier, d’un martyre, des amis, … La musique est notre mémoire.
Cela fait des années que Manuel Dominguez, le fondateur de Nubenegra, vous accompagne, en produisant différents groupes sahraouis. Pour vous, son travail est important ?
Mariem Hassan : Nous travaillons ensemble depuis 15 ans. Grâce à lui, j’ai énormément appris, j’ai voyagé dans le monde entier, même dans des endroits aussi lointains que l’Australie. Pour moi, c’est très important, parce qu’ainsi deux choses parviennent au monde : la culture et la cause sahraouie. Les étrangers ne comprennent pas les paroles mais ils apprécient la musique. Cela me réconforte. Après des problèmes de santé dans ma famille, j’ai pensé un moment arrêter mais Manuel m’a poussée. Il m’a dit : « Non, n’arrête pas de chanter, viens ». Je ne peux que le remercier pour son aide …
Manuel Dominguez : Moi aussi, je voudrais la remercier parce qu’elle a relevé le pari que j’avais fait. Il est très difficile pour les autres artistes sahraouis de comprendre le marché des musiques du monde. Il leur est difficile d’intégrer le concept de concert, de saisir qu’il faut finir une chanson commencée. Dans leur culture, on sait quand une chanson commence mais jamais quand elle finit. Mariem a eu l’intelligence d’aller voir les autres artistes dans les festivals. Elle prépare ses concerts, elle répète.
Restez-vous optimiste ? Pensez-vous que le peuple sahraoui pourra regagner ses terres ?
Mariem Hassan : Oui, cela prendre peut-être beaucoup de temps mais les Sahraouis retourneront sur leurs terres.
Manuel Dominguez : Avant ta mort ! S’il te plait, ne dis pas que ce sera après ta mort, cela nous rendrait trop triste …
Mariem Hassan : Avant ou après, peu importe ! Il faut continuer de lutter pour la libération du Sahara …
Propos recueillis par François Mauger
Et aussi sur le web :
– le site de Nubenegra
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