Droits de l’homme au Sahara occidental : Les Etats-Unis lâchent-ils le Maroc ?
Les Etats-Unis veulent que l’ONU puisse enquêter sur les atteintes aux droits de l’homme au Sahara occidental, ont indiqué hier des diplomates et des sources proches des négociations. Cette proposition américaine, rejetée par le Makhzen, constitue un tournant majeur de l’attitude de Washington concernant le Sahara occidental.
Avant la fin du mois, les Etats-Unis présenteront un projet de résolution aux 15 pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU pour étendre le mandat de la Mission des Nations unies au Sahara occidental (Minurso) au respect des droits de l’homme. Des organisations de défense des droits de l’homme et un envoyé spécial de l’ONU ont accusé les autorités marocaines de torture de militants sahraouis qui luttent pour l’indépendance du territoire. «Le projet de résolution indique que la surveillance et l’information en matière de droits de l’homme peuvent faire partie des responsabilités de la Minurso», a rapporté à l’AFP une source proche des négociations. Le projet de résolution américain demande aussi que les agences de l’ONU veillent au respect des droits de l’homme dans les camps de réfugiés saharouis de Tindouf, en Algérie, a ajouté la source proche des négociations, s’exprimant sous couvert de l’anonymat.
Les diplomates américains ont refusé de s’exprimer sur le sujet, mais un diplomate à l’ONU a confirmé cet appel à un élargissement de la mission des Nations unies au domaine des droits de l’homme et affirmé qu’il y aurait «des entretiens approfondis sur ce projet». Le texte, qui constitue un coup dur pour le Maroc, est actuellement en préparation au sein du «Groupe des Amis du Sahara occidental» (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Russie et Espagne), en vue de la réunion du Conseil de sécurité prévue à la fin du mois pour examiner le renouvellement du mandat de la Minurso. «Cette proposition innovatrice faite par les Etats-Unis intervient après des décennies de silence de la part de la communauté internationale sur cette crise persistante des droits de l’homme», commente le RFK Center, ONG proche des démocrates américains et des activistes indépendantistes. Cette proposition américaine constitue ainsi un tournant majeur de l’attitude de Washington concernant le Sahara occidental. Alors que jusqu’en 2008, la diplomatie US soutenait fermement Rabat, allant jusqu’à proposer de qualifier l’option d’indépendance d’«irréaliste». Le vent a tourné depuis. En cause : l’arrivée de Barack Obama à la Maison-Blanche, mais surtout les nombreuses promesses non tenues de Rabat concernant l’amélioration des droits de l’homme dans le territoire.
Panique au Palais royal
Face à cette volonté de la communauté internationale d’élargir le rôle de la Minurso au respect des droits de l’homme au Sahara occidental, le Maroc continue à tourner le dos à la légalité internationale et aux résolutions de l’ONU. Le roi du Maroc, Mohammed VI, a réuni, en urgence, lundi les membres de son gouvernement sur le dossier du Sahara occidental. Ils ont rejeté «catégoriquement» les «initiatives» visant à «dénaturer le mandat» de la Mission des Nations unies au Sahara occidental, a indiqué un communiqué du cabinet royal, publié par l’agence officielle MAP. La question de l’extension du mandat de la Minurso fait pourtant l’objet de débats depuis plusieurs années au sein du Conseil de sécurité, mais les autorités marocaines – grâce notamment à la France et son droit de veto – ont toujours réussi jusqu’à présent à faire reporter la décision. En avril 2010, c’est justement le veto français qui avait permis d’«éliminer» toute référence à la question des droits de l’homme dans la résolution du Conseil de sécurité. L’année suivante, en avril 2011, Rabat y a une nouvelle fois échappé de peu, malgré l’épisode Gdim Izik fin 2010, durant lequel la Minurso avait été interdite d’accès au camp par Rabat. Une première version du rapport annuel 2011 de Ban Ki-moon demandait en effet cette extension du mandat de la Minurso, mais le rapport final avait été modifié au dernier moment sous la pression du Maroc qui s’engageait en échange à accueillir au Sahara les Représentants spéciaux de l’ONU. Cette année, le rapport annuel de Ban Ki-moon est clair : le Secrétaire général de l’ONU demande à ce que la Minurso soit dotée d’un mécanisme indépendant pour surveiller le respect des droits de l’homme au Sahara occidental, reprenant ainsi les recommandations du Rapporteur spécial sur la torture, Juan Mendez, et celles du Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
Un tournant décisif dans le dossier sahraoui
Pour sa part, l’ambassadeur des Etats-Unis au Maroc, SamuelI Kaplan, a affirmé que les Etats-Unis considèrent que la proposition marocaine d’autonomie «ne peut pas servir de seule base dans les négociations» pour trouver une solution au conflit du Sahara occidental. «L’ONU et les Etats-Unis considèrent que la proposition marocaine d’autonomie ne peut pas servir de seule base dans les négociations entre les parties au conflit (Maroc et Front Polisario)», a déclaré le diplomate américain dans une conférence-débat, tenue à Casablanca à la veille de la fin de sa mission, entamée en 2009, en qualité d’ambassadeur des Etats-Unis au Maroc. Il a tenu à préciser qu’il ne s’était jamais rendu au Sahara occidental «car il est toujours classé par l’Organisation des Nations unies comme sans souveraineté». L’ambassadeur américain a plusieurs fois souligné dans la presse marocaine que le dossier du Sahara occidental était sous la responsabilité des Nations unies. «Vous devez vous souvenir que nous travaillons sous le parapluie des Nations unies», avait-il souligné à propos de cette question dans une interview accordée en novembre dernier au magazine marocain «TelQuel». A une question sur le rôle que pourraient jouer les Etats-Unis pour pousser à l’acceptation du plan marocain d’autonomie du Sahara occidental, il avait réaffirmé que son pays travaillait sous l’égide des Nations unies, précisant que l’Envoyé personnel du Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies pour le Sahara occidental, Christopher Ross, «n’est pas notre envoyé, il représente l’ONU».
Par Mehdi Ait Mouloud
Le Jour d’Algérie, 17 avril 2013
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