RÉPRESSION • Une association franco-marocaine mène campagne pour les détenus d’opinion du royaume, dont les prisons s’emplissent malgré les promesses du régime.
Créée en 1984, l’Association de défense des droits de l’homme au Maroc (ASDHOM) n’en est pas à sa première campagne en faveur des prisonniers d’opinions! Mais celle lancée en novembre 2012 revêt une importance particulière, puisque le royaume s’est acheté une image démocratique à bon compte, pourtant fort éloignée de la réalité de ses cachots. Des prisons que le «printemps arabe» ne cesse d’ailleurs d’alimenter.
Pour briser le silence et les chaînes de la détention arbitraire, l’ASDHOM orchestre une vaste campagne de lettres et de parrainages depuis la France, sa base arrière.A la veille de la journée internationale pour les prisonniers politiques, Le Courrier a rencontré l’enseignant franco-marocain Ayad Ahram, 49 ans, qui préside la remuante ONG depuis le 2 mars dernier, après avoir été son secrétaire général durant six ans.
Combien de prisonniers politiques y a-t-il actuellement au Maroc? Le chiffre est-il en augmentation depuis le 20 février 2011, lorsque le mouvement protestataire du même nom a démarré?
Ayad Ahram: Le 17 novembre, jour du lancement de notre campagne, nous avions établi une liste de 172 candidats au parrainage. Seulement deux d’entre eux étaient poursuivis tout en demeurant en liberté. Aujourd’hui, le chiffre se monte à quelque 177 prisonniers politiques, répartis en sept groupes, les principaux étant les islamistes (23), les militants du M20F, le «printemps démocratique» (34), et 64 Sahraouis. Parmi ces détenus politiques et syndicaux, quelque septante ont été arrêtés après le déclenchement du M20F en 2011. Cela fait donc 40% de tous les détenus politiques à l’heure actuelle!
L’Etat marocain met constamment en avant ses réformes mais emprisonne des opposants. Cela paraît incohérent, non?
Pour un observateur non averti, le Maroc a mis en place des réformes politiques qui vont dans le sens d’une «transition démocratique». La nouvelle constitution, l’élargissement des prérogatives du Conseil consultatif des droits de l’homme, devenu Conseil national DH, donnent l’impression que le Maroc a fait son «printemps arabe», même si je ne suis pas d’accord sur la terminologie, à laquelle je préfère «printemps démocratique».
Les chancelleries occidentales se sont en tout cas empressées de lui jeter des fleurs et de vanter sa «marche clairvoyante vers la démocratie et le progrès». Mais si l’on creuse un peu plus en profondeur, on remarque que le Maroc est passé maître dans l’art de signer et ratifier les différentes conventions internationales et d’organiser de grands colloques et séminaires internationaux sur le respect des droits de l’homme, sans pour autant se soucier de les appliquer.
Le Parti de la justice et du développement (PJD, islamo-conservateur) est depuis plus d’un an au pouvoir. Son ministre de la Justice, Moustapha Ramid, est un avocat connu, défenseur des droits humains. Quel bilan faites-vous concernant la liberté d’expression et d’opinion?
Je ne me faisais pas d’illusion. En tant qu’avocat, Me Mustapha Ramid avait effectivement défendu, du temps où il n’était pas au gouvernement, des victimes de violations de droits. Mais aujourd’hui il fait partie d’un gouvernement qui n’est pas maître de ses décisions politiques. On a beau parler de la séparation des pouvoirs, mais au Maroc, persiste malheureusement un gouvernement de l’ombre qui gravite autour du Palais (royal, ndlr). Plusieurs arrestations ayant trait à la liberté d’opinion ont eu lieu sous ce gouvernement. Si au début du M20F, les autorités marocaines avaient marqué le pas, présence des caméras de tout le monde oblige, elles n’hésitent plus maintenant à réprimer les rassemblements de protestation pacifique et à condamner des militants. Notre association veut jouer le rôle de garde-fou. Elle ne juge pas les intentions. Elle préfère juger sur pièces.
Une des dernières affaires1 concerne la vingtaine de Sahraouis jugés par le tribunal militaire à Rabat le 17 février et condamnés à de très lourdes peines, suite aux affrontements de l’automne 2010 à Gdim Izik.
Ce procès a été catastrophique à tous points de vue. Catastrophique surtout pour le combat des droits de l’homme que nous menons. L’Etat marocain voulait son procès «exemplaire» destiné à l’opinion intérieure. Il s’est servi de la présence d’observateurs nationaux et étrangers pour tenter de légitimer ce procès intenté à des citoyens sahraouis qui, dans la plupart des cas, sont des défenseurs de droits de l’homme connus pour leur action militante pacifique.
Le refus d’entendre les témoins réclamés par la défense n’est qu’un exemple d’irrégularités qui ont entaché ce procès. Les plaintes des accusés concernant les tortures subies lors des interrogatoires pour leur extorquer des aveux n’ont pas été prises en compte. Rien que le fait que des citoyens civils soient jugés par un tribunal militaire doit poser un problème de conscience. On voit que le tribunal ne cherchait pas à établir la vérité et les responsabilités des événements de Gdim Izik tels qu’ils se sont déroulés.
Où en est-on concernant ce jugement? La récente enquête sur le Maroc du rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture Juan E. Méndez a-t-elle eu un effet?
Non, ce rapport a eu le même traitement que la plupart des textes qui concernent le Maroc: l’indifférence. Aucune action n’a pu ébranler les autorités marocaines.
«Sortir les détenus de leur isolement»
Parrainer un prisonnier est en premier lieu un acte de solidarité. Quel est le but principal de la campagne?
Notre objectif est double: créer une chaîne de solidarité avec les prisonniers politiques pour les sortir de leur isolement et leur enfermement, et mettre la pression sur les autorités marocaines en les interpellant sur le traitement qu’elles infligent à des victimes. Pour un détenu politique, recevoir une lettre d’une personne qu’il ne connaît pas c’est se sentir réconforté dans son combat contre l’injustice. L’idée à venir est d’appeler à une rencontre avec tous les parrains et toutes les marraines en présence de Gilles Perrault, l’écrivain français qui s’associe à la campagne. La date n’est pas encore retenue. Mais je pense que ça devrait se faire avant la fin juin 2013.
La campagne de l’ASDHOM touche pour l’instant la France, la Suisse, la Belgique et le Maroc. Mais nous avons aussi pu la porter au Forum social mondial (FSM) de Tunis, en collaboration avec la Coordination maghrébine des organisations des droits humains (CMODH) et le Forum des associations de luttes démocratiques de l’immigration (FALDI).
Les autorités marocaines détestent être interpellées par des citoyens du monde car cela va à l’encontre du discours qu’elles essaient de faire passer.
Quel impact avez-vous en France et au Maroc?
En France, la campagne a reçu un fort soutien. Notre association collabore avec d’autres collectifs de la diaspora. Mais la tâche la plus dure reste de sensibiliser les migrants marocains à grande échelle.
Au Maroc, la tâche est plus difficile. Nous faisons tout ce qui est possible pour atteindre toutes les victimes de violations au Maroc. Il existe une campagne lancée au niveau du pays par d’autres associations partenaires de défense des droits de l’homme pour la libération des prisonniers M20F et de tous les prisonniers politiques. Nos combats sont ainsi complémentaires et versent dans le même but.
En janvier, quatre militants marocains ont été arrêtés par la gendarmerie à Betz, en Picardie, devant le château du roi du Maroc. Que montre cet incident et, plus largement, quel rôle joue la France au Maroc?
La France était le premier pays à féliciter les officiels marocains suite à leurs quelques initiatives après le déclenchement du Mouvement du 20 Février. Alain Jupée, alors ministre des Affaires étrangères, a même salué «la clairvoyance» du chef de l’Etat marocain dans un discours qu’il prononcé à l’ONU. Les intérêts français sont intimement liés à ceux du pouvoir en place au Maroc. Ce n’est donc pas étonnant que les officiels français ferment les yeux sur les atteintes aux droits de l’homme au Maroc. Cela rappelle étrangement le soutien que la France apportait sans vergogne au régime tunisien de Ben Ali.
L’épisode de Betz montre bien que la France est prête à sacrifier quelques principes quand il s’agit de protéger ceux qui protègent ses intérêts.
Les défenseurs des droits de l’homme au Maroc n’attendent rien des officiels français quant au respect des droits des citoyens. Ils les interpellent au contraire et dénoncent leurs ingérences et le soutien politique qu’ils apportent à un Etat qui ne respecte pas les principes des droits de l’homme. Nous sollicitons par contre les démocrates français et autres ONG de solidarité pour soutenir la lutte du peuple marocain pour le respect de ses aspirations démocratiques à un Etat de droit, à la liberté, à la dignité et à la justice sociale. Propos recueillis par PMi
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