Premiers corps de disparus retrouvés au Sahara occidental : Le crime n’était pas parfait

Environ 80% de ces victimes auraient disparu durant les premières années de l’occupation militaire du Sahara occidental par le Maroc, entre 1975 et 1977, après le retrait de la puissance coloniale espagnole. Rabat peut officiellement être poursuivie pour crime de guerre et crime contre l’humanité. Un berger passait par là en février dernier. Sur le sable du désert sahraoui, des os humains. Quatre mois plus tard, une équipe d’investigation médico-légale espagnole était sur place, à Fadret Leguiaâ, dans la région de Smara, à la demande de l’Association des familles des prisonniers et disparus sahraouis (Afapredesa). Pas de doute, il s’agit bien de deux fosses communes, avec au total les dépouilles de huit hommes sahraouis, dont deux adolescents d’environ 14 ans.

Pour l’Afapredesa, c’est un premier pas vers la vérité quant au sort des quelque 400 disparus dans le cadre du conflit qui oppose le royaume du Maroc aux militants du Front Polisario depuis 1975. Environ 80% de ces victimes auraient disparu durant les premières années de l’occupation militaire du Sahara occidental par le Maroc, entre 1975 et 1977, après le retrait de la puissance coloniale espagnole. Les experts sont venus témoigner à Genève jeudi dernier.

Pour l’Institut d’études sur le développement et la coopération internationale (Hegoa) et la société de sciences Aranzandi, du pays basque, qui ont conduit les recherches, ces huit personnes ont été exécutées de manière extrajudiciaire par l’armée marocaine en 1976. Un véritable crime de guerre et crime contre l’humanité. Donc, imprescriptible, et rendant l’autorité coloniale marocaine passible de poursuites judiciaires devant les instances internationales en charge de ce genre de dossiers. Les papiers d’identité retrouvés sur place, les analyses balistiques et génétiques et les récits des témoins et des familles concordent: «Les victimes étaient des bédouins sahraouis, des civils, qui allaient chercher de l’eau dans un puits proche du lieu des événements, en plein désert, à 400 kilomètres de Tindouf. Ils étaient séparés en deux groupes», assure Carlos Martin Beristain, médecin, enseignant à l’Hegoa, et spécialiste de la question des disparus en Amérique latine. Aali Said Da, un bédouin sahraoui qui avait 12 ans à l’époque des faits, a assisté à l’assassinat des deux compagnons qui se trouvaient avec lui. Il raconte aujourd’hui: «Nous avons été arrêtés par l’armée alors que nous marchions. On nous a emmenés dans des véhicules. Puis ces derniers se sont positionnés en cercle et l’on nous a placés au milieu. Un soldat a demandé à l’un de mes codétenus où se trouvait le Front Polisario. Il a dit qu’il ne savait pas, et ils l’ont abattu. Ils ont fait de même avec mon autre compagnon.

Quand est venu mon tour, je me suis caché derrière un soldat. On a voulu m’emmener, alors je suis monté sur son dos. Ce soldat s’est retourné et m’a ordonné de dire ‘Vive le roi! (du Maroc ndlr)’. J’ai obéi et ils m’ont épargné.» Parmi les huit victimes, quatre figuraient sur la liste nominative de 207 personnes disparues donnée en 2010 par l’État marocain, par l’entremise de son Conseil consultatif des droits de l’homme. Le rapport publié alors par cet organe mentionne que les quatre hommes avaient été emmenés en juin à la caserne de Smara où ils sont morts durant leur détention. Rabat est donc prise en flagrant délit de mensonge. En effet, pour les chercheurs, ces informations sont fausses: «Aussi bien les dates que les faits sont totalement réfutés par la recherche médico-légale effectuée. Les arrestations étaient collectives et se sont produites les 12 et 13 février 1976. Les détenus n’ont pas été transférés dans une caserne mais exécutés immédiatement sur le lieu de l’arrestation», décrit le rapport des instituts de recherche espagnols. L’Afapredesa affirme qu’il n’est pas rare que l’État marocain donne des informations falsifiées à la famille. Plus grave, l’association accuse le gouvernement de ne rien faire pour mettre au jour les très nombreuses fosses communes se trouvant sur le territoire marocain, alors qu’il reconnaît au total l’existence de 351 disparus (144 dont le nom est inconnu), et de cacher les circonstances de leur mort. Or, l’association des parents de disparus rappelle que le Maroc a l’obligation de faire la lumière sur les circonstances de ces disparitions forcées et de prendre des mesures appropriées pour retrouver les victimes. D’autant que ce pays a ratifié la Convention des Nations unies qui porte sur cet objet.

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