L’Arabie Saoudite, ce péril en embuscade

Lakome publie la traduction en français du dernier éditorial d’Ali Anouzla, consacré au rôle joué par l’Arabie saoudite pour freiner la démocratisation de la région. Le journaliste revient notamment sur la guerre d’influence entre les Saoud, le Qatar et l’Iran, ainsi que les relations stratégiques entre Riyad et Washington, dont l’union a donné «ce fils illégitime et maléfique baptisé Al-Qaida».
Ali Anouzla
De la Péninsule arabique aux rives de l’Atlantique, les régimes arabes nourrissent la même crainte de voir, un jour, leurs peuples secouer le joug de la dictature. Il en est même un qui s’est improvisé base de repli pour tous les autres, finançant, encourageant et protégeant les tyrans, jusqu’à offrir l’asile aux fuyards, soigner les malades ou assurer la défense de ceux d’entre eux qui ont été emprisonnés. J’ai cité l’Arabie Saoudite.
Qatar vs Arabie saoudite, le combat des titans
Si le « Printemps arabe » a pris le monde de court, par sa spontanéité, il n’en demeure pas moins que les manipulations dont on commence tout juste à démêler l’écheveau, sont allées bon train, dès les premières escarmouches.
C’est le Qatar, ce minuscule Emirat semblant avoir été enfanté par l’Arabie saoudite, dans les eaux du golfe persique, qui, le premier, a tenté de formater ces « révolutions » au profit de ses protégés, les « Frères musulmans ». Pour cela, Doha s’est essentiellement appuyée sur la force de son impact médiatique, la présence sur son sol de plusieurs dirigeants spirituels et l’injection de millions de « Gazodollars », pour venir en aide à ses alliés islamistes en Egypte, en Tunisie, au Yémen, en Libye et en Syrie.
Une mainmise insupportable, aux yeux des régimes tribaux de l’Arabie Saoudite, des Emirats arabes unis et du Koweït, qui y voient une menace existentielle. D’où l’idée de soutien financier et médiatique appuyé aux Salafistes, menant campagne électorale en Tunisie et en Egypte, contre les Frères musulmans et leur vieux rêve d’instauration d’une « Oumma islamyia » (Nation islamique) et d’un nouveau « Califat ».
Voilà le décor planté pour un affrontement titanesque entre les deux géants du « Panislamisme », le Qatar et l’Arabie Saoudite.
« Frères musulmans » contre Salafistes
Doha est intervenue médiatiquement, financièrement, et même militairement en Libye et en Syrie, pour défaire ses propres alliés, les Frères musulmans, tandis que Riyad s’impliquait militairement, pour mater la révolte populaire au Bahreïn.
Le Royaume wahhabite a également déboursé des milliards de dollars pour faire avorter la révolution yéménite et pour peser sur les élections démocratiques en Tunisie et en Egypte et n’a pas hésité à intervenir en Syrie, par milices interposées. Des milices extrémistes, dont la proverbiale cruauté et les exactions leur valent d’avoir été listées parmi les organisations terroristes.
Riyad a également pesé de tout son poids, pour soutenir le coup d’Etat militaire en Egypte, commençant par y applaudir, avant de se co-fendre, avec d’autres états du Golfe, dont les Émirats, d’un chèque de douze (12) milliards de dollars, comme « aide au changement ».
A l’indignation générale suscitée par la boucherie de la place « Rabiaa Al Adaouiya », Riyad a répliqué, en dépêchant à Paris son Ministre des affaires étrangères, Saoud Al Faysal, avec pour mission de mettre la pression sur les occidentaux et leur rappeler les ressources financières considérables que son pays a investies, dans sa ferme détermination à faire de l’Egypte, la référence universelle, en matière de régime sunnite. Fin de l’indignation occidentale !
Embrouillamini à Doha….
Nul besoin d’effort intellectuel pour comprendre le positionnement de l’Arabie Saoudite, pour qui l’Iran chiite et les Frères musulmans constituent un péril mortel. Et tout comme elle s’en est pris aux Frères musulmans en Egypte, Riyad ne cache pas ses ambitions de formater la révolution syrienne, pour miner l’emprise iranienne dans la région. Autant de prises de positions qui ont, comme par enchantement, coïncidé avec le putsch de palais de Doha, un « Putsh blanc » qui a déposé Khalifa ben Hamad al-Thani, en douceur, alors que son premier ministre Hamad ben Jassim ben Jabr al-Thani se prélassait à bord de son yacht, en raison de son soutien aux Frères musulmans qu’il s’est longtemps évertué à présenter aux Occidentaux comme leur allié pragmatique. Mais nonobstant le fait qu’il n’est apparu depuis le putsh ni lors de l’investiture du Prince Tamim Ben Ahmed, ni en public, l’ex numéro deux, demeure le patron d’ « Al Jazeera », la puissante chaîne qatarie, fidèle soutien à la « Confrérie » en Egypte, en contradiction totale avec les positions du nouveau Ministre des Affaires étrangères, Khaled Al-Attiya qui a applaudi au Coup d’Etat, contre le Président Mohamed Morsi.
…et fin de léthargie saoudienne
Loin de cet inextricable embrouillamini, plusieurs événements ont secoué la légendaire léthargie diplomatique de Riyad et poussé l’Arabie à faire basculer la géopolitique régionale, en faveur de ses intérêts stratégiques : l’élection en Iran, de Hassan Rohani, un pragmatique qui ne cache pas le désir de normaliser les relations de son pays avec l’Occident, l’alignement du Hezbollah sur Téhéran, à propos de la question syrienne, avec le risque accru de renforcement du « Croissant chiite » et l’arrivée au pouvoir, par les urnes, des islamistes apparentés aux « Frères musulmans », en Tunisie et en Egypte, au détriment des courants Salafistes d’obédience saoudienne. Si ces trois événements inquiètent, à coup sûr, le pouvoir saoudien, c’est dans la guerre de succession qui fait rage dans les arcanes du Palais qu’il faut chercher l’essentiel de sa soudaine hyperactivité.
En effet, le chapitre final de l’histoire des Al Saoud, s’écrit avec l’actuel prince héritier Salman Bin Abdelaziz, dernier des fils du fondateur du Royaume. Derrière, une armada de princes ne cachent pas leur ambition de lui succéder un jour. Bandar Bin Soltan est l’un d’entre eux. Le puissant patron des services de renseignements est le deuxième homme fort du pays après Khaled Touijri, Chef de cabinet du Roi Abdallah. Ce dernier est miné par la maladie et sa mort prochaine mettra fin au règne de Touijri, pour sa non appartenance à la lignée royale. Le Prince Bandar qui n’ignore rien de ce postulat est déterminé à user de toute son influence, pour entraîner les américains dans la guerre en Syrie, tout comme il l’avait fait pour l’Irak du temps de la maladie du roi Fahd Bin Abdelaziz, convainquant ce dernier de la prétendue existence d’armes de destructions massives, aux mains de Saddam Hussein.

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