Printemps 2010. L’homme qui sonne à la porte d’un appartement du « Haut-Agdal », dans la capitale marocaine, s’appelle Eric Goldstein. Il estdirecteur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.
Le moment mérite d’être raconté, parce que cette visite insolite va inspirer l’intitulé du document que produira quelques mois plus tard, son organisation, lorsqu’elle dénoncera les conditions épouvantables, dans lesquelles le régime marocain, au prétexte de lutter contre le terrorisme, broie les consciences qui dénoncent ses exactions.
Une heure durant, entre deux sanglots, la femme qui accueille le responsable, raconte l’enlèvement de son fils, Rida Benotmane, de son domicile conjugal, sous les yeux de son épouse enceinte, par un groupe d’inconnus, au soir du 19 janvier 2007, puis la disparition pure et simple de ce dernier.
Au cours de l’entretien, Rachida Baroudi raconte, encore médusée comment les responsables sécuritaires l’avaient, à plusieurs reprises, invitée courtoisement, presque délicieusement, à « arrêter de chercher son fils ! »
La formule stupéfiera à ce point Eric Goldstein et ses collègues, qu’ils en feront le titre éponyme de leur rapport sur les Droits de l’homme au Maroc, publié en Octobre 2010.
Plusieurs mois s’écouleront durant lesquels Rida Benotmane croupira en prison, persuadé qu’il doit pour l’essentiel, son emprisonnement à sa dénonciation de l’intervention américaine en Irak, sur des sites islamistes et des graves atteintes aux droits de l’homme, dans les prisons secrètes du régime marocain ainsi qu’à la publication de photos aériennes des sites de la Direction de Surveillance du Territoire (DST) et du palais royal. Jusqu’à ce qu’Eric Goldstein l’informe par téléphone que l’examen du dossier de police, laisse apparaître, comme principal reproche, l’offense à la personne du roi, Rida ayant utilisé le terme tyran pour désigner Mohammed VI, dans l’un de ses commentaires sur la toile. Et le responsable de Human Right Watch d’ajouter : « Il s’agit d’une condamnation infondée, chacun ayant le droit de qualifier les hommes politiques, selon ses opinions, pour autant que cela s’exprime sans violence, ni diffamation. »
Entre crime de lèse-majesté et apologie du terrorisme
Si plusieurs militants du Vingt Février comme Abdessamad Haydour,Walid Bahomane ou encore Driss Boutarada, ont, lourdement et sans ambiguïté, été condamnés pour atteinte à la personne du roi, et respectivement condamnés à trois ans, dix-huit mois et un an d’emprisonnement, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle entre le cas Benotmane et le cas Ali Anouzla, emprisonné le 17 septembre 2013, pour« assistance à une entreprise terroriste » et « apologie du terrorisme ».
Quelques semaines avant son interpellation, le journaliste indépendant avait publié une série d’articles au vitriol sur le budget de la monarchie, la grâce royale à un multi-pédophile et un narcotrafiquant en prison préventive, ou encore sur l’absentéisme du roi.
Le 28 octobre, soit trois jours après la libération provisoire d’Anouzla, un autre journaliste, Mustapha El Hasnaoui, beaucoup moins médiatique que le premier, était condamné, par la Cour d’appel de Salé, à quatre (4) années d’emprisonnement, après une obscure procédure judiciaire, pour « constitution de bande criminelle, en vue de commettre des actes terroristes, dans le cadre d’une entreprise collective, visant l’atteinte grave à l’ordre public par l’intimidation, la terreur ou la violence » et « non-dénonciation d’actes de terrorisme ».
Reporter à la publication salafiste Assabile, l’homme s’était rendu en Turquie, pour y mener un reportage dans la région frontalière avec la Syrie à propos des réfugiés et des combattants marocains, selon son comité de défense. Bien que la Turquie lui ait refusé l’accès de son territoire, les autorités marocaines l’ont interpellé, le 16 mai, à son retour au Maroc, espérant, à tout le moins, lui soutirer des informations, sinon le voir collaborer à identifier les jihadistes marocains en Syrie et leurs réseaux.
L’Etat terroriste
On le voit, la loi anti-terroriste mise en place en mars 2003, sert à merveille les desseins liberticides du régime marocain et lui permet de condamner, à tour de bras ses opposants. Bien pire, le modus operandi des forces de sécurité marocaines, les procédures induites par la loi, l’opacité de l’instruction et la lourdeur des charges ont pour principal objectif de dissuader la société civile et les militants de tous bords de s’immiscer dans le cours de cette justice d’exception. Une méthode consubstantielle de la terreur distillée par les tyrannies dont fait assurément partie Rabat.
Les exactions menées par le régime marocain à l’encontre de ses contradicteurs, sont allées crescendo, depuis l’arrivée de Mohammed VI au pouvoir et les trois dernières années resteront sans doute inscrites parmi les pires avec plus de deux cent cinquante détenus politiques dont le régime et ses thuriféraires continuent de nier jusqu’à l’existence. Tous les rapports de l’ONU, de Reporters sans frontières, d’Amnesty International etHuman Rights Watch pointent du doigt les sévices physiques, psychologiques et sexuels, menés à l’encontre de personnes arrêtées sous prétexte de lutte contre le terrorisme et dont certaines sont même décédées sous la torture.
Autre effet dévastateur de la fameuse loi, longtemps après la remise en liberté des condamnés, le dossier de l’anti-terrorisme continue de leur coller à la peau. Pour peu que les intéressés appartiennent à un mouvement islamiste, les voilà affublés de l’étiquette d’extrémiste qui les condamne à l’exclusion professionnelle, voire à une faillite personnelle définitive. Le régime ayant alors atteint son but ultime de mettre définitivement hors d’état de nuire des adversaires, des opposants ou de simples militants.
Sept ans de calvaire
L’errance de Rida Benotmane continue. Le jeune père de famille commémorera en janvier prochain, l’an VII de son calvaire. Il n’a pas fini de payer pour des crimes imaginés par le corpus de la dictature marocaine.
Plus de quinze organisations avaient adressé en avril 2011, un mémorandum au Chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, recommandant à ce dernier de le réintégrer à son poste de travail, ce qui revenait de facto, à reconnaître qu’il avait été condamné pour délit d’opinion. Même le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) s’était prononcé en faveur de la mesure.
C’était mal connaître l’acharnement légendaire du Makhzen. Le 09 Octobre 2013, Najib Boulif, ministre chargé des Affaires générales et de la gouvernance et Idrissi Azami, ministre Chargé du Budget auprès du ministre de l’Économie et des Finances, co-signaient la décision de réintégration de Rida à son ancien poste de fonctionnaire, avant que celle-ci ne soit brutalement annulée le 25 Octobre, sans autre explication.
Un ultime rebondissement en forme de mesure coercitive. Révoltant parce qu’il apporte du crédit aux voix qui s’élèvent de plus en plus nombreuses, jusque parmi les proches de la monarchie, pour reconnaître qu’il n’existe pas d’Etat marocain. Une autre façon de dire que nous sommes en présence d’une organisation tentaculaire et omnipotente qui tisse sa toile dans l’ombre pour agir sur le destin d’une quarantaine de millions d’âmes. Dans n’importe quelle langue, cela porte un nom : Mafia
Salah Elayoubi
Be the first to comment