Frustré d’être toujours la «maîtresse qu’on n’aime pas» comme l’a avoué un diplomate français, le Maroc entend s’affirmer devant la puissance colonisatrice en prenant certaines décisions censées le mettre sur le même pied d’égalité que Paris, à l’image de la suspension des accords judiciaires, en réaction à l’ouverture d’une enquête pour torture à l’encontre du chef des services secrets marocain.
Le «coup de force» du Makhzen accompagné de la traditionnelle manifestation devant l’ambassade du pays détesté par le roi, en l’occurrence la France, avait pour fonction de montrer une pseudo autonomie de Rabat vis-à-vis d’une nation qui n’a en réalité jamais cessé d’être une tutrice du royaume.
Il reste néanmoins que cette réaction épidermique ne sera pas sans conséquence, faut-il le souligner. Déjà, il y a lieu d’enregistrer la réaction de l’ONG française Action chrétienne pour l’abolition de la torture (ACAT). «Cette décision va favoriser l’impunité des tortionnaires en bloquant les demandes de transfèrement en France de ressortissants français détenus sur le territoire marocain ainsi que les demandes d’assistance judiciaire».
L’affaire prend, en effet, des proportions qui égratignent l’image «lisse» du Maroc auprès l’opinion internationale. Il faut savoir que Mme e Hélène Legeay, responsable Maghreb/Moyen-Orient à l’ACAT, accuse purement et simplement le royaume alaouite d’interrompre le transfèrement de détenus français condamnés au Maroc, pour «les empêcher de porter plainte pour torture à leur arrivée en France». L’on comprend le véritable but de la suspension de la coopération judiciaire. Et les critiques ne s’arrêtent pas là puisque la même responsable affirme que «le Maroc prend en otage les prisonniers français pour assurer la pérennité du système tortionnaire marocain». Ces accusations d’une gravité sans précédent de la part d’une OING française, feront immanquablement réagir les gouvernements des deux pays, français et marocain.
Rabat payera-t-il la facture salée de son empressement à sauver la tête d’un de ses fonctionnaires où n’a-t-il pas le choix en raison des méthodes expéditives de ses services de renseignement ?
A l’origine de cette affaire, il y a eu l’ouverture d’une enquête de la justice française, établie le 20 février dernier, des policiers se sont rendus à la résidence de l’ambassadeur du Maroc en France pour remettre une convocation au patron de la DGST pour l’entendre. Il est accusé de «complicité de torture» par trois victimes défendues par l’ACAT (deux marocains et le militant sahraoui des droits de l’homme Naama Asfari).
Face à la réaction du Maroc, le quai d’Orsay annonçait avoir «immédiatement demandé que toute la lumière soit faite, le plus rapidement possible, sur cet incident regrettable». Me Joseph Breham, a alors affirmé qu’en fait, «l’incident en question n’est autre qu’un acte judiciaire pris par un juge d’instruction français indépendant dont on ne peut que saluer la diligence et le sérieux».
On en est donc à une gestion politico-judiciaire du dossier, mais vu l’«entêtement» de l’ACAT, le gouvernement français pourrait fort bien lâcher son allié dans la région du Maghreb. Un lâchage d’autant plus envisageable que les accusations de tortures sont également formulées par les Etats-Unis d’Amérique à l’endroit du Maroc.
Ainsi, Washington a clairement et ouvertement dénoncé la violation par le Maroc des droits de l’homme des Sahraouis au Sahara occidental occupé, en qualifiant la situation de “”grave problème’’, en s’indignant de la violence physique et d’autres moyens coercitifs pour “”étouffer’’ les revendications indépendantistes et le droit à l’autodétermination. «Le plus important problème des droits de l’homme spécifique aux territoires sahraouis réside dans les restrictions pratiquées par le gouvernement marocain contre les défenseurs sahraouis des libertés civiles et des droits politiques» souligne le département d’Etat dans son rapport mondial sur la situation des droits de l’homme publié jeudi.
Un rapport qui tombe manifestement au mauvais moment et met le royaume marocain dans une situation plus que délicate devant ses plus grands alliés. On en peut pas conclure d’ores et déjà à un lâche politique, mais la mise en évidence du véritable visage du régime de Mohamed VI et de son gouvernement islamiste constitue, en soi une avancée dans le dossier sahraoui.
Ouest Tribune, 01/03/2014
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