Les relations quasi incestueuses, qui existent entre Madrid et Rabat, donnent l’air d’avoir favorisé le lâchage de ce grand journaliste par sa direction, livré ainsi en pâture aux chiens de garde de Mohamed VI. Qui l’eut cru ! Le grand journal espagnol «El Pais», qui s’est tout récemment distingué en obtenant le prestigieux prix Pulitzer, grâce à son travail mené avec le site WeekiLeaks et Assange, vient de faire montre d’une veulerie qui en dit long sur la liberté de la presse et l’indépendance des journaux au royaume ibérique.
Attaqué par le Maroc et lâché par sa direction, Ignacio Cembrero, grand reporter de ce quotidien, et spécialiste des affaires maghrébine, a démissionné. Ignacio Cembrero, un des meilleurs spécialistes du Maghreb au quotidien espagnol, explique sur les colonnes du journal français «Libération», les raisons de sa démission et dénonce le fait que sa direction ne l’ait pas soutenu. «Après près de trois décennies à El País, je quitte le journal suite à des désaccords avec la direction. Elle ne m’a pas soutenu depuis que le Premier ministre du Maroc a porté plainte contre moi pour apologie du terrorisme», dit-il.
Durant le mois de février, déjà, ce journaliste émérite voyait venir les choses. Sans la moindre raison probante, en effet, sa direction avait décidé de le muter vers un autre service pour ne plus couvrir le Maroc. Une décision tout aussi incompréhensible qu’arbitraire, sachant (par exemple) que c’est ce journaliste qui avait révélé l’affaire «Galvan», ce pédophile espagnol qui a violé onze enfants marocains, condamné à 30 ans de prison, puis gracié, par erreur, par le roi Mohamed VI, qui avait provoqué de violentes manifestations dans le royaume. Joint par Libération, le journaliste explique : «Je n’aurai pas pensé que ma carrière puisse se terminer de cette façon-là. Je me considère trahi par la direction sortante de mon journal».
Pour rappel, le Maroc avait déposé, le 20 décembre 2013, une plainte contre Ignacio Cembrero pour «apologie du terrorisme». La plainte a été déposée après que Cembrero ait publié sur son blog, hébergé par El País, une vidéo d’Aqmi menaçant le Maroc. Le journaliste marocain, Ali Anouzla, avait été arrêté le 17 septembre à Rabat pour avoir placé, sur la version arabophone du site d’informations «Lakome», un lien vers la même vidéo. Il a été inculpé pour «aide matérielle, apologie et incitation au terrorisme. Suite à une campagne de mobilisation au Maroc et à l’étranger, Ali Anouzla a été remis en liberté provisoire, un mois plus tard. Ignacio Cembrero avait fait remarquer que la même vidéo est «toujours visible sur un certain nombre de sites», sans pour autant que «le Maroc ne porte plainte contre eux».
Le lâchage d’El Pais, qui porte un sévère coup à la crédibilité de ce journaliste, donne l’air d’avoir été «dicté» par des considérations géostratégiques, et même bassement matérielles. Il est de notoriété publique, en effet, que le Maroc n’a jamais hésité à mettre la main dans la poche pour acheter les consciences des uns, et amener les autres à agir et à s’exprimer conformément à ses propres desiderata, dussent-ils être contraires au droit international et aux notions les plus basiques de respect des droits de l’Homme.
Kamel Zaïdi
Le Courrier d’Algérie, 10/05/2014
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