Le pillage des ressources du continent constituent une nouvelle vague de colonisation.

Pour Nnimmo Bassey la lutte est holistique pour reconstruire un sens de la productivité basé sur la foi en la capacité inhérente des gens à construire leur propre économie. Le directeur de la Health of Mother Earth Foundation revient sur ses multiples combats.
Amdandla (A) : Comment pourrait-on vous présenter ?
Nnimmo (N) : Je suis Nnimmo Bassey. Je dirige la Health of Mother Earth Foundation (Fondation pour la santé de la Terre Mère) qui est un groupe de réflexion pour l’écologie. Je coordonne aussi Oil Watch International, qui est un réseau de résistance du Sud global. Je suis poète, écrivain et architecte
A: Vous avez une formation d’architecte ? 
N : oui
A : Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur les questions pétrolières ?
N : Le problème du pétrole au Nigeria est aussi ancien que moi. Et le problème n’est pas en train de s’améliorer. Quoique moi je m’améliore avec les années ! (rires) Je plaisante. J’ai commencé dans la vie comme militant des droits humains après ma sortie de l’université. Parce qu’à cette époque le Nigeria était sous régime militaire. Les militaires ont gouverné le Nigeria pendant plus de 30 ans, ce qui a réellement affecté les structures politiques du pays. Ainsi, à cette époque nous avions de sérieuses violations des droits humains. 
La communauté des droits humains était plus soucieuse de lutter pour de meilleurs conditions de détention, à lutter généralement pour les droits des gens. Moi, j’étais plus préoccupé par les aspects environnementaux, particulièrement par ce qui se passait dans les champs pétroliers avec des multinationales comme Shell, Chevron, Exxon, Agip qui polluaient régulièrement le delta du Niger et détruisaient les moyens de subsistance des communautés. 
J’ai aussi grandi au cours de la guerre civile au Nigeria. Le Nigeria a combattu dans une guerre civile contre le Biafra et, à vrai dire, mon village a été sur la ligne de front pendant toute la guerre avec des soldats nigérians vivant dans mon village, pendant que les soldats biafrais vivaient dans le village d’à côté. Ils ne faisaient que jouer à des jeux divers entre eux, mais bien sûr nous ne pouvions pas rester. Nous avons dû quitter au début de la guerre. J’étais alors un petit garçon et je suis parti avec mes parents. Mais avant que nous ayons quitté le village, j’ai vraiment vu la méchanceté humaine : des innocents tués, partout des cadavres, des enfants abandonnés par leurs parents. Parfois je me souviens des voix que j’ai entendues alors. Ainsi lorsque je vois des situations où les gens sont opprimés ou qu’on leur nie leurs droits, je suis réellement offensé.
A : Pouvez-vous préciser l’échelle de la destruction que ces différentes compagnies ont causées dans le delta du Niger ?
N. Oui. C’est mieux de voir par soi-même mais je vais essayer. Nous avons en moyenne une fuite de pétrole par jour dans le delta du Niger. En fait, si vous vous souvenez du déversement de pétrole de l’Exxon Valdez en 1989, ou quelque chose comme ça, vous avez l’équivalent de ce déversement chaque année dans le delta du Niger. C’est vraiment compliqué. Parce que les déversements d’Exxon, ou celui du golfe du Mexique avec BP, ont donné lieu à de sérieux efforts de nettoyage. Au Nigeria il n’y a pas ce genre d’efforts sérieux de nettoyage. 
Si vous visitez le delta aujourd’hui, vous pouvez voir, dans un endroit appelé Ebubu Ejama où il y a eu un déversement en 1970, le pétrole qui est toujours visible ; il n’a pas été nettoyé. Ce que la compagnie pétrolière a fait, c’est construire une barrière autour et stationner des militaires pour protéger le déversement. Mais il y a des milliers de fuites et déversements. 
Vous pouvez visiter certaines communautés et vous trouverez les criques et les cours d’eau couverts de pétrole brut et pourtant les gens doivent boire cette eau. L’exemple le plus clair est le cas de l’Ogoniland où le Programme des Nations Unies pour l’environnement a publié un rapport il y trois ans, qui disait que toutes les eaux de l’Ogoniland étaient contaminées. Toute l’eau ! 
Lorsque les gens vivent dans un environnement tellement toxique, il n’est pas surprenant que l’espérance de vie soit très basse. C’est une situation désespérée. Mais c’est quand même mieux que dans d’autres parties du delta du Niger. Parce que l’extraction du pétrole a trouvé un terme en 1993 lorsque Shell a été expulsé par le Movement for the survival of the Ogoni People (le Mouvement pour la survie du peuple ogoni)
Une chose qui est vraiment perturbante dans le delta du Niger est que les multinationales sont vraiment douées pour déformer les histoires. Ils amènent des journalistes étrangers et locaux pour faire ce qu’ils appellent un tour de la pollution du delta. Ils les emmènent en hélicoptère, pointant les endroits où la pollution a lieu, prétendant que ce n’est pas eux qui causent la pollution mais les communautés locales.
A : Dans le cadre de votre travail. Comment avez-vous défendu les communautés vivant dans cette région ? Vous avez dit qu’il n’y a eu aucun nettoyage ?
N : Non, aucun nettoyage. Ils vous diront bien sûr qu’ils ont nettoyé. Et ils vous montreront des certificats selon lesquels ils ont nettoyé. Des certificats signés. Mais ces certificats ne valent rien.
Nous travaillons avec ces communautés de nombreuses façons. Je crois que la chose la plus effective que nous faisons, c’est partager les connaissances avec elles, pour qu’elles connaissent les outils disponibles, les lois qui ont trait aux opérations pétrolières dans le pays et qu’elles sachent comment faire usage de ces outils pour défendre l’environnement afin de prévenir davantage de dommages. 
Ainsi nous soutenons les communautés dans des procès contre l’Etat et les multinationales. Nous travaillons avec elles sur les dangers… Je veux dire les dangers physiques qui résultent des déversements de cru et des torchères. Parce que parfois, là où les communautés tentent de trouver un emploi dans le secteur, elles veulent des contrats de nettoyage pour nettoyer la pollution. En attendant, les firmes locales n’ont pas les compétences suffisantes pour ce genre de nettoyage, ils n’ont pas l’équipement. Nous disons aux personnes de ces communautés « Ne prenez pas ces emplois ». Vous devriez insister pour que l’environnement soit proprement nettoyé là où il y a des déversements.
L’autre chose que nous faisons, c’est mettre les communautés en relation les unes avec les autres pour qu’elles partagent leur histoire et se renforcent. Nous organisons des échanges entre pays africains.
A : Par exemple, lorsque vous parlez de partage des connaissances légales, est-ce vraiment effectif dans un pays comme le Nigeria où les processus judiciaires sont notoirement difficiles ? C’est très difficile d’obtenir justice par ces moyens ?
N : Si nous considérions les difficultés et la peine qu’on a à obtenir ce que nous voulons, nous renoncerions. Il n’y aurait pas besoin de militants. J’allais mentionner cela précédemment. En 2005, nous avons obtenu un jugement contre les torchères et ceci était très inattendu. Et les juges ont déclaré : « Voyez-vous, cela va à l’encontre des droits constitutionnels de ces communautés que de brûler les gaz par des torchères parce que vous leur nuisez. Vous devez faire des plans pour mettre un terme aux torchères et les arrêter. » Ils n’ont pas arrêté. A ce jour, il y a des torchères dans cette communauté, mais la compagnie a été secouée lorsqu’elle a compris qu’il pouvait y avoir des jugements contre elle. Ceci donc était significatif. Récemment, nous avons aussi travaillé avec quatre communautés dans le delta du Niger afin de traduire Shell en justice à La Haye. Le verdict a été que trois des cas étaient non recevables. Mais pour un cas, Shell a dû rendre des comptes. Ainsi ce genre d’activité les met à l’épreuve et aide les communautés à savoir qu’au moins, quelque part, elles peuvent obtenir justice, peu importe combien de temps cela prendra et combien insatisfaisant cela peut être.
A : Outre le pétrole, vous avez travaillé sur d’autres sujets comme les organismes génétiquement modifiés et les questions de souveraineté alimentaire. Qu’est-ce que vous pouvez me dire sur ces sujets ?
N : Oui. Mon premier engagement date de 2002 lorsque la Zambie connaissait une certaine pénurie alimentaire et a eu besoin d’assistance. La communauté internationale a offert du maïs Ogm et la Zambie a déclaré qu’à moins que ce maïs soit moulu elle ne l’accepterait pas. Ce fût une grande bataille politique. Et il y avait des propos comme « Comment la Zambie, un pays affamé peut-il exiger le genre de nourriture qu’il veut ? Ne sait-il pas que les gens meurent ? Comment peut-il perdre du temps alors que les gens meurent de faim ? » 
La pression était énorme. Parce que s’ils vous envoient du grain Ogm entier, des grains vont germer et pousser dans votre pays et ainsi vous aurez une contamination. Raison pour laquelle la Zambie insistait pour que le maïs soit moulu. Finalement, la Zambie n’a pas accepté l’aide alimentaire. Avant cela, elle a réussi à remédier à la pénurie parce qu’il y a toujours de la nourriture quelque part dans la région. Et ce sera le genre de nourriture que les gens connaissent, quelque chose à quoi ils sont accoutumés, plus bénéfique pour eux que si quelqu’un leur amène des choses étrangères que les gens ne mangent pas ; ce qui changeraient leurs habitudes alimentaires et leur culture. 
C’est ce genre de politique qui m’a amené à m’engager dans les questions alimentaires. Parfois ce n’est pas juste la question qu’il n’y a pas de nourriture. Il y a d’autres facteurs qui empêchent l’accès à la nourriture comme des infrastructures insuffisantes, des barrières politiques et aussi les intérêts de certains à fournir de l’aide alimentaire parce qu’elle devenue un très important business. Ce n’est pas de l’aide. Ce n’est pas un cadeau. Ce n’est pas gratuit. Ce n’est que dans l’urgence, dans une guerre ou quelque chose de cette nature, que vous pouvez obtenir de la nourriture gratuitement.
La question de la manipulation génétique en Afrique est une grande question parce que l’Afrique semble être la dernière frontière. L’industrie de la biotechnologie ne parvient pas à pénétrer l’Europe malgré ses meilleurs efforts et même aux Etats-Unis, elle progresse clandestinement en évitant que les gens sachent ce qu’ils mangent. 
En Afrique, parce que nous avons de petites fermes, que 70% de la population est engagée dans ces petites fermes, ceci pourrait représenter un grand marché pour l’industrie de la biotechnologie. Cela n’a pas été facile pour eux parce qu’ils ont l’habitude de traiter avec les grandes exploitations industrielles. Ils ont donc eu de la peine à essayer de prouver que les petits paysans peuvent aussi bénéficier de ce genre de technologie qui requiert de la mécanisation, toutes sortes d’intrants chimiques qui sont au-delà des moyens de ces petits paysans. Les partisans des Ogm prétendent qu’elles offrent un meilleur rendement, demandent moins de labeur, nécessitent moins d’intrants chimiques. La preuve est faite que ceci est faux. Chaque année, ils nécessitent davantage de produits chimiques. Leur rendement n’est pas nécessairement supérieur. 
Je me souviens de l’époque où l’industrie de la biotechnologie produisait le riz doré supposé avoir une teneur plus élevée en vitamine A. Des scientifiques indépendants ont démontré que vous devez manger 5 kilos de ce riz par jour – qui est-ce qui mange 5 kilos de riz par jour ? – pour avoir l’équivalent en vitamine A de deux carottes. Ce ne sont pas des façons de mentir ainsi et de manipuler les gens concernant vos produits. Au Nigeria, ils font des essais en plein champ de manioc génétiquement modifié. Une fois que l’une de ces variétés est sorti dans l’environnement, vous ne pourrez simplement pas l’extirper parce qu’elle ressemble à toutes les autres. Les gens croient que tout ce qui est Ogm sera très gros et fabuleux ! Mais ceci n’est pas nécessairement vrai. Ça fait juste partie du mythe.
A : Vous avez toutes ces différentes choses qui ont lieu dans différentes parties du continent. Vous vous intéressez aux Ogm, vous vous intéressez de plus en plus à l’industrie d’extraction des compagnies multinationales dans le pétrole, le gaz, les minerais et vous voyez aussi ces solutions basées sur le marché comme solution aux problèmes écologiques qui est en elle-même un entreprise à but lucratif. Par exemple nous avons des choses comme la Révolution verte, comme Agra, Alliance for a Green Revolution in Africa. Comment pensez-vous que les gens sur le continent peuvent s’organiser pour lutter contre l’industrie d’extraction mais également pour ne pas entrer dans le discours néolibéral qui veut lutter contre les problèmes de l’environnement par des initiatives lucratives ? Que faire sur ces deux questions ?
B : (rires) Ce sont des problèmes compliqués ! L’attaque sur le continent est en effet une nouvelle vague de colonisation. Il y a une colonisation écologique et une colonisation de l’extraction. Nos pays, nos gouvernements tombent dans le piège croyant que quelque chose désigné comme « investissement étranger direct » est une bonne chose. Ainsi ils assouplissent toutes les lois, suppriment les taxes, etc. Ils font n’importe quoi pour attirer ceux qui veulent investir. Ils vendent nos terres. Et puis, bien sûr, il y le marché écologique néolibéral qui considère les forêts comme des puits à carbone. Et les gouvernements s’éloignent de la population. Il doit donc, un jour, y avoir des répercussions politiques.
Je pense que nous devons accroître l’organisation politique dans nos pays afin de s’assurer que les politiciens travaillant avec des prédateurs soient tenus à l’écart des affaires de l’Etat autant que faire se peut, ou qu’ils soient éconduits lorsqu’ils se présentent aux prochaines élections. Mais c’est un lent processus que de faire comprendre aux gens les imbrications de toutes ces choses.
A : Comment faites-vous pour faire comprendre cela aux gens ? Par exemple, leur faire comprendre la façon dont AGRA se vend, en usant du langage des petits paysans, leur promettant de leur fournir des ressources. Quand ils font usage du discours des petits paysans, comment les gens peuvent-ils comprendre qu’il n’a pas la signification qu’il semble avoir ?
B : C’est très difficile, particulièrement avec les arguments d’Agra parce qu’il s’agit du langage juste. Ils n’admettront pas qu’ils veulent introduire les Ogm ou quelque chose de cette nature. Ce n’est pas facile pour ceux qui croient leur narration de changer d’avis. Mais c’est une chose, comme je l’ai dit précédemment, qui appelle une longue lutte. Inévitablement, la vérité se fait jour. Nous espérons qu’elle n’arrivera pas trop tard. C’est comme pour ceux qui ont vu le désastre du delta du Niger. 
Imaginez ce qui se passe en Ouganda. On fore du pétrole sur les rives du lac Albert. Or le lac Albert est une des sources du Nil. Par ailleurs quand est-ce que les gens vont se réveiller pour découvrir qu’ils n’ont plus de terres parce qu’elles ont toutes été vendues ? Quand allons-nous comprendre que les minerais, quel qu’ils soient, ne profitent pas à ceux qui vivent là où sont les mines ? La lutte est holistique. Nous devons la considérer sous tous ses angles et reconstruire un sens de la productivité basé sur la foi en la capacité inhérente des gens à construire leur propre économie. Nous devons redéfinir le chemin du progrès. Où voulons-nous aller ? Nous avons du pain sur la planche.
Audio interview here: http://bit.ly/1n3KJuN
http://www.pambazuka.org/fr/category/features/92574

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