Bien que poursuivi par la justice française à la suite de plusieurs plaintes pour actes de torture, le chef du contre-espionnage marocain, Abdellatif Hammouchi, sera tout de même décoré de la légion d’honneur. Une récompense annoncée par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve lors de sa visite à Rabat samedi – visite hautement symbolique qui avait pour ambition de mettre un point final à la brouille entre les deux pays.
À l’origine de la crise diplomatique entre les deux pays : trois plaintes déposées à Paris en février 2014 contre le patron du contre-espionnage marocain pour « torture » et « complicité de torture ». Des policiers s’étaient alors rendus à la résidence de l’ambassadeur du Maroc près de Paris pour notifier à Abdellatif Hammouchi une demande d’audition de la justice française. Furieux, le Maroc avait alors récusé les accusations et suspendu sa coopération judiciaire avec Paris.
De son côté, le Quai d’Orsay avait tenté de temporiser en promettant que « la lumière serait faite ». Faisant fi de l’enquête judiciaire en cours, le locataire de la Place Beauvau n’a évidemment pas tari d’éloges sur Abdellatif Hammouchi pour justifier la décoration et marquer la réconciliation entre les deux pays. Bernard Cazeneuve a témoigné toute son estime à l’homme et a loué « un partenaire-clé » dans le domaine du renseignement.
Si l’affront semble aujourd’hui avoir été lavé, la lumière n’est pas faite pour autant. Les ONG de défense des droits de l’homme qui soutiennent les plaignants marocains ont été choquées de l’annonce. « Nous nous étonnons que la France puisse décorer une personne visée par plusieurs plaintes pour torture et faisant l’objet d’enquêtes judiciaires en France », a indiqué la chargée du pro- gramme Maghreb à Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat), Hélène Legeay. Préoccupée par le contenu du nouvel accord de coopération judiciaire entre Rabat et Paris signé le 31 janvier, elle imagine que certaines concessions ont pu être accordées à Rabat. « Il semble que cette décoration soit l’une des contreparties de la reprise de la coopération, un geste destiné à laver le soi-disant affront de la justice française qui a osé faire son travail en convoquant monsieur Hammouchi le 20 février 2014 », poursuit Hélène Legeay.
Le jour même de l’annonce de Bernard Cazeneuve, le président d’honneur de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) et avocat des plaignants, Patrick Baudouin, dénonce lui un « véritable scandale, une honte pour la France […] qui perd son âme ». Pour lui, c’est « avilissant d’avoir cédé dans le cadre d’un deal passé avec les autorités marocaines pour permettre un rétablissement de la coopération mili- taire et sécuritaire ».
La Tribune des Lecteurs , 18/02/2015
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