Le Forum suscite la controverse avec sa décision d’organiser son prochain événement au Sahara occidental. Plusieurs politiciens craignent que cela ne ternisse l’image de la Suisse et de la station valaisanne.
Le Crans-Montana Forum qui aura lieu du 12 au 14 mars prochain, c’est un peu le Paris-Dakar des conférences humanitaires. Il ne se déroule pas là où son nom le laisserait croire. Bien loin des Alpes valaisannes, la prochaine édition aura lieu dans le désert. Au Sahara occidental, à Dakhla plus précisément. Placée sous le patronage du roi du Maroc, cette manifestation qui dit promouvoir un «monde plus humain et impartial» s’est attiré les foudres de l’Union africaine, qui a menacé de la boycotter.
Pour rappel, le Sahara occidental est un territoire autonome, placé sous la juridiction de l’ONU, en attente d’un référendum sur son indépendance depuis bientôt 25 ans. Cette localisation controversée a entraîné par ailleurs la désaffection de partenaires réguliers du festival, tels que l’Unesco et sa directrice générale, Irina Bokova.
Un dégât d’image pour la Suisse?
Invité à y participer mais ayant refusé, Carlo Sommaruga, président de la Commission de politique extérieure du Parlement, se montre méfiant: «J’ai interpellé le Conseil fédéral pour m’assurer qu’il n’y avait pas d’appui financier ou politique de la part de la Confédération.» Pour l’élu de gauche, les invitations du forum, qui mentionnent «Dakhla, Maroc», montrent «un mépris total du peuple sahraoui». Liliane Maury Pasquier, conseillère d’Etat socialiste, partage cet avis: «C’est problématique que ce forum se présente comme une ONG suisse. Il pourrait y avoir un dégât d’image pour notre pays.» Le président des Jeunes Verts, Illiat Panchard, a même écrit une lettre à Didier Burkhalter, chef du Département des affaires étrangères, pour lui demander que la Suisse s’oppose à l’organisation du Forum au Sahara occidental.
Crans-Montana, le forum monégasque
Malgré un exil dans des circonstances troubles à Monaco, le Forum a gardé son nom d’origine. Les bureaux, les employés ainsi que la raison sociale du Forum ont été déplacés dans la Principauté monégasque. Cette organisation n’a donc plus rien de suisse si ce n’est son fondateur, Jean-Paul Carteron, et le «.ch» du site Internet.
Carlo Sommaruga fustige le double jeu du Forum, qui annonce sur son site «une organisation possédée et dirigée par un Suisse, gérée à Monaco». Il affirme même que cette revendication suisse serait contraire à la loi sur la propriété intellectuelle: «Sachant que le Forum ne possède pas de bureau ou de financements suisses, c’est une escroquerie intellectuelle méprisable.» Le politicien ajoute: «Ce n’est pas normal qu’un ancien diplomate français, au service de grandes puissances étrangères comme la France ou le Maroc, utilise la neutralité de la Suisse pour donner une crédibilité à son organisation.» Le flou qui entoure le Forum gêne aussi Stéphane Pont, président de l’Association des communes de Crans-Montana: «C’est une situation regrettable. Jusqu’à présent cela ne nous avait pas posé de problèmes que notre nom soit utilisé, mais, au vu des événements récents, je n’exclus pas que nous demandions une modification du nom du Forum.»
Un businessman de l’humanitaire
Ancien avocat de François Duvalier, l’ancien dictateur haïtien, Jean-Paul Carteron est aussi ambassadeur des îles Salomon auprès de l’ONU et directeur de la Chambre de commerce albano-suisse. Cet homme d’affaires, titulaire de la Légion d’honneur et reconverti en philanthrope, a toujours aimé mélanger les genres. On peut ainsi voir sur la mosaïque de photos officielles des forums précédents des dictateurs comme l’Azéri Ilham Aliyev ou encore le Turkmène Gurbanguly Berdi muhamedow, mélangés à des personnalités beaucoup plus consensuelles comme feu l’abbé Pierre ou Simone Veil.
Contacté, Jean-Paul Carteron n’a accepté de répondre que par écrit et seulement au nom du Crans-Montana Forum. Concernant le choix du lieu, il explique: «Il n’existe aucune résolution de l’ONU qui serait de nature à interdire l’organisation d’une rencontre […] à Dakhla!»
Répondant aux critiques sur le lien qui le rattache à la station valaisanne, il ajoute: «Le Forum ne s’y tient malheureusement plus pour l’instant», mais a «gardé des liens permanents et étroits avec Crans-Montana». Une version que conteste Stéphane Pont, président de l’Association des communes concernée: «Je n’ai jamais eu de contacts avec ce monsieur. Je ne suis même pas sûr qu’il sache qui je suis et je ne le reconnaîtrais pas dans la rue…»
Les règles pourraient conduire à un changement de nom
Selon Eugène Parise, avocat spécialisé dans la propriété intellectuelle, l’Association des communes de Crans-Montana serait «fondée à demander au Forum de changer de nom immédiatement». Pour l’avocat, c’est l’absence d’attaches réelles avec la Suisse qui pourrait justifier une demande de la part des communes valaisannes. Il observe cependant qu’elles devraient prouver qu’il y a un dégât d’image causé par le Forum. Pascal Fehlbaum, avocat spécialisé dans le domaine de la propriété intellectuelle, se remémore un cas où la commune de Montana avait justement demandé et obtenu du Tribunal fédéral l’interdiction d’utilisation de son nom par l’Institut Montana de Zoug. Il rappelle que l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IFPI) peut refuser l’enregistrement d’un signe géographique qui serait utilisé comme une marque suisse en cas d’inexactitude de la provenance de ladite marque. Celle-ci est déterminée par le siège social, la nationalité ou le domicile des personnes qui en exercent le contrôle effectif. Il ajoute aussi que dans la mesure où le site Internet ne s’adresse pas aux internautes en Suisse, ce ne serait pas le juge suisse qui serait compétent en cas de litige. Une éventuelle procédure pourrait avoir lieu là où l’entreprise est domiciliée, c’est-à-dire à Monaco en l’occurrence, et dépendrait donc du droit monégasque.
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