Claude Mangin Asfari, militante française des droits de l’homme au Sahara occidental, à Reporters : «Les médias français font du dossier sahraoui une question taboue»
Claude Mangin Asfari est militante des droits de l’homme de longue date, membre de l’Association française des amis de la RASD et épouse d’un prisonnier politique sahraoui incarcéré dans la prison marocaine de Salé. Cette Française se retrouve ainsi au cœur de la dernière question de décolonisation de l’Afrique qui s’étire depuis 1975 avec, depuis 1991, la promesse d’un référendum sur l’autodétermination du peuple sahraoui, qui n’a toujours pas eu lieu. Approchée par Reporters en marge des travaux du 14e Congrès du Front Polisario, qui se poursuivent jusqu’au 20 de ce mois à Dakhla, elle a bien voulu répondre à nos questions. Entretien.
Reporters : Qu’est-ce ça vous fait d’être l’épouse d’un militant et prisonnier politique sahraoui ?
Claude Mangin-Asfari : Que voulez-vous que je vous dise. C’est ainsi que va le train de ma vie. Un rituel que je mène depuis treize ans déjà. Disons que je mène du tourisme carcéral en lui rendant visite, lui et ses compagnons, une visite une fois chaque quatre mois dans la prison de Salé, au Maroc, où il a été enlevé, torturé et incarcéré le 7 novembre 2010, la veille du démantèlement par la force par l’armée coloniale marocaine du « campement de la liberté et de la dignité » de Gdeim Izeik.
Chose qui n’est assurément pas facile…
Bien entendu. Mais cela m’encourage à aller de l’avant dans mon combat aux côtés du peuple sahraoui pour le recouvrement de son indépendance. Car, en fait, il ne s’agit pas pour moi de défendre mon époux, mais la cause de tout un peuple qui aspire à vivre souverain sur tout le territoire de la RASD, une république en exil dans le Sud algérien.
Vous n’êtes pas sans savoir que votre époux Ennaâma Asfari n’est pas le seul militant à être incarcéré pour son combat nationaliste. Et c’est pour cela que, en compagnie d’autres militants(tes) français(es), vous êtes militante au sein de l’Association française des amis de la RASD (AARASD)…
Tout à fait. Comme je l’ai souligné auparavant, la cause sahraouie, je l’ai épousée depuis 1989. Autrement dit, mon combat avec les Sahraouis remonte à des années bien avant que mon destin et celui d’Ennaâma se croisent. C’est une conviction, un engagement que je compte tenir même au-delà de l’indépendance du Sahara occidental pour l’édification d’un Etat souverain. C’est un choix que je ne regrette en aucun cas. C’est un combat pour la justice et la liberté.
Cependant, votre analyse et engagement ne sont pas partagés par vos concitoyens français et la position de la France officielle vis-à-vis de la question sahraouie n’est guère honorable…
C’est une triste vérité. C’est malheureux de le rappeler, mais c’est là une position connue de tout le monde et nous la regrettons vivement. Notre autre objectif d’ailleurs est de sensibiliser la société française qui ignore tout de la question sahraouie.
Vous dites une société française qui ignore tout de la question sahraouie à l’ère des nouvelles technologies. N’est-ce pas un peu énigmatique ?
Oui, tout à fait. Mais ce n’est pas la faute aux Français s’ils ignorent tout.
Cette faute incombe à qui donc, selon vous ?
Les médias français, qu’ils soient presse écrite, radio ou même télévision, font souvent l’impasse sur tout ce qui entoure la cause sahraouie. C’est une question taboue rarement évoquée. Beaucoup de nos médias s’intéressent beaucoup plus à autre chose qu’à ce mal vécu par les Sahraouis des camps de réfugiés ou de l’autre côté du mur de la honte, c’est-à-dire dans les territoires du Sahara occidental occupés depuis l’invasion marocaine en 1975. Les amitiés qui lient depuis bien longtemps le royaume marocain et l’Elysée ont fait que le problème du Sahara occidental est complètement occulté. D’ailleurs, c’est ce que nous avons inscrit comme une priorité de notre association. D’ailleurs, au niveau de notre association, nous axons l’essentiel de nos efforts afin de médiatiser le plus possible la question sahraouie et de faire la lumière sur les souffrances, comme signalé auparavant, des Sahraouis où qu’ils soient.
Peut-on s’attendre à ce que cette position change au profit du peuple sahraoui ?
Je l’espère, car les rapports de force se construisent, prenons le cas de l’annulation récente par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), avec effet immédiat, de l’accord controversé de mars 2012 entre le Maroc et l’UE, englobant le Sahara occidental occupé, sur la libéralisation du commerce des produits agricoles et halieutiques. C’était impensable avant cette date.
Après une quarantaine d’années de combat marquée par une guerre destructrice de seize ans, que peut-on dire au jour d’aujourd’hui de l’évolution de la cause sahraouie ?
Eh bien, cette même cause a enregistré de francs succès ces dernières années. La mobilisation contre la colonisation du Sahara occidental est montée d’un cran, avec l’organisation de plusieurs marches à travers le monde, au moment où les dirigeants sahraouis, des militants et des ONG multiplient les appels à l’adresse des Nations unies afin de relancer le processus d’autodétermination pour mettre un terme à 40 ans d’occupation par le Maroc. De Washington à Londres, en passant par Paris, des membres de partis politiques et représentants d’ONG ont tenu à faire entendre leur voix. Cet élan de solidarité avec les Sahraouis vient s’ajouter aux appels des dirigeants sahraouis à la communauté internationale pour qu’elle assume ses responsabilités envers le peuple sahraoui qui vit depuis 40 ans sous l’autorité coloniale marocaine et qu’elle organise un référendum d’autodétermination conformément aux résolutions pertinentes de l’ONU sur cette question. Ce n’est pas tout. Rien ne se cache plus à la communauté internationale s’agissant de la question des violations des droits de l’homme dans les territoires occupés. Tous les rapports établis dans ce sens sont édifiants.
Comment voyez-vous la prochaine étape de la lutte des Sahraouis particulièrement après la tenue de ce 14e congrès du Polisario ?
Avant ma venue, ici à Dakhla, j’avais l’impression que cela allait représenter une étape importante pour la lutte du peuple sahraoui. Il s’est avéré que je ne me suis pas trompée. Les Sahraouis sont en lutte depuis plus de 40 ans réclamant l’application d’un droit qui leur a été pourtant garanti depuis 1991 et pour lequel toutes les conditions sont réunies, sauf l’entêtement du Maroc, qui se protège derrière la France.
La question de la reprise des armes est souvent évoquée ces derniers temps par les Sahraouis. Qu’en pensez-vous en tant que militante connue pour vos positions vis-à-vis de la question sahraouie ?
Seuls les Sahraouis, à leur tête leur représentant légitime, le Front Polisario, pourront décider de la suite à donner à leur combat. Et vous, les Algériens, vous êtes bien placés pour savoir que la liberté s’arrache et ne s’offre pas. Depuis le cessez-le-feu signé entre le Maroc et le Polisario, ce dernier a de tout temps honoré ses engagements. Il n’a rien à se reprocher, contrairement au royaume marocain, qui continue à faire fi des recommandations de la communauté internationale et de l’ONU. Autre chose : bien que le référendum d’autodétermination tant promis tarde à voir le jour, il a été établi qu’aucun Sahraoui ne soit mêlé de près ou de loin aux groupes terroristes. Quand bien même la patience a ses limites.
Justement, parlant de l’ONU et du référendum, quel est votre commentaire à propos de la visite de Ban Ki-moon prévue prochainement dans la région ?
Je pense que ce dernier, en fin de mandat, voudrait le terminer avec une bonne note pour la cause sahraouie. Ce serait en tout cas une énième gifle pour le Maroc.
Vous êtes une habituée des réfugiés sahraouis à Tindouf. Que diriez-vous des allégations marocaines affirmant à chaque fois que les réfugiés sont séquestrés dans ces campements ?
Cela ne nous étonne guère de la part du Makhzen, qui tente à chaque fois de ternir l’image de l’Algérie, qui a pris position en faveur de la justesse de la cause sahraouie. A ce Maroc, je dirais que c’est totalement absurde, car, dans les faits, les campements sont tout le temps ouverts, y compris pour des délégations étrangères et les journalistes. Les conditions de vie sont assurément difficiles, mais les réfugiés y mènent une vie ordinaire, sans pression aucune. Ceux qui connaissent les camps vous diront que les tentes qu’ils occupent ne sont jamais fermées. Alors, dites-moi comment un prisonnier ne tente pas de s’y évader. A ce sujet précis, nul ne pourrait remettre l’apport de l’Algérie à la cause sahraouie ainsi qu’aux réfugiés établis dans des campements depuis le début de l’invasion marocaine des territoires du Sahara occidental.
Un dernier mot…
Non, plutôt un souhait. Espérons que les Sahraouis puissent enfin avoir leur sort entre les mains.
Écrit par Ali Mariam Marina
Reporters, 19/12/2015
Soyez le premier à commenter