Dans un article récent, la petite carte de localisation de la vallée d’Oukaïmeden dans le Haut-atlas marocain a fait l’objet d’une véritable autocensure de la part de la Géothèque. La frontière en tiretés qui séparait le Maroc du Sahara Occidental, par lui occupé, a été tout simplement effacée pendant le week-end. C’est l’auteur de ces lignes qui en est le responsable.
Lors de la fabrication de la carte, le tracé de cette ligne a été un geste naturel, puisqu’elle apparaît sur toutes les cartes du Maroc visibles en France, au point qu’aujourd’hui, on la voit sans la voir. Vive inquiétude de mon collègue et homonyme installé au Maroc : la question du Sahara Occidental est plus épineuse là-bas que je ne l’aurais imaginé. Inculquée très tôt par l’enseignement primaire, l’idée d’un Sahara Occidental légitimement et historiquement intégré au pays est une évidence pour les Marocains. Il semble même qu’une carte présentant la frontière du Sahara Occidental ne puisse pas passer la douane et entrer dans le royaume. Dans la mesure où cette question était sans rapport avec la publication concernée, j’ai préféré censurer le cartouche de localisation pour ne pas mettre le collègue en difficulté, et revenir ici sur ce problème.
Le Sahara occidental est conquis par l’Espagne sur le royaume du Maroc en 1884. Le Sahara Espagnol devient indépendant en 1975 et le retrait de l’Espagne laisse le champ libre au Maroc pour lancer une opération de contrôle du territoire, la « marche verte », entreprise par des colons encadrés par l’armée. Pour le Maroc, il s’agit de reconquérir un territoire qui lui appartient historiquement. La résistance du Front Polisario, qui affirme sa légitimité représentative du peuple sahraoui, débouche sur un conflit armé et l’établissement après le cessez-le-feu de 1991 d’un mur de séparation, le « Berm » (mot anglais désignant une fortification linéraire de type Limes romain). Le Maroc contrôle 80% du territoire, notamment les eaux poissonneuses liées à l’upwelling de l’Atlantique Nord oriental, les fermes produisant des tomates estampillées « origine Maroc » et l’essentiel des mines de phosphate. Les 20% contrôlés par le Front Polisario représentent une bande aride et enclavée le long de la frontière avec les voisins mauritaniens et algériens.
Le Sahara Occidental est porteur pour le Maroc d’une forte charge symbolique : celle de la grandeur passée d’un des États les plus brillants et les plus anciens de la région, celle d’un impératif de restaurer cette grandeur pour oublier l’humiliation des protectorats européens de la période coloniale, et celle de la rivalité avec les voisins mauritaniens et algériens. En effet, la Mauritanie ne cache pas ses appétits sahraouis, et l’Algérie quant à elle soutient le Front Polisario. Sans nous prononcer sur le bien-fondée du contrôle marocain sur le Sahara occidental, on peut cependant en dénoncer l’aspect colonial, et surtout rappeler le caractère autoritaire de la monarchie marocaine. La censure et le bourrage de crâne sont les caractéristiques d’une dictature qui ne dit pas son nom.
Pour aller plus loin :
– Karine Bennafla, « Illusion cartographique au Nord, barrière de sable à l’Est : les frontières mouvantes du Sahara occidental », L’Espace Politique, 20 | 2013-2, mis en ligne le 18 juillet 2013.
– Olivier Quarante, « Si riche Sahara occidental », Le Monde diplomatique, mars 2014.
– Sur la complaisance de Google avec les revendications territoriales des régimes autoritaires(1) : Timothée Vilars, « Google Maps, des frontières à la carte pour ne froisser personne », L’Obs [en ligne], 6 juin 2015.
(1) Il semblerait pourtant que ce que nous avons appelé « les tiretés de la colère » apparaissent sur la version marocaine de Google Maps.
La Géothèque, 21 janvier 2016
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