Liesbeth Goossens d’Oxfam-Solidarité: « La nouvelle génération de réfugiés est plus frustrée et devient plus radicale. » – © DR |
Daniel Fontaine
En ce matin pluvieux, les fonctionnaires européens s’accrochent à leur parapluie avant de s’engouffrer dans le Charlemagne ou le Berlaymont. La plupart ne voient pas, en longeant le parc Maelbeek, ces regards qui les fixent. Quarante regards. Quarante portraits, plus grands que nature, noir et blanc. Des gens du désert.
Un cycliste intrigué s’arrête et lit le panneau d’explications : « Ces 40 hommes et femmes vivent dans des camps de réfugiés au Sud-Ouest de l’Algérie, au cœur du désert du Sahara. Loin de tout, soumis à des températures extrêmes, ils ne survivent que grâce à l’aide humanitaire. Ces camps ont été installés là il y a 40 ans déjà ».
L’initiative en revient à Oxfam-Solidarité. L’organisation a voulu marquer ces quarante années et sortir ces réfugiés de l’oubli. En février 1976, l’Espagne termine le retrait de sa colonie du Sahara occidental. La Mauritanie et le Maroc prennent le contrôle du territoire. Mais une organisation autochtone, le Front Polisario, refuse cette occupation et revendique un État indépendant. C’est la guerre. Des dizaines de milliers de Sahraouis fuient, principalement vers l’Algérie. Ils s’installent dans des camps de réfugiés, qui sont toujours là, 40 ans plus tard.
« La nouvelle génération devient plus radicale »
Certains réfugiés sont des descendants de troisième génération des habitants qui ont fui les combats. « Aujourd’hui, ces jeunes sont connectés dans les camps. Ils sont conscients de ce qui se passent dans le reste du monde, relève Liesbeth Goossens d’Oxfam-Solidarité. La nouvelle génération est plus frustrée et devient plus radicale. Année après année, rien ne change, le compromis devient plus difficile. Les bailleurs de fonds humanitaires se désinvestissent. On arrive à un point où ils remettent de plus en plus en question l’approche pacifique que les Sahraouis ont poursuivie depuis le début des années 90. »
En 1992, un cessez-le-feu a été conclu. Le Maroc gère environ 80% du territoire, tandis que le Front Polisario en contrôle les 20% restant. Un référendum sur l’avenir du Sahara occidental aurait dû se tenir dans la foulée, mais il n’a jamais été organisé. « En 40 ans, un statu quo s’est créé, dit Liesbeth Goossens, une situation confortable pour plusieurs acteurs, y compris des acteurs internationaux et européens. Cette exposition de portraits sur la crise des réfugiés vient rappeler que, pour eux, ce statu quo n’est pas confortable et n’est pas tenable. »
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Pousser le Maroc et le Front Polisario au compromis
L’Union européenne finance une partie importante de la réponse humanitaire dans les camps en Algérie. Mais elle pourrait montrer plus d’ambition politique, et la communauté internationale pourrait jouer un rôle plus fort pour pousser les deux parties à organiser la consultation gelée depuis 25 ans, estime la responsable d’Oxfam. « Il faut trouver un accord entre le Maroc et le Front Polisario sur les modalités du référendum, en prenant en compte les positions des deux parties. Pour y arriver, il faut créer un environnement où les deux parties pourront faire des concessions, tout en restant ferme sur le droit international. »
À défaut de solution, la situation dans les camps risque de pourrir dans cette région sous tension. Al-Qaïda au Maghreb islamique est présent et recrute des candidats au djihad. »L’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU a pointé ce danger. Il y a en effet des passages de groupes armés dans cette région instable. Des liens pourraient se créer entre une jeunesse toujours plus frustrée et oubliée et des groupes radicaux. Pour le moment, c’est une hypothèse. Mais le risque existe. »
C’est pour cela que les 40 regards installés rue de la Loi interpellent. Ils appellent une solution d’urgence pour le peuple sahraoui.
Après 40 ans d’exil, les réfugiés sahraouis ne supportent plus le statu quo – © Tous droits réservés |
RTBF.BE, 02/02/2016
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