Rabat, le 1er Septembre 2014
Note à l’Attention de Madame la Ministre Déléguée
OBJET : Impact sur le Maroc de l’embargo russe sur les produits agricoles et agro alimentaires européens
Depuis le déclenchement de la crise ukrainienne, des dissensions notoires ont éclaté entre Bruxelles et Moscou. La scission de la Crimée, les manœuvres russes pour défendre ses intérêts dans son « espace vital », qualifiées par l’UE de « manœuvres de déstabilisation », et les péripéties du crash du vol de l’avion malaisien MH 17, ont motivé la décision de l’UE de décréter des sanctions contre la Russie, accompagnées de tractations diplomatiques pour trouver une issue aussi bien à la crise ukrainienne qu’aux tensions entre les deux parties. Ceci a conduit à l’application par l’UE de mesures de sanctions le 29 juillet 2014. Celles-ci portent sur la restriction de l’accès aux marchés financiers de l’UE, l’interdiction d’importation et d’exportation d’armement à et vers la Russie, la restriction aux exportations vers la Russie d’équipements technologiques liés à l’énergie, le transfert de technologies sensibles dans ce domaine, gel des avoirs et interdiction de visas de certaines catégories de personnes.
Suite à l’adoption de ces mesures de sanctions, la Russie a réagi en appliquant, le 6 août 2014, des meures de rétorsions à l’égard des USA, de l’UE, de l’Australie, du Canada et de la Norvège en décrétant un boycott des produits agricoles ces pays, et ce pour une durée d’une année.
Cette mesure russe de « rétorsion » a conduit immédiatement à une levée de bouclier de la part des européens pour, d’une part, dénoncer cette décision et, d’autre part, éviter toute tentative d’un pays ou organisation tierce de profiter de cette situation pour récupérer les parts de marchés de l’UE. Notre pays a été visé par une démarche dans ce sens parmi 15 pays (Brésil, Argentine, Chili, Colombie, Equateur, Pérou, Uruguay, Chine, Inde, Maroc, Israël, Egypte, Turquie, Serbie et Suisse).
Selon certains analystes, les sanctions de l’Union Européenne envers la Russie, et de la Russie vers l’Union sont en train de toucher très sérieusement les économies de pays comme la France, l’Espagne, l’Italie, et même l’Allemagne. La Pologne pourrait ainsi voir son PIB reculer de 0,6 %. De son côté, la Russie prévoit une augmentation de l’inflation d’un point cette année. De plus, 130.000 emplois seraient en jeu en Europe.
Avec l’embargo russe sur les produits frais, l’Union européenne a déjà débloqué 125 millions d’euros pour soutenir les producteurs européens. Selon une étude de ING International Trade, l’embargo pourrait affecter l‘économie à hauteur de près de 5 milliards d’euros au sein de l’Union européenne.
L’embargo russe sur les produits agricoles et agro alimentaires de l’Union Européenne ne manquera pas d’avoir un impact indirect inéluctable à la fois sur la relation Maroc-UE et sur la relation Maroc-Russie :
1/ l’absence de produits agricoles européens sur le marché russe ouvre des perspectives certaines pour les exportations agricoles du Maroc, qui pourraient constituer une alternative aux exportations européennes de ces produits, d’autant plus que le marché russe est un important marché de consommateurs, un marché ouvert où les exportations marocaines ne seront soumises ni à quota ni à calendrier. Le 1er Forum économique Maroc-Russie qui s’est tenu le 10 juin dernier à Moscou a été l’occasion pour les deux parties d’explorer les opportunités d’exportation de produits agricoles marocains sur ce marché en particulier les agrumes, les fruits et légumes, les produits de pêche et les céréales ainsi que dans la valorisation et la transformation des produits de la mer et de l’aquaculture.
Il est à noter que la Russie figure parmi les premiers clients du Maroc en termes d’agrumes, Il est prévu de tripler les exportations d’agrumes vers la Russie dans 4 ans. Les exportations marocaines vers la Fédération de Russie sont essentiellement dominées par les agrumes. Ces dernières sont suivies de ventes de farine et d’huile de poisson. Quant aux exportations russes, elles sont principalement composées d’huile brute de pétrole, suivies de la houille, du fer et du soufre brut.
Les seules contraintes qui peuvent constituer un frein au développement de ces exportations sont la logistique, il n’existe qu’une seule desserte hebdomadaire reliant les deux pays, l’exigence de la qualité des produits par le consommateur russe, le niveau élevé des droits de douanes et taxes internes, la solvabilité des entreprises russes en raison des nombreux retards enregistrés dans le paiement des créances, l’opacité qui plane sur les circuits de distribution.
La tenue de la Haute commission Mixte Maroc-Russie prévue à Rabat mi-septembre pourrait être l’occasion d’aborder ces différentes questions dans le fond.
2/L’embargo contre la Russie, s’il constitue une occasion pour le Maroc d’opérer une percée sur le marché russe, va engendrer très certainement un excédent considérable sur le marché européen, qui aura pour effet de mettre à mal les exportations de produits marocains sur ce marché et conforter les arguments européens visant à verrouiller les modalités d’accès des produits frais à l’UE.
3/S’agissant de la relation politique entre le Maroc et l’UE, force est de constater un rejet par la partie européenne du rapprochement qui s’opère entre le Maroc et la Russie, comme cela a été exprimé par les responsable européens lors de la dernière session du DPR et réitéré aujourd’hui par le Chef de la délégation à Rabat lors d’un entretien avec l’Ambassadeur du Maroc auprès de l’UE. L’UE craindrait une réduction de sa sphère d’influence au profit de la Russie au sein du voisinage Sud à l’image de l’épisode ukrainien à l’est. Ceci explique la démarche entreprise par le Chef de la délégation de l’UE à Rabat visant à dissuader le Maroc d’instrumentaliser l’embargo russe afin de s’accaparer des parts du marché russe de produits agricoles. Si sur le plan légal, cette démarche n’est pas fondée, surtout au moment où l’UE n’a pas hésité à adopter des mesures visant à restreindre l’accès au marché européen de produits agricoles frais, il n’en demeure pas moins que le statut avancé et le partenariat privilégié qui nous lie à l’UE nous impose de véhiculer vis à avis de l’UE des messages rassurant quant à la disposition des autorités marocaines de ne pas tirer profit de la crise actuelle entre la Russie et l’UE, tout en évitant d’interférer dans les relations entre opérateurs privés. Dans le même, sens il serait fortement souhaitable d’éviter de communiquer sur les activités politiques à venir afin de ne pas froisser nos partenaires européens.
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