Un homme. Un chameau. Un buisson. Le nomade solitaire à côté de l’unique tache verte dans une mer de sable faisait l’effet d’une nature morte presque absurde. La chaleur torride pesait comme un couvercle sur le désert.
« Au nom du ciel, mais que fait cet homme ? », demandais-je au chauffeur qui était venu me chercher à l’aéroport. Il se mit à rire dans sa barbe. « Vous ne le connaissez pas ? », répliqua-t-il, le visage impassible. « C’est notre gardeforestier».
Au cours des vingt dernières années, je me suis rendu cinq fois dans le Sahara occidental, un territoire non autonome revendiqué par le Maroc. Dans des camps de réfugiés situés du côté algérien de la frontière, des dizaines de milliers de Sahraouis attendent de pouvoir rentrer chez eux, et ce depuis 1975. Au fil des ans, l’humour noir est, pour bon nombre d’entre eux, devenu une manière de faire face à cette situation critique et sans issue. Et ils ne sont pas les seuls. Ce genre d’humour est également courant chez les habitants de Gaza et des Kivus congolais. Des comparaisons qui en disent long…
« Critique » est le mot qui convient pour désigner la crise des réfugiés du Sahara occidental. Ces réfugiés sont dépendants de l’aide humanitaire, qui leur apporte principalement de l’huile, du sucre, des lentilles, du riz, du soja, du blé et de la farine. Meurent-ils de faim ou de soif ? Non. Mais 40 années de ce rationnement alimentaire ne sont pas sans conséquences : 25 à 30 % des enfants souffrent d’un retard de croissance et plus de la moitié des femmes enceintes sont anémiques.
« Sans issue » est un autre qualificatif désignant parfaitement cet état de fait. La situation politique est dans l’impasse. Le référendum qui a été promis aux Sahraouis il y a des années n’a toujours pas eu lieu. La communauté internationale ne parvient pas à aider les parties au conflit à trouver une solution et depuis 2007, il n’y a même plus de véritables négociations directes.
« Désespoir » devrait être le maître mot des Sahraouis, alors que tout au contraire, ils continuent d’y croire : beaucoup de familles ont une valise prête dans le coin de leur tente. Ils sont prêts à partir, à rentrer chez eux, convaincus que cela arrivera un jour. Qu’ils entrevoient encore ce « retour », après 40 années d’attente, est en soi déjà surprenant. Mais cet espoir peut également se transformer en frustration. Les Sahraouis, un peuple fier, ne continueront pas d’attendre éternellement. Aujourd’hui, les jeunes perdent patience. Dans une région où les groupes extrémistes sont légions et où l’ampleur du trafic d’armes dépasse le PIB de nombreux pays, le Sahara occidental est une poudrière qui menace tôt ou tard d’exploser.
Oxfam soutient ces réfugiés afin que leurs espoirs et leurs efforts aboutissent enfin. En collaboration avec d’autres ONG comme la Croix-Rouge, des organisations d’aide médicale et logistique, nous apportons un complément de nourriture dans ces camps. Mais nous aidons aussi le peuple sahraoui à faire entendre sa voix à l’échelle internationale et nous entrons nous-mêmes en dialogue avec les politiques.
Pour que les négociations reprennent dans le cadre du droit international et que les Sahraouis entrevoient de réelles opportunités d’un avenir meilleur. Pour éviter que l’humour ne disparaisse et que seule demeure la noirceur.
Stefaan Declercq,
Secrétaire Général, Oxfam-Solidarité.
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