Des traités conclus entre 1767 et 1895 démontrent clairement que le Maroc n’avait pas exercé de souveraineté sur la Saguiet El Hamra et le Rio De Oro dont les populations, particulièrement turbulentes, causaient des dégâts aux navires et faisaient des prisonniers parmi les marins espagnols. L’Espagne sollicita dès 1767 le sultan Si Mohamed Ben Abdellah d’intercéder pour elle auprès des tribus de cette région.
Cette demande avait donné lieu au traité de paix et de commerce signé le 28 mai 1767 auquel les Marocains dénient, aujourd’hui, toute validité parce que Moulay Ben Abdellah reconnaissait que sa souveraineté ne s’étendait pas au delà de l’oued Noun.
Voici ce traité de 1767. Après un préambule ainsi formulé : « Traité de paix et de commerce conclu, signé et scellé entre les très hauts et très puissants Princes Don Carlos III, Roi d’Espagne et des Indes, et l’Empereur du Maroc Si Mohamed Ben Abdellah, Ben Ismaïl, Roi de Fez, de Mequinez (Meknès), Algarbe, Sus, Tafilelt et Dra ; la partie contractante pour sa Majesté Catholique étant son ambassadeur plénipotentiaire Don Jorge Juan, qui par son ordre et au même effet s’est transporté à la Cour du Maroc etc… », le traité qui comporte 19 articles stipule dans ses articles les plus significatifs : le premier article affirme que la « paix sera constante et perpétuelle sur mer et sur terre » entre les deux pays. L’article 4 indique que « si un naufrage [venait] à se produire sur la côte de l’un ou de l’autre pays, on traitera les naufragés de la façon la plus hospitalière et on tachera de sauver les embarcations. On donnera aux équipages les secours qu’ils demanderont à cet effet, et ne faisant payer les travaux et les opérations de sauvetage qu’au juste prix », sans aucune autre précision.
Si les articles de 5 à 17 traitent de situations qui ne concernent pas la Saguiet El Hamra et le Rio De Oro, l’article 18 revêt une importance pour cette région. Le Sultan répond dans cet article au désir du Roi d’Espagne d’établir un comptoir au sud de l’oued Noun. Il précise : « S.M Impériale s’abstient de délibérer au sujet de l’établissement que S.M Catholique veut former au sud de la rivière Nun (oued Noun) car elle ne peut se rendre responsable des accidents et des malheurs qui pourraient se produire, vu que sa souveraineté ne s’étend pas jusque là et que les peuplades vagabondes et féroces, habitant ce pays, ont toujours causé des dommages aux gens des Canaries et les gens réduits en captivité. Mais S.M Impériale depuis Santa Cruz (Agadir), jusqu’au Nord, concède aux gens des Iles Canaries et aux Espagnols le droit exclusif de pêche, sans permettre à aucune nation d’exercer le même droit sur aucune partie de la côte qui restera entièrement réservée ». L’article 19 aborde le problème des Présides que l’Espagne occupe toujours.
Dans une autre publication, nous parlerons des traités de 1799 et de 1845.
Le traité de 1856 conclu entre S.M le sultan du Maroc et S.M Britannique apporte une confirmation supplémentaire sur la position des sultans marocains sur la Saguiet El Hamara et le Rio De Oro (Sahara occidental).
Signé le 9 décembre 1856 en même temps qu’un accord entre S.M Britannique et S.M le Sultan du Maroc. Par ce traité, le sultan du Maroc accordait le droit de navigation aux bateaux britanniques dans tous les ports du royaume. L’accord conclu au même moment apporte plus de de précisions au sujet de cette concession. Il déclare dans son article 33 que « si un navire appartenant à la reine de la Grande-Bretagne ou à un de ses sujets est jeté à la côte ou vient faire naufrage sur un point quelconque des Etats du sultan du Maroc, il aura droit à tous les soins et à toutes les assistances que comportent les devoirs de l’amitié. »
Plus loin, l’accord indique : « Si un navire anglais fait naufrage à Wadnon (oued Noun) ou sur tout autre point de ce parage, le sultan du Maroc usera de son autorité pour sauver et protéger le capitaine et l’équipage jusqu’à leur retour dans leur pays. En outre, le consul général d’Angleterre, le consul ou son représentant, auront la faculté de s’enquérir et de s’assurer, autant qu’il sera possible, du sort du capitaine et de l’équipage dudit navire afin de les retirer de cette partie du pays ; ils seront assistés dans leurs recherches conformément aux devoirs de l’amitié, par les gouverneurs que le sultan du Maroc aura placés sur ces points. »
Dans le cas où un arraisonnement se produisait le sultan du Maroc n’interviendrait pas en qualité de souverain dans la région située au delà de l’oued Noun. Trois traités signés par le royaume du Maroc avec deux puissances étrangères, ne reconnaissent pas la souveraineté des sultans marocains sur le Sahara occidental qui se situe au delà de l’oued Noun.
AVIS DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE DE LA HAYE (1)
L’avis que la Cour de la Haye devait donner à la demande des Nations Unies a été rendu le 16 octobre 1975 après avoir examiné un volumineux dossier. Rappelons qu’il était demandé à la CIJ de dire « si au moment de sa colonisation le Sahara occidental était un territoire sans maître (une terra nullius) », et, en cas de réponse négative à cette question de dire « quels étaient les liens juridiques du territoire avec le Maroc et la Mauritanie. » Nous tenons à préciser qu’il n’est pas dans notre intention de faire une exégèse de ce texte pour le moins ambigu, mais simplement d’exposer les réponses auxquelles la Cour est parvenue.
a) La réponse à la première question. Après avoir précisé la notion de « terra nullius« (2), alors qu’elle aurait dû, comme l’écrit Charles Vallée (3), « en contester la notion même » (4), la CIJ répondit négativement à la première question pour pouvoir aborder la seconde question qui revêtait le plus d’importance pour le Maroc et la Mauritanie (5).
Si une unanimité s’est dégagée sur le statut du territoire au moment de sa colonisation par l’Espagne, les avis des participants divergeaient sur la justification de la réponse. Certains soulignaient que le territoire n’était pas « nullius » parce que non seulement « les populations qui l’habitaient étaient socialement et politiquement organisées en tribus », mais encore les « chefs qui étaient chargés de les représenter avaient agi en tant qu’autorité compétente pour conclure des traités avec l’Espagne » (6). D’autres prétendaient que si le Sahara occidental n’était pas un territoire sans maître, c’est parce qu’il existait des liens juridiques avec le Maroc et la Mauritanie, que la CIJ devait examiner dans le cadre de la seconde question posée.
b) La réponse à la seconde question. Difficile question parce que deux pays : le Maroc et la Mauritanie revendiquaient des droits sur le même territoire, à laquelle la CIJ devait impérativement répondre puisqu’elle avait conclu que le Sahara occidental n’était pas une « terra nullius ».
Pour déterminer les liens juridiques avec le Maroc, la Cour internationale de Justice devait examiner les « actes internes » et les « actes internationaux » invoqués par lui pour revendiquer la souveraineté sur le Sahara occidental.
Les « actes internes » : Le Maroc prétendait que l’autorité sultanienne se manifestait au Sahara occidental notamment par la perception de l’impôt (Kharaj) (7), la prière qui était dite au nom du sultan du Maroc dans les mosquées du Sahara – un auteur comme Abdellah Laroui fondait quasiment toute la thèse marocaine sur ce fait religieux – et l’allégeance au trône marocain des tribus Teknas. [Un rapide propos sur les Teknas. Son nombre atteignait dans les années 70/80 50000 personnes ; elles constituaient une confédération de 14 tribus d’origine berbère sanhaja et se divisaient en deux groupes « ancestralement » opposés : les Aït Jmel appelés Teknas du Sahel (de l’ouest) et les Aït Bella ou Aït Atman appelés Teknas du cherk (de l’est) qui occupaient la région s’étendant de l’oued Draa à la Saguiet El Hamra, du nord au sud, et de l’Océan Atlantique à la Hammada de Tindouf, en Algérie, d’ouest en est, avec comme point de fixation la province de Tarfaya. »(8)]
Pour la Cour, les arguments du Maroc ne pouvaient être retenus comme preuve d’une quelconque autorité sultanienne sur le territoire, mais reconnaissait que le sultan du Maroc a pu exercer une autorité sur certaines fractions Teknas qui nomadisaient sur le territoire des caïds Teknas qui lui était soumis (9). [Selon Francis de Chassey, les Teknas sont des semi-nomades ; une partie de leurs tribus appartenant essentiellement au groupe Aït Bella ou Aït Atman formé de sept tribus dont les principales sont les Azouafid, Aït Oussa, Id Brahim et Id Ahmed, s’est peu à peu sédentarisée dans les régions du sud marocain. »
La CIJ tire la conclusion que les tribus Teknas « étaient, quant à elles, soumises, dans une certaine mesure au moins, à l’autorité des caïds Teknas » (10). Cependant, la Cour n’accorda à ce fait aucune importance réelle puisque les liens que les tribus Teknas entretenaient avec le Makhzen étaient pour le moins fragiles et lâches (11), d’autant que les Teknas relevaient du Bled Es-Siba (le pays de l’insoumission). Par conséquent, la CIJ écarta la notion de souveraineté territoriale revendiquée par le Maroc pour conclure à l’existence de « liens d’allégeance entre le sultan du Maroc et certaines tribus vivant sur le territoire du Sahara occidental » (12).
A ce propos, il a été reproché à la Cour d’avoir outrepassé sa compétence puisqu’il lui était demandé de se prononcer sur la souveraineté qui implique la notion de territorialité et non sur l’allégeance qui traduit, en l’occurrence, des droits sur des personnes. Selon le juge Gros, la CIJ aurait dû éviter de rechercher d’autres liens que ceux touchant au territoire parce que d’abord « le nomadisme est un monde autonome dans la conception de ses rapports avec qui vit autrement », et, ensuite, parce que « l’allégeance est une notion de droit féodal que la Cour n’a pas définie » (13). La Cour répliqua à cet argument que les liens juridiques ne pouvaient exister que par rapport à des personnes et qu’il était normal de rechercher d’autres liens que ceux touchant au territoire (14).
Les « actes internationaux »: il s’agissait pour la CIJ d’examiner l’ensemble des traités internationaux conclus par le Maroc et les correspondances diplomatiques qu’il entretenait avec les autres Etats pour déterminer si ces derniers lui reconnaissaient une souveraineté territoriale sur le Sahara occidental.
La Cour étudia particulièrement les traités de 1767, 1861 et 1895 (15), dont nous avons déjà parlé, qui permettaient au Maroc de prétendre à la reconnaissance internationale de sa souveraineté sur le Sahara occidental. A ce sujet, le rejet de l’argumentation marocaine fut clair et net. La CIJ indiquait dans sa conclusion que les »actes internationaux » examinés « n’établissaient pas la reconnaissance internationale de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental (16).
Pour ce qui est maintenant des liens juridiques avec la Mauritanie, la CIJ devait répondre à la prétention de Nouakchott qui indiquait qu’il existait à l’époque dans la région du Sahara occidental un « ensemble mauritanien » désignant « l’ensemble culturel, géographique et social »(17). La Mauritanie assurait que « cet ensemble était le Bilad Ech-Chenguitti, groupement humain caractérisé par une communauté de langue, le mode de vie et de religion » (18), et que le Sahara occidental en faisait partie. La CIJ rejeta cette affirmation et refusa d’inclure le Sahara occidental dans cet « ensemble » (19). En effet, elle indiqua qu’il n’existait « entre le Sahara occidental et l’ensemble mauritanien ni un lien de souveraineté ou d’allégeance des tribus ni une simple relation d’inclusion dans une même entité juridique » (20). Cependant, la Cour admettait l’existence de « droits y compris certains droits relatifs à la terre entre l’ensemble mauritanien et le Sahara occidental » (21), qui « constituaient des liens juridiques entre les deux territoires » (22).
Enfin, la CIJ examina la possibilité d’un entrecroisement des liens juridiques de la Mauritanie avec ceux du Maroc. A ce propos, aussi bien Rabat que Nouakchott mentionnaient l’existence de chevauchement des liens juridiques « du fait des parcours de nomadisation du nord et du sud qui se croisent, le nord relevant du Maroc et le sud de la Mauritanie » (23). La Cour estima qu’il n’était pas facile de le savoir et récusa par conséquent cet argument, d’autant que ni le Maroc ni la Mauritanie n’en possédaient la souveraineté (24).
En conclusion générale, la CIJ indiquait qu’elle n’avait, dans ses investigations, constaté l’existence d’aucun lien entre, d’une part, le Sahara occidental et le Maroc, le Sahara occidental et la Mauritanie, d’autre part, susceptible d’empêcher l’application de la résolution 1514 (XV) de l’ONU sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux. Elle recommanda, par conséquent, l’organisation d’un référendum d’autodétermination pour permettre l’expression libre et authentique de la population sahraouie (25).
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Notes :
(1) Consulter notamment Recueil CIJ, 1975, pp. 12-69 ; AAN, 1975, Documents, pp. 971-974 ; Charles Vallée, « L’affaire du Sahara occidental devant la CIJ », Revue Mag-Mac, n°71, pp. 47-55 ; Jean Chapez, « L’avis de la CIJ du 16 octobre 1975 dans l’affaire du S.O », Revue générale de D.I public, oct-dec, 1976, pp. 1131-1187 ; Maurice Flory « L’avis de la CIJ sur le S.O », Annuaire français de D.I, 1975, pp. 253-277 ; Maurice Barbier in « S.O, un peuple et ses droits « , ed. Harmattan, pp. 132-154.
(2) Pour la CIJ, c’est un territoire sans propriétaire.
(3) in Revue Mag-Mac, n°71
(4) Parce que cette notion a « toujours été invoquée pour justifier la conquête et la colonisation ». Mohamed Bedjaoui, ambassadeur d’Algérie, contestait cette notion, en précisant que dans l’antiquité romaine, tout territoire qui n’était pas romain était « nullius« , tout territoire qui n’appartenait pas à un souverain chrétien, enfin au XIXème siècle, tout territoire ne relevant pas d’un Etat dit civilisé était « nullius ».
(5) Autrement la CIJ n’aurait pas répondu à cette question.
(6) Cf. Receuil CIJ, 1975, p. 40
(7) En terre d’islam n’étaient soumis à l’impôt territorial et foncier (kharaj) que les non musulmans. Les musulmans payaient, quant à eux, l’aumône légale (zakat). Cf. Abdellah Laroui, « Histoire du Maghreb », Maspero, p. 151, t1
(8) Recueil CIJ, p. 48
(9) Cf. supra, pp. 20-36
(10) Cf. supra, p. 49
(11) supra, p. 76
(12) supra, p. 41
(13) supra, pp. 55-62
(14) supra, p. 56
(15) Cf. Recueil CIJ, p. 57. Une résolution (3292) qui a été adoptée en 1974 au cours de la 29ème session de l’A.G de l’ONU reprenait les mêmes termes. Voir Charles Vallée, op cit., p. 50.
(16) Cf. Charles Vallée, op. cit., p. 50
(17) Ibid
(18) Cf. Recueil CIJ, 1975, p. 64
(19) Ibid
(20) Cf. Recueil CIJ, p. 65
(21) Cf. Recueil CIJ, p. 66
(22) Cf. Recueil CIJ, p. 67
(23) Cf. Recueil CIJ, p. 68
(24) Cf. supra, pp. 144-145
(25) « Alors que le Maroc réclamait la souveraineté territoriale pour réaliser son intégrité. »
SOURCE : UDM, 10 mars 2016
http://parti-udm.org/2016/03/11/sahara-occidental-avis-de-la-cour-internationale-de-justice-de-la-haye-1/
http://parti-udm.org/2016/03/11/plusieurs-sultans-marocains-avaient-reconnu-que-le-sahara-occidental-ne-leur-appartenait-pas-2/
http://parti-udm.org/2016/03/10/plusieurs-sultans-marocains-avaient-reconnus-que-le-sahara-occidental-ne-leur-appartenait-pas/
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