par Ghania Oukazi
La colère du royaume marocain, vis-à-vis de Ban Ki Moon, l’a poussé à infliger à la Minurso des sanctions matérielles pour l’obliger à restreindre ses missions, dans les territoires sahraouis.
Une agitation féroce secoue le Makhzen, depuis que Ban Ki Moon a visité les camps des réfugiés sahraouis. C’est le branle-bas de combat, dans le royaume. Au-delà des réactions verbales qu’il a eues, pour répondre à ce qu’il qualifie de «dérives sémantiques» du secrétaire général de l’ONU, à propos de la situation dans ces camps, le Maroc a agi, la semaine dernière, comme un enfant gâté. Il s’en est pris à la Minurso, en commençant, en premier, par restreindre la présence de ses personnels dans les territoires sahraouis. Il met les représentants onusiens «civils», à la porte. Le Maroc a, en effet, établi une liste de 84 employés qui doivent rentrer chez eux et se départir ainsi, incessamment de leurs missions de maintien de la paix, dans le Sahara Occidental. C’est la représentation marocaine, au sein de l’ONU, à New York qui a remis jeudi, la liste en question aux concernés. Comme seconde décision, le royaume a supprimé sa dotation financière, au profit de la mission onusienne et ce, en la privant des trois millions de dollars que le roi Hassan avait déjà institué, à son époque.
Il a, en outre, décidé de ne plus participer aux missions onusiennes de maintien de la paix, dans les régions en conflit comme il l’a fait entre autres, dans les Balkans et la Côte d’Ivoire.
Un débat pointu a eu lieu, mercredi soir, sur une chaîne télévisuelle marocaine, sur toutes ces questions avec comme problématique de fond, «les dérives» du SG de l’ONU et «la complicité de l’Algérie dont il a bénéficié». Entre autres responsables, présents sur le plateau, il y a avait la secrétaire d’Etat auprès du ministre marocain des Affaires étrangères dont le rôle était, certainement, de «ramasser» le débat et d’en préciser la position officielle du Makhzen. «On ne peut continuer à aider quelqu’un qui nous frappe, dans le dos,» a lâché M’Barka Bouaïda, pour justifier les décisions de son pays.
Quand le Maroc entretient son amnésie
Un universitaire a demandé s’il fallait que le Maroc retire sa confiance à Ban Ki Moon ou à l’ONU. La question avait tourné, pendant plusieurs minutes, pour qu’il soit conclu, sur le plateau, «il faut que le Maroc bouscule l’ordre établi pour faire face à cette stratégie de coups dans le dos.» Les invités de la chaîne interrogent, stupidement, que «le Maroc a des hôpitaux au Mali et en Palestine, comment Ban Ki Moon va-t-il nous en remercier ?»
La secrétaire d’Etat rassure alors que «le Maroc a des cartes à abattre.» Bouaïda se retourne vers l’Algérie et soutient qu’«elle n’a jamais participé dans les missions onusiennes de maintien de la paix.» D’autres intervenants renchérissent et indiquent que «l’Algérie a une structure des droits de l’Homme qui n’est pas sérieuse et dont les résultats sont noirs contrairement au Maroc qui a mis, en place, tous les mécanismes nécessaires au respect et à la garantie des droits et a signé toutes les conventions internationales, il est le pays qui préserve la paix et la stabilité dans la région, il a des accords avec les puissants de ce monde, il joue un rôle important dans le règlement de la question de l’émigration (
).» Les hommes du Makhzen balaient ainsi, sans vergogne, d’un revers de la main, les nombreuses affaires de torture et d’atteintes aux droits de l’Homme et aux libertés individuelles dans le pays de «notre ami le roi.»
Les Marocains en appellent aux Européens «pour voir les choses en face et réagir. Ils ont, d’ailleurs, repris, hier, langue avec la Commission européenne, dans le but de quémander son soutien.
«L’autonomie, c’est le plus qu’on puisse donner»
Bouaïda rappelle toutes les actions menées par l’Algérie pour pousser à l’organisation, par la Minurso, d’un référendum pour l’autodétermination du peuple sahraoui, au titre d’une solution «mutuellement acceptable.» Mais affirme-t-elle «l’autodétermination n’est pas acceptable par le Maroc, c’est une atteinte à son intégrité territoriale, seule l’autonomie des territoires est possible.» Elle tient à souligner que «l’autonomie est le plafond de toutes les concessions marocaines, il ne peut aller au-delà, il ne peut faire plus que ça.» La secrétaire d’Etat note, encore, que «le Roi Mohamed VI a déclaré que le Maroc a tout donné, l’autonomie est le plus loin qu’il puisse aller dans le règlement du problème sahraoui.» Elle précise que «le terme colonisation ou occupation, avancé par le SG de l’ONU, est insensé et inacceptable, d’ailleurs, il n’existe dans aucun rapport onusien.» Elle est persuadée que «Ban Ki Moon veut donner une nouvelle base juridique à l’ONU.» Les Marocains s’accordent à dire que «dans les camps des réfugiés sahraouis à Tindouf, il y a une organisation armée qui s’appelle Polisario et qui n’a rien à voir avec les Sahraouis.» Les Marocains reprochent, sévèrement, à Ban Ki Moon d’avoir «éloigné la responsabilité de l’Algérie, dans le conflit sahraoui qu’elle a provoqué.»
Une fois, le tour de toutes ces questions fait, les intervenants concluent que «la visite de Ban Ki Moon est un complot contre le Maroc, il a voulu, nous acculer pour venir chercher quelque-chose qui nous perturbe.»
M’Barka Bouaïda souligne que la visite du SG de l’ONU dans la région a été programmée «à la demande du roi.» Mais, a-t-elle fait savoir «à chaque fois que le roi lui propose une date, le SG l’accepte mais s’en désiste après pour qu’à la fin il choisit, unilatéralement, le mois de mars.»
La secrétaire d’Etat auprès du MAE marocain pense que son pays doit «absolument, se rapprocher davantage de la Russie et de la Chine parce qu’ils sont membres du Conseil de sécurité, ils pourront nous aider à changer le cours des événements.» Elle soutient, aussi, «des échanges» avec «le Japon et la Corée du Sud» que ne pourront, selon elle, qu’être «bénéfiques pour le Maroc.»
Un compromis pour quels objectifs ?
Les intervenants s’accordent, par ailleurs, à dire que «la situation, en Algérie, nous fait peur.» L’un d’eux évoque Hassan II et rappelle que «Rahimahou Allah, il disait que s’il y a le feu chez le voisin, il ne faut pas s’en réjouir parce qu’il nous atteindra.» Ils expliquent que «le Maroc vit dans un contexte régional instable dans lequel les intérêts s’entrechoquent.» Pour tous les invités, «le Maroc doit promouvoir la démocratie et le développement, dans les territoires sahraouis, pour convaincre les populations de sa bonne foi.» Ils font savoir que «2016 est l’année de mise en œuvre d’un projet pilote de développement, dans les territoires sahraouis.»
Avant de clore le débat, ils se sont interrogés s’il était possible de retirer le dossier sahraoui des mains de l’ONU. «C’est difficile, c’est même impossible,» se disent-ils. Ce qui ne les empêche pas de penser à un subterfuge, pour affirmer que la seule perspective possible, pour sa résolution est que «le Maroc et l’Algérie dialoguent, entre eux, ce sera la meilleure manière de trouver un compromis»…
Hier, le Maroc n’avait pas, encore, déragé même si son ministre des Affaires étrangères a déclaré que Ban Ki Moon n’est plus au centre des préoccupations marocaines. «Il veut passer comme victime, pourtant c’est lui qui a provoqué la détérioration du climat, dans les territoires sahraouis, alors qu’il était bien calme,» a soutenu le ministre.
La colère du royaume ne va, certainement, pas baisser de sitôt. Le 23 mars, le Congrès américain va consacrer une audition à la question des droits de l’Homme, au Sahara Occidental. A quelques mois de la fin de son mandat, Ban Ki Moon a réussi, véritablement, à remettre le dossier sahraoui au-devant de la scène internationale.
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