Rosa Moussaoui
Vendredi, 25 Mars, 2016
L’Humanité
Place de la République, Paris, jeudi. Rassemblement de solidarité avec les prisonniers politiques sahraouis en grève de la faim.
Photo :Bruno Arbesu
Injustement détenus depuis cinq ans et demi à la prison de Salé, des prisonniers politiques sahraouis ont cessé de s’alimenter le 1er mars.
Il y a trois ans, le verdict tombait comme un couperet. Lourd, injuste et révélateur de l’intransigeance de la monarchie marocaine, prête à toutes les violations du droit pour conserver le Sahara occidental dans son giron. À l’issue d’un procès inique, 24 militants de la société civile sahraouie étaient condamnés par le tribunal militaire de Rabat à des peines allant de vingt ans de prison jusqu’à la perpétuité pour neuf d’entre eux. Tous avaient été enlevés en novembre 2010, après l’assaut des forces de sécurité marocaines contre le « camp de la fierté et de la dignité » de Gdeim Izik. Dressé à une douzaine de kilomètres de Laâyoune, au Sahara occupé, ce camp avait rassemblé plusieurs milliers de jeunes pour protester contre la dégradation de leurs conditions de vie et faire valoir le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. Avec ses 8 000 tentes, il avait fini par dépasser les autorités marocaines, incapables de contenir ce mouvement populaire en dépit d’un imposant déploiement sécuritaire. D’où le choix d’une répression sanglante.
« L’expression de la vengeance de l’État marocain »
Injustement détenus depuis cinq ans et demi à la prison de Salé, dans la banlieue de la capitale marocaine, les prisonniers politiques de Gdeim Izik ont entamé le 1er mars une grève de la faim pour demander l’annulation d’un procès inéquitable qui est, selon leurs mots, « l’expression de la vengeance de l’État marocain face à (une) lutte pacifique pour la liberté ». Treize d’entre eux ne s’alimentent plus. Ils ont déjà perdu, chacun, plus de 8 kilos. Mercredi, Sidi Lmjaiyed et Mohamed Bachir Boutinguiza ont dû être transférés à l’hôpital. Le premier ne peut plus marcher, le second est tombé dans le coma. Le même jour, Bachir Khada était renvoyé dans sa cellule après un bref passage au dispensaire de la prison, malgré l’inquiétante détérioration de son état général. Le lendemain, Cheikh Banga était à son tour transporté d’urgence à l’hôpital. En l’absence de contrôle médical permanent, l’état de santé des 13 grévistes de la faim est d’autant plus alarmant que « tous souffrent de maladies chroniques et des séquelles de tortures et de mauvais traitements dont ils ont été victimes pendant l’arrestation, la garde à vue et la détention », relève Hassanna Duihi, de l’Association sahraouie des victimes de violations des droits humains (ASVDH). Mercredi, les familles de trois prisonniers politiques étaient reçues par un conseiller du président du Conseil marocain des droits de l’homme, Driss El Yazami. Elles n’ont obtenu que de vagues assurances, le CNDH promettant de plaider en faveur de meilleures conditions de détention auprès de l’administration pénitentiaire et du ministère de la Justice.
Les vingt-quatre, tous des civils, étaient poursuivis par l’autorité militaire pour « constitution d’une bande criminelle, violences contre les forces de l’ordre ayant entraîné la mort avec l’intention de la donner ». « Les militants sahraouis ne se sont pas laissé intimider et ont imposé leurs témoignages au tribunal. Accusés de crimes qu’ils n’ont pas commis, ils ont décrit et dénoncé leur enlèvement, les humiliations, tortures et traitements inhumains, les pressions psychologiques, les procès-verbaux fabriqués ou falsifiés », fait valoir le Comité pour le respect des libertés et des droits humains au Sahara occidental (Corelso), dont le coprésident, Ennâama Asfari, a écopé d’une peine de trente ans de prison. Pour ce dernier, l’embastillement des militants sahraouis de Gdeim Izik relève d’une « décision politique prise par l’institution militaire » au mépris des conventions internationales et même du droit marocain, puisqu’une loi, toujours en attente d’application, interdit désormais que des civils soient jugés par des tribunaux militaires.
Et il est vrai que le contexte politique pèse lourd sur le sort des prisonniers sahraouis, qui paient le prix d’une dangereuse surenchère du makhzen. Le ton n’a cessé de s’envenimer, ces dernières semaines, entre Rabat et l’ONU, au point que le Maroc a expulsé, le 20 mars, 83 fonctionnaires civils de la Minurso, la mission des Nations unies au Sahara occidental chargée depuis 1991 de veiller au respect du cessez-le-feu entre le royaume chérifien et les indépendantistes du Front Polisario. Toujours sur injonction du Maroc, l’ONU a dû fermer son bureau de liaison militaire à Dakhla et faire évacuer trois observateurs militaires. Menacée de démantèlement, la mission onusienne, enfin, est privée des 3 millions de dollars de la contribution financière marocaine.
Ban Ki-moon évoque « l’occupation » marocaine du Sahara occidental
À l’origine de cette attitude de défi envers la communauté internationale, les propos tenus par Ban Ki-moon lors de sa visite dans les camps de réfugiés sahraouis de la région de Tindouf, en Algérie, au début du mois de mars. Le secrétaire général de l’ONU avait alors évoqué « l’occupation » marocaine du Sahara occidental et déploré l’absence de « progrès réels dans les négociations devant aboutir à une solution juste et acceptable par tous, fondée sur l’autodétermination du peuple du Sahara occidental ». Ces déclarations ont déclenché l’ire du palais et suscité au Maroc des manifestations lors desquelles Ban Ki-moon a été conspué. Une politique de rupture qui semble être devenue la marque de fabrique de Mohammed VI, également brouillé avec l’Union européenne depuis la décision de la Justice européenne d’annuler un accord agricole incluant les produits issus des territoires occupés. Pour le monarque, il n’y a ni droit international, ni négociations. Seulement la fanatique certitude que le Sahara occidental « demeurera dans son Maroc jusqu’à la fin des temps ».
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