Conseil des ministres de la défense de la CEN-SAD à Charm-El-Cheikh : les non-dits d’une réunion
La célèbre station balnéaire égyptienne de Charm-el-Cheikh, au sud de la presqu’île du Sinaï, a abrité, il y a quelques jours, une réunion des ministres de la Défense de la Communauté des Etats du Sahel et du Sahara, par abréviation, la CEN-SAD. Regroupant présentement 28 États africains, cet ensemble n’en comptait à sa création, en 1998, à l’initiative de feu Mouamar Kadhafi, que cinq pays seulement : le Mali, le Niger, le Soudan, le Tchad et, bien évidemment, la Libye.
Un ensemble auquel l’Algérie n’a jamais voulu adhérer. À l’origine, pour une raison essentielle : notre pays voyait, en effet, dans la démarche du leader libyen aujourd’hui disparu, une entrave dangereuse à la volonté, largement partagée alors, des responsables africains de renforcer davantage la cohésion entre leurs États et ce, en œuvrant au passage de l’OUA (Organisation de l’unité africaine) à l’Union africaine (UA); un passage qui s’est concrétisé, en deux étapes, peu de temps après : en septembre 1999, avec la Déclaration de Syrte, une ville du littoral-centre de la Libye, et 2002, avec l’annonce de la création officielle de l’UA à Durban, en Afrique du Sud. Et par la suite, pour une autre, plus sournoise, qui est venue se greffer à la première avec plus de netteté, il faut le dire, depuis l’avènement du sinistre et mal-nommé « printemps arabe » et l’assassinat de l’initiateur de cet ensemble régional: l’introduction dans l’espace sahélien d’un pays, le Maroc, qui n’en fait pas partie géographiquement ; une introduction qui se veut une perche tendue au régime marocain et une reconnaissance de facto, en contradiction avec la position officielle de l’Union africaine sur la question, de son occupation illégale du Sahara occidental ; un membre non moins officiel de l’organisation panafricaine. Deux raisons dont la pertinence a été magistralement révélée par les résolutions de la réunion précitée de Charm-el-Cheikh. Ces dernières ont, en effet, clairement confirmé le bien-fondé des premières. Le danger que la CEN-SAD fait peser sur le travail unitaire développé par l’UA et, partant, sur la pérennité même de celle-ci, transparaît nettement dans certaines résolutions votées et dans l’annonce de l’adoption, dans un avenir proche, d’autres décisions censées renforcer la cohésion des pays membres et leurs capacités de lutte contre le terrorisme.
La résolution portant création d’un « centre de lutte contre le terrorisme » votée à Charm-el-Cheikh et l’annonce de la création, lors de la prochaine réunion du Conseil des ministres de la Défense de la CEN-SAD, « d’un Conseil permanent pour la paix et la sécurité » en sont, pour tous les observateurs impartiaux, des preuves irréfutables de cette volonté inavouée de briser l’Union africaine : les deux instances en question ayant leur pendant dans l’organigramme de cette dernière. Des pendants qui ont la particularité, pour le Centre africain d’études et de recherches sur le terrorisme (CAERT), d’avoir son siège à Alger, et pour le Conseil de paix et de sécurité (CSP) d’être dirigé, depuis 2008, par des diplomates algériens : de 2008 à 2013, par notre actuel ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, et depuis la nomination en 2013 de celui-ci au poste qu’il occupe présentement, par Smaïl Chergui. D’où la conviction des mêmes observateurs que les mesures prises et annoncées dans la station balnéaire égyptienne visent à réduire le rôle des plus positifs dans le sens où il va dans le sens de la préservation des intérêts stratégiques du continent africain, qu’y jouent et l’Algérie et l’UA. Et, par contrecoup, à mettre en avant celui des pays connus pour leur docilité envers l’Occident. Parmi lesquels, le Maroc, un pays qui a un compte à régler avec l’une et l’autre. Avec notre pays, pour des raisons historiques mais également pour leur différend principiel au sujet du devenir du Sahara occidental. Et avec l’UA, pour sa position de principe et conforme à la légalité internationale sur le même dossier. La « complicité » de la CEN-SAD avec notre « voisin de l’Ouest » transparaît nettement, là aussi, dans une autre résolution adoptée par les participants à la réunion de Charm-el Cheikh ; dans celle où ils mettent en garde, dans une allusion à peine voilée au POLISARIO et rôle supposé de l’Algérie, « contre toutes les formes d’ingérence politique dans les affaires intérieures des États ou de soutien aux groupes séparatistes et autres mouvements rebelles dans les pays membres ». Une complicité qui prête à interrogations pour notre pays s’entend, dans le cas surtout de deux pays « frères ».
En réaffirmant d’une manière aussi claire, en cette conjoncture difficile que traverse la région, leur alignement sur les thèses du Makhzen marocain à propos du Sahara occidental, l’Égypte et la Tunisie laissent ainsi grandement ouverte la porte à leur prochaine « défection » sur d’autres dossiers tout aussi sensibles pour le devenir de tout l’espace maghrébo-sahélien ; le dossier libyen, à savoir. Une défection à laquelle, pour de nombreux observateurs, ne seront pas étrangères les pétromonarchies du Golfe, parrains attitrés du Makhzen marocain et sous-fifres et sous-traitants, tout aussi attitrés, des « maîtres du monde » pour lesquels la reconfiguration de la carte politique de l’aire arabo-sahélienne est d’une importance stratégique. Qui passe par l’affaiblissement de l’Algérie et de l’Union africaine…
Mourad Bendris
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