par Benattallah Halim
La participation du Maroc au Sommet des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) véhicule-t-elle des messages en direction de l’Algérie?
A mon sens, un premier message a été adressé par l’Arabie Saoudite à l’Algérie suite à celui porté au Roi par l’envoyé spécial du président de la République. Ce message avait pour finalité de tempérer le mécontentement de l’Arabie Saoudite au sujet des positions adoptées par l’Algérie sur le Yémen, la Syrie et le Hezbollah libanais. Je pense que la suite réservée à ce message présidentiel est venue au travers la participation du Maroc à ce sommet du CCG.
L’Arabie Saoudite qui a tendance à regarder des pays comme l’Algérie comme pays satellites lui devant une solidarité aveugle dans le cadre de ses règlements de compte politiques et militaires, hier en Irak, aujourd’hui en Syrie et au Yémen, et dans le cadre de la lutte d’influence qui l’oppose à l’Iran, s’est élevée contre la position algérienne. Or, toutes les aventures politico-militaires saoudiennes sont désastreuses pour le «monde arabe» et ne font qu’aviver le terrorisme. Les intérêts de nos deux pays sont objectivement divergents. La position exprimée par l’Algérie est fidèle à ses intérêts et à son analyse des conflits géopolitiques au Moyen-Orient et dans le Golfe. Si, par exemple, l’Arabie Saoudite avait engagé un bras de fer avec Israël pour sauver la mosquée d’El Aqsa de la mainmise israélienne, nul doute que le soutien de l’Algérie aurait été parmi les premiers. Malheureusement, il faut croire que les premiers ennemis de la famille régnante sont des Arabes et des musulmans. Le Maroc, en revanche, s’est solidarisé avec l’Arabie Saoudite, considérant que c’était là son intérêt national, et il en attendait un retour. Ce retour s’est soldé à ce sommet par un triple bénéfice pour lui: une «alliance stratégique», comme cela a été qualifié, qui a été tissée de longue date avec ces puissances financières; un camouflet pour l’Algérie, au passage, en réponse au message porté par l’envoyé spécial, peu avant le sommet du CCG; l’appui franc apporté par le CCG au Maroc sur la question du Sahara Occidental au moment où celui-ci a engagé un bras de fer avec le SG/ONU. Enfin, il faut y ajouter les capacités de lobbying de certains de ces pays du Golfe qui vont servir le Maroc auprès de certains membres permanents du Conseil de sécurité pour son projet d’autonomie régionale.
A ce propos, posons-nous la question du timing du message qui a été porté par l’envoyé spécial du président de la République. Si le gouvernement algérien était au courant de la participation du Maroc au sommet du CCG, alors ce message était voué à n’être qu’un coup d’épée dans l’eau parce qu’il était vain de vouloir amadouer l’Arabie Saoudite sur des questions aussi primordiales pour elle. Les positions exprimées par l’Algérie ne souffraient quant à elles d’aucune ambiguïté et ne pouvaient être source d’aucune incompréhension comme on a pu le faire accroire. Il n’y avait pas lieu à mon sens de tenter cette opération de récupération; s’en tenir fermement à la position exprimée sans devoir se justifier eût été plus approprié. La presse publique a eu beau répéter qu’une invitation a été adressée au roi d’Arabie Saoudite, ce n’était là qu’une instrumentalisation très primaire visant à camoufler une opération de «réconciliation» à blanc avec l’Arabie Saoudite. A travers l’accueil réservé par le CCG au roi du Maroc, l’Arabie Saoudite, comme chef de file, a rendu la monnaie de la pièce à l’Algérie pour son manque de soutien à la politique saoudienne au Moyen-Orient et dans le Golfe et plus précisément suite aux déclarations de notre ministre des Affaires étrangères et de la position adoptée à Tunis sur la décision de la Ligue arabe de déclarer le Hezbollah libanais «organisation terroriste».
Le problème que cela pose est relatif à notre capacité de réaction ou d’anticipation à des évènements annoncés. Il ne suffit pas de constater ces jeux d’alliances géopolitiques, ou de s’indigner des «complots fomentés de l’étranger», cela est monnaie courante dans les relations internationales. Il s’agit surtout de savoir s’il y a une réponse diplomatique en préparation sous quelque forme que ce soit, ou s’il y a eu anticipation, à partir du moment où l’on a eu vent de cette jonction Maroc-CCG. C’est en effet une pratique diplomatique courante que de demander des clarifications par des voies appropriées sans pour autant mettre en cause le droit souverain de quelque pays que ce soit d’agir comme il l’entend. Je crains néanmoins que dans le contexte national d’aujourd’hui, notre pays ne doive encaisser en silence des revers à répétition. Ce dernier contrecoup sur notre pays est symptomatique d’une érosion de nos capacités de dissuasion et de réaction, car en d’autres temps l’Algérie se serait fait fort de prévenir ou de défaire toute manoeuvre de contournement d’où qu’elle vienne.
Autre message: le CCG reconnaît en la personne du roi du Maroc un interlocuteur dans le Maghreb avec qui on peut négocier, personnellement.. C’est malheureusement devenu une tendance générale depuis le retrait de notre président de la scène internationale pour raison de santé. De nos jours, les chefs d’Etat sont les premiers acteurs diplomatiques. Ils sont tout le temps en première ligne, sur tous les fronts, où que ce soit. J’ai comme le sentiment que nombre de pays sont en train d’exploiter ce retrait involontaire du chef de l’Etat de la scène internationale pour «avancer leurs pions» ou marquer des points.
Nombre de situations ne se seraient pas produites du temps où le président de la République avait toute sa santé parce qu’il avait l’oeil à tout. Le cauchemardesque épisode politico-médiatique algéro-français mais surtout algéro-algérien qui a rabaissé l’honneur du pays à un niveau jamais atteind, a été un symptôme dévastateur. N’eût été cet état de faiblesse, il n’y aurait pas eu ce tweet du Premier ministre français. L’instrumentalisation en interne de l’image du Président s’est retournée cette fois-ci contre le pays tout entier lorsqu’il s’est agi de s’en servir en présence d’un hôte étranger qui, je pense, semble s’être vengé, à sa manière, sans doute pour raison d’Etat. Il n’y a pas eu de réaction «d’indignation» sur ce fait précis. Mais pouvait-il y en avoir lorsque le Premier ministre français sait par le détail les intérêts personnels détenus en France par nombre de nos hauts responsables ou ex-responsables, ou leur dépendance du système de santé français. Comment réagir lorsqu’on apprend par des voies détournées que des Etats étrangers auraient leurs hommes dans le système, sinon dans le gouvernement? La simple insinuation de cette nature, jamais démentie par des faits, est gravissime. Pareille atteinte à la dignité de la Nation aurait dû déclencher enquête en interne et des sanctions. Avec cet épisode, on a une idée de l’estime dans laquelle est réellement tenu notre pays, et de quoi sont à présent capables les partenaires étrangers d’une manière générale du Nord, du Sud, de l’Est.
En effet, on évoque ce sommet du CCG, mais on semble perdre de vue que dans le Sahel une «alliance» au sommet de cinq pays, le G5, dont quatre pays frontaliers, s’est constituée au mois de novembre 2015. Cela a été passé sous silence. Pourtant, cette autre alliance a constitué un revers grave qui entre une série de contrecoups pour notre politique étrangère, africaine en particulier. Qui plus est, cela s’est déroulé devant notre porte, dans notre voisinage de sécurité le plus immédiat. Cet autre axe sahélo-sahélien ostensiblement défiant envers l’Algérie est aussi préoccupant que l’axe Maroc-CCG. Ce regroupement emporté par la Mauritanie, membre de la soi-disant UMA, veut mettre l’Algérie hors jeu dans le Sahel.
Cette autre «alliance» dans le Sahel au niveau des chefs d’Etat intègre le Mali pour qui l’Algérie a tout fait pour l’aider à conclure un accord de paix. Dans le contexte de voisinage, ne perdons pas de vue une autre donnée: les décisions importantes concernant la Libye sont toujours prises au Maroc et en Tunisie, et aucune ne l’a été en Algérie. Pareilles options sont prises au plus haut niveau des Etats, ce qui a pour effet direct d’évincer l’Algérie au moment des prises de décisions capitales pour le devenir de la Libye. Le reste en ce qui nous concerne n’est que gesticulation diplomatique dans le sillage de la «communauté internationale». Dernière donnée: la question du Sahara Occidental. Limitons-nous à relever que le roi Mohamed VI mène en personne une campagne offensive, et tisse des alliances tous azimuts pour renverser une tendance qui était défavorable pour le Maroc il y a quelques années. Résultat: le gel du processus de référendum par le Conseil de sécurité.
L’addition de tous ces contrecoups n’est-elle pas à mettre en rapport avec la fatigue du leadership national ?
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