Maroc : la double crise avec l’UE et l’ONU vue par un haut fonctionnaire algérien

Par : Afrique Asie
L’Algérie défend, concernant la question du Sahara occidental, une position de principe de justice, et de légalité internationale, ne cédant ni aux crises, ni aux chantages, ni aux pressions étrangères, ni à l’usure du temps. On a toujours dit que c’est une question de décolonisation et qu’à ce titre, la communauté internationale dans le respect de la doctrine onusienne en matière de décolonisation, doit assumer ses responsabilités »
Afrique Asie – De statut de « conflit oublié » qui réapparaît sur les radars de l’Onu à l’occasion du renouvellement du mandat de la MINURSO, on constate un regain d’intérêt pour la question du Sahara occidental. Quels en sont, selon vous, les facteurs explicatifs ?
Plus qu’un regain d’intérêt, il s’agit à mon avis d’une prise de conscience bien réelle de certaines dimensions inhérentes à ce conflit né, faut-il le rappeler, d’une entreprise de colonisation, voilà plus de 40 ans, d’un territoire non autonome au sens de la résolution 1514 de décembre 1960 de l’Assemblée générale des Nations unies, portant déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux peuples et pays sous domination coloniale. 
En reprenant chronologiquement le fil des événements qui ont marqué cette question au cours des six derniers mois, on distingue deux développements significatifs. 
Le premier est l’arrêt rendu le 10 décembre 2015 par la Cour de justice de l’Union européenne qui annule partiellement, en ce qu’il s’applique au territoire du Sahara occidental, l’accord agricole UE-Maroc signé en 2012. En conformité avec les résolutions de l’Onu, la Cour a estimé que le Conseil de l’UE aurait dû exclure le Sahara occidental des accords d’échange qui régissent les deux parties. 
Il s’agit d’un fait majeur qui vient consacrer d’âpres batailles juridiques qui ont opposé le Front Polisario au Maroc ces 40 dernières années, visant à remettre en cause la validité, au plan légal, des accords signés par le Maroc sur un territoire sur lequel aucun État au monde ne lui reconnait une quelconque souveraineté. 
Cette décision prononcée par une instance judiciaire indépendante a donné lieu à une réaction prévisible qui, à travers une dramatisation outrée propre la stratégie de la tension que nous connaissons bien, qui vise à influer sur le déroulement normal des procédures internes propres à l’UE. Et ce, dans le but de disqualifier le Front Polisario en tant que sujet de droit international pouvant ester le Conseil de l’Union européenne en justice.
Le deuxième fait marquant de ces derniers mois est la crise entre le Maroc et le système de Nations unies, consécutive à la visite du Secrétaire général de l’Onu dans les camps de réfugiés sahraouis et en territoire sahraoui libéré, en mars 2016, laquelle visait à relancer les négociations directes entre les deux parties au conflit afin de parvenir à une solution juste et mutuellement acceptable qui permet l’autodétermination du peuple du Sahara occidental. 
En fait, Ban Ki-Moon fait les frais d’une constante dans la démarche de la partie marocaine : gagner du temps, perpétuer le statu quo, épuiser la patience des Sahraouis et la mobilisation de la communauté internationale. 
En se rendant pour la toute première fois dans les camps de réfugiés et à Bir-Lahlou (zone libérée), M. Ban Ki-Moon a pris conscience de la souffrance et le déni de justice et de droit dont souffre la population sahraouie qui ne trouve pas d’auditoire pour s’exprimer sur la dure réalité de son quotidien. 
Dans une réaction humainement compréhensible et juridiquement fondée, le Secrétaire général de l’Onu a qualifié la présence du Maroc sur le territoire sahraoui d' »occupation » pour « relever l’incapacité des réfugiés sahraouis à retourner dans les territoires occupés dans des conditions leur permettant d’exprimer librement leurs revendications ». Cette déclaration lui a valu d’être traité de tous les noms, y compris d’être « instrumentalisé » par les ennemis de l’intégrité territoriale marocaine, comme si le statut définitif du Sahara occidental était « un dossier clos ». 
Je tiens à signaler que le terme « occupation » qui offusque tant est repris dans plusieurs résolutions datant d’avant l’arrivée de M. Ban Ki-Moon. Je citerai par exemple la Résolution 34/37 (1979) et la Résolution 35/19 (1980) où le Maroc est clairement et expressément identifié comme puissance occupante. 
Je rappelle que ce même pays a déjà tenté, en vain, de débarquer l’envoyé personnel du SG/Onu, Christopher Ross en 2012. La stratégie déployée par la diplomatie parallèle pour marginaliser Ross a été révélée par une abondante littérature mise en ligne par le hacker Chris Coleman, parmi laquelle un fax daté du 22 août 2014, dans lequel le représentant du Maroc auprès des Nations unies à New York, évoque une stratégie pour « isoler Ross, l’affaiblir et le pousser dans ses derniers retranchements au sujet de son agenda caché sur le Sahara ». 
Plus directement, la cause de cette situation réside dans la passivité du Conseil de sécurité et son refus, du fait de l’opposition déterminée d’un membre permanent, d’assumer pleinement ses responsabilités. Cette attitude encourage le Maroc dans son intransigeance et dans son refus d’appliquer les résolutions de l’Onu sur le Sahara occidental. 
Elle augmente les risques et le coût pour les parties prenantes, pour la région et pour la communauté internationale. 
Comment décryptez-vous la résolution que vient d’adopter le Conseil de Sécurité après l’expulsion par le Maroc des experts civils de la MINURSO ?
L’Algérie y a surtout vu un engagement renouvelé de la part du Conseil de Sécurité pour un règlement politique juste, durable et mutuellement acceptable qui pourvoit à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental, conformément aux principes et aux objectifs de la Charte des Nations unies ainsi que des résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité. Nous appelons à la mise en œuvre scrupuleuse de cette résolution qui réaffirme son appui au secrétaire Général de l’ONU, à son envoyé personnel et à sa représentante spéciale et qui souligne de manière, on ne peut plus claire, l’urgence pour la MINURSO d’accomplir pleinement son mandat et d’exercer la plénitude de ses fonctions.
Qu’est-ce qui explique, selon vous, la réaction timorée du Conseil de sécurité suite à l’expulsion de la composante civile de la MINURSO ?
Avant de répondre à votre question il me faut d’abord rappeler le contexte de cette décision que le Maroc présente comme « irréversible » et ses motivations sous-jacentes. 
Prenant prétexte des propos du Secrétaire général de l’Onu, le Maroc a expulsé les experts civils de la MINURSO, défiant ainsi l’autorité du Conseil de sécurité, seul habilité à modifier le mandat de cette mission et violant par la même ses obligations …..
Ce faisant, le Maroc veut préempter tout élargissement du mandat de la MINURSO au monitoring des droits de l’homme et de rendre caduque l’organisation d’un référendum d’autodétermination qui est la raison d’être de la MINURSO. 
Pour le Maroc, accepter l’élargissement du mandat de la MINURSO ou la mise en place d’un mécanisme indépendant de surveillance des droits de l’homme est synonyme de « timorisation » du dossier et, in fine, est le prélude à une indépendance programmée de cette région en plus de confirmer, s’il le fallait, aux yeux du monde, qu’il n’a aucune espèce de souveraineté sur un territoire occupé.
Pour répondre à votre question, vous avez constaté que le Conseil était divisé et que 5 membres n’ont pas voté en faveur de la résolution, estimant que le texte n’est pas en adéquation avec la gravité de la crise entourant la MINURSO car ils estiment que l’expulsion de la composante civile et politique compromet sérieusement le mandat de la Mission et que la restauration immédiate de sa pleine fonctionnalité est d’une urgente nécessité.
Le Maroc évoque constamment un conflit régional dont la responsabilité incombe à l’Algérie…
C’est de la pure propagande ! Je tiens à souligner que l’Algérie a toujours soutenu le droit inaliénable du peuple sahraoui à l’autodétermination, une position conforme aux principes de la Charte des Nations unies. La constance et la cohérence de sa position s’inscrivent dans le droit fil de son propre cheminement historique et elle se recoupe avec la position de la communauté internationale qui, dans son ensemble, considère qu’il s’agit d’un territoire non autonome inscrit sur les tablettes de l’Onu depuis 1963, que le statut définitif de ce territoire doit être déterminé à travers l’organisation d’un référendum d’autodétermination libre et sans contraintes administratives ou militaires.
Dans cet esprit, l’Algérie défend cette position, ne cédant ni aux crises, ni aux chantages, ni aux pressions étrangères, ni à l’usure du temps. On a toujours dit que c’est une question de décolonisation et qu’à ce titre, la communauté internationale dans le respect de la doctrine onusienne en matière de décolonisation, doit assumer ses responsabilités. 
Le parlement européen s’est montré moins sensible à la situation des réfugiés sahraouis, en fournissant au Maroc une tribune pour propager ses thèses sur le détournement de l’aide humanitaire européenne destinés aux sahraouis dans les camps de Tindouf.
Il ne faut pas confondre l’action de certains eurodéputés zélés, connus pour leur soutien indéfectible au Maroc, avec celle de l’Institution parlementaire. 
En exhumant, en janvier 2015, un rapport de l’Office anti-fraude de l’UE (OLAF) datant de 2007, les intentions du Maroc étaient on ne peut plus claires. Il s’agissait rien de moins que de parasiter le débat au Conseil de sécurité sur l’élargissement du mandat de la MINURSO à la surveillance des droits de l’homme, avec pour finalité de remettre sur la table la question du recensement des réfugiés sahraouis. 
Fort heureusement, ces allégations de détournement de l’assistance humanitaire ont été battues en brèche par les responsables européens eux-mêmes ainsi que par les représentants d’organes des Nations unies en charge de superviser l’acheminement et la distribution de l’aide, notamment le Programme Alimentaire Mondial et le Haut Commissariat aux Réfugiés. 
Ces institutions sont naturellement plus intéressées, du fait de la nature de leur mandat, pour les moyens de soulager le quotidien des réfugiés sahraouis et de répondre à leurs besoins essentiels que de faire le jeu des calculs politiciens du Maroc. 
Sur le recensement, les pressions marocaines sur l’UE pour en faire une condition à la fourniture de l’aide n’ont pas porté leurs fruits comme l’atteste la poursuite du programme d’assistance européenne aux réfugiés sahraouis. 
Il est intéressant de relever que les actions insistantes du Maroc à l’endroit de l’UE, qui contribue à hauteur de plus de 40% du total de l’aide internationale, lui ont été inspirée, selon les documents fuités par Chris Coleman, par un haut fonctionnaire onusien, ce qui souligne le niveau de corruption et les pratiques de clientélisme auxquelles ont recours certains représentants de ce pays dans leurs relations avec les représentants des institutions régionales et internationales.
Justement Omar Hilale, le Représentant Permanent du Maroc auprès des Nations Unies revient sur ce rapport de l’OLAF en évoquant une résolution adoptée en avril 2015 par le parlement européen exigeant des comptes et demandant la traduction des responsables des détournements devant la justice en citant clairement des responsables du croissant rouge algérien et des responsables du Polisario..
Cet aplomb est le propre du comportement des trolls habillés en costume de diplomate ! il y a tantôt 30 secondes je vous parlais du comportement de certains des représentants marocains et il se trouve que celui dont vous venez d’indiquer le nom est justement celui qui passé maître dans la mystification.
La résolution en question a été adoptée aux forceps dans le cadre de la décharge du budget de l’UE a l’initiative de la commission budgétaire, dont la présidente a effectué en avril 2015 une visite « d’agrément » dans la ville occupée de Dakhla dans le cadre d’un séjour touristique organisé à l’instigation du président du groupe d’amitié PE-Maroc. C’est vous dire l’acharnement de la présidente de la commission budgétaire à inclure un paragraphe sur les allégations de détournement de l’aide humanitaire destinée aux réfugiés sahraouis. D’ailleurs sous la critique des eurodéputés qui lui demandant avec insistance d’expliquer sa fixation sur cette question et qui l’ont ouvertement accusée d’avoir un agenda concocté par une tierce partie, la présidente de la commission a été contrainte d’accepter un amendement qui évoque désormais les « possible » détournements et qui concernent également d’autres situations géographiques en dehors de l’aide destinée aux réfugiés sahraouis. Ceci pour le contexte. Pour le fonds, nulle part il n’est fait mention d’une quelconque traduction devant la justice ou de demande de reddition de comptes comme le soutient effrontément cette personne et le texte de la résolution est public.
Le plus important dans cette affaire, remise au gout du jour bien vainement par les marocains, se trouve dans les multiples réponses édifiantes données par les plus hauts responsables de l’UE sur ces allégations de détournement.
– Le 24 mars 2015, suite à l’adoption du rapport sur la décharge budgétaire, Mme Kristalina Georgieva, vice-présidente de la commission européenne en charge du budget et des ressources humaines a souligné que « Les accusations de détournement de l’aide humanitaire de l’Union européenne aux camps des réfugiés sahraouis à Tindouf sont injustes notamment suite aux efforts et aux mesures pris par la Commission européenne ».
Elle a informé les eurodéputés membres de la commission du contrôle budgétaire que depuis 2003, la DG ECHO a réalisé 63 missions d’audit dont 8 missions d’audit réalisées sur le terrain, dans les camps sahraouis et qu’il n’y a aucune preuve que cette aide soit détournée.
– Le 14 juillet 2015, le Directeur Général ECHO à la Commission européenne (en charge de l’aide humanitaire), M. Claus Sørensen, a plaidé en faveur du maintien de l’aide humanitaire aux refugies sahraouis en insistant fermement, qu’après enquête approfondie, les noms suggérés sur la base de rumeurs dans le rapport OLAF (Polisario et croissant rouge algérien), n’ont aucune relation avec l’aide humanitaire de l’UE. Il convient de souligner que lors de ce même hearing devant la commission des finances, M. Sorensen a indiqué que le « recensement est tributaire de l’organisation du référendum d’autodétermination et que le référendumest la seule solution à la crise »
– Le 27 janvier 2016, la même vice-présidente de la Commission européenne a souligné, dans une réponse écrite, que « Pas moins de 24 missions de suivi et de monitoring ont été effectuées durant l’année 2015 par la Commission européenne dans les camps des réfugiés sahraouis à Tindouf. Les représentants de la Commission sont présents sur les lieux deux semaines par mois. Dans ce cadre, la commission européenne n’a planifié aucune mission d’audit » pour mettre fin aux rumeurs colportées par un quarteron d’eurodéputés connus pour leurs accointances avec les commanditaires.
– Enfin, le 27 avril 2016, le commissaire Stylianides, chargé de l’aide humanitaire a souligné que L’UE soutient sans réserve les efforts déployés par le Secrétaire général des Nations unies et qu’il n’appartient pas à l’Union européenne d’effectuer un recensement des réfugiés. Il a indiqué que l’aide humanitaire de la Commission n’est ni fournie ni contrôlée par une quelconque autorité politique et que la la Commission a renforcé le suivi des projets financés par l’UE dans les camps de Tindouf. Au total, 24 missions de contrôle ont ainsi été effectuées en 2015 et le personnel humanitaire de la Commission a passé jusqu’à deux semaines par mois dans les camps.
Ces réponses qualifiées et qui ne souffrent aucune contestation sérieuse devraient tempérer les ardeurs de celui qui qui, des rives du fleuve Hudson, se donne le beau rôle en menaçant de polluer le prochain briefing des donateurs au profit des réfugiés sahraouis.
Que pouvez vous nous dire sur la procédure en cours auprès de la Cour européenne de justice ?
Par arrêt du 10 décembre 2015, le Tribunal de l’Union européenne a annulé la décision approuvant l’accord agricole de 2012, au motif que l’Union européenne applique cet accord sur le territoire du Sahara occidental. Cela a été une magnifique victoire pour le peuple sahraoui sur plusieurs plans : 
D’abord, l’action du Front Polisario a été jugée recevable, le confortant ainsi dans son statut de sujet de droit international pouvant ester en justice le Conseil de l’UE, la Commission européenne, voire même les Etats membres de l’UE. 
Sur le fond, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne ont été amenés, tout au long de la procédure d’examen du recours introduit par le Front Polisario, à reconnaître eux-mêmes que le Maroc n’est pas souverain au Sahara occidental, que le Maroc n’a pas de mandat international sur ce territoire non autonome et que le Front Polisario est le seul représentant du peuple Sahraoui. 
Enfin, cette décision du tribunal se traduit automatiquement par la mise en stand-by des autres instruments signés entre le Maroc et l’UE (Accord de pêche notamment)
La ligne de défense du Front Polisario est très claire à ce sujet. Le Maroc est une puissance occupante selon la IV° Convention de Genève, auquel le Front Polisario est partie malgré , et à ce titre, le Maroc n’a aucun droit pour exercer une activité économique quelconque au Sahara occidental au détriment des sahraouis représentés par le Polisario et sans leur consentement.
Quelle devrait être, selon vous, l’attitude de l’Europe à l’égard de ce conflit ?
L’Union Européenne ne reconnait pas la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, et elle l’a confirmé devant la Cour comme le montre le résumé de son recours. Aussi, l’Europe doit se mettre en cohérence avec cette prise de position. Elle doit renoncer à sa présence au Sahara occidental, annuler les licences qu’elle a octroyées à des sociétés exportatrices basées au Sahara occidental et refuser tous les produits qui viennent du Sahara occidental et sont exportés avec un certificat d’origine marocain. L’UE qui s’est fixée comme objectif stratégique la stabilisation de la région dans le cadre de sa politique de voisinage rénovée, devrait pouvoir jouer un rôle actif en engageant la partie marocaine qui refuse obstinément d’entrer dans des négociations directes de bonne foi et sans précondition.

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