Le Sahara occidental, cet écheveau diplomatique dont il faut pouvoir parler

Question à M. Rudy Demotte, ministre-président, intitulée «Position et action de la Fédération Wallonie-Bruxelles dans le conflit de souveraineté au Sahara occidental». J’ai été sensibilisée à la question des Sahraouis par le film de Javier Bardem, Les enfants des nuages, projeté l’année dernière à Tournai au Ramdam Festival, le festival du film qui dérange. Ce documentaire m’avait bouleversée. J’ai eu honte de découvrir des événements contemporains et la chape de plomb qui les couvre.
Je voulais vous interroger sur ce qui s’est passé au début du mois d’avril dernier avec un groupe de juristes européens, qui a été interpellé et ensuite expulsé vers la France au motif de «menaces graves et imminentes à la sûreté du Maroc» pour avoir rencontré des avocats marocains et sahraouis assurant la défense de prisonniers politiques.
Monsieur le Ministre-Président, je vous sais sensible à la fois à la liberté d’expression et à la question du Sahara occidental. Voici désormais quarante ans que ce territoire grand comme l’Italie – et une grande partie de ses 500 000 habitants – après avoir vécu sous le giron espagnol et en étant revendiqué par l’Algérie, réclame au pouvoir marocain d’exercer son droit à l’autodétermination. Voici quarante ans que le Maroc lui refuse l’indépendance, offrant tout au mieux une autonomie pour certaines compétences et conservant, notamment, la mainmise sur l’un des plus grands gisements de phosphate au monde.
Voici bientôt trente ans que le Mur des sables, véritable mur de la honte, a été érigé par le Maroc pour mieux contrôler ces territoires. Long de plus de 2 000 kilomètres, il est parsemé de champs de mines et de miradors. Il matérialise aux yeux d’organisations internationales impuissantes la domination marocaine. Là où, selon l’ONU, aucun état membre, hormis le Royaume du Maroc lui-même bien entendu, ne reconnaît la souveraineté du Maroc sur ces terres, classées comme territoires non autonomes par l’ONU depuis 1963.
Dois-je évoquer le revirement de la Suède, qui aurait pu devenir le premier État de l’Union européenne à reconnaître officiellement l’indépendance du Sahara occidental, mais qui a changé de cap après le blocage de l’ouverture du premier Ikea marocain en périphérie de Casablanca ? Le courroux du Maroc à la suite de l’arrêt du 10 décembre de la Cour de justice de l’Union européenne ? Le procès intenté par Rabat contre le journaliste marocain Ali Anouzla pour « atteinte à l’intégrité territoriale » qui s’est ouvert le 9 février ? Ce journaliste qui, s’exprimant dans un média allemand alors qu’il devait recevoir le prix de la Fondation Raëf Badawi à Berlin, a franchi ce que Rabat qualifie de «ligne rouge». Dans les faits, il a simplement fait ce qu’un média libre fait dans tout pays démocratique : poser des questions sur la légitimité politique d’une action, d’une décision.
Monsieur le Ministre-Président, nous savons vous et moi qu’il est malheureusement toujours impossible, en 2016, au vu des blocages marocains, mais aussi des tentatives de désinformation, parfois, du Front Polisario, de savoir avec précision et objectivité ce qu’il se passe réellement au Sahara occidental au vu de l’enlisement actuel du processus d’autonomie et de l’omerta pratiquée par le Maroc.
En de telles situations désespérantes et désespérées, à l’instar de comportements identifiés dans la Bande de Gaza, certains Sahraouis se se- raient radicalisés et auraient rejoint des groupes intégristes comme l’État islamique, ce qui constituera à terme un nouveau «gisement» de terroristes.
Quelles sont l’implication et surtout la position officielle de la Fédération Wallonie-Bruxelles dans ce conflit de souveraineté au Sahara occidental ? Quel rôle la Fédération pourrait-elle jouer pour, diplomatiquement, peser dans le débat en faveur d’une solution concertée et équilibrée en vue de sortir le processus de son enlisement actuel ? Quel discours la délégation de la Fédération Wallonie-Bruxelles à Rabat peut-elle tenir dans ce cadre ?
Réponse de M. Rudy Demotte, ministre-président. Vos questions relatives au conflit de souveraineté au Sahara occidental me donnent l’occasion de confirmer que cette problématique conserve toute mon attention. Je suis cette question depuis maintenant 32 ans. À l’époque, comme président des Jeunesses socialistes, j’ai rencontré des gens du Front Polisario et de l’USFP. C’est dire à quel point ce conflit est complexe et long.
En toute logique, la position de la Fédération Wallonie-Bruxelles rejoint d’abord la position de la Belgique, mais aussi de l’Union européenne. Nous soutenons depuis longtemps, et peut-être dans l’acuité actuelle encore davantage, les efforts du secrétaire général des Nations unies. Il cherche «une solution politique, juste, durable, mutuellement acceptable, dans un contexte d’arrangement conforme avec les buts et principes de la Charte de l’ONU». Voilà des balises très claires. Cela peut ressembler à une somme de mots ajoutés les uns aux autres, mais tout est dans la balance de ces mots.
Nous ne pouvons pas faire autrement que soutenir la position du Parlement européen qui répond à notre vision des choses. La Fédération Wallonie-Bruxelles a d’ailleurs toujours fait preuve de respect sur ces questions des droits humains considérés par nous comme notre valeur première. Nous sommes conscients que cette situation, à force de durer, n’en est que plus alarmante. À ce titre, indépendamment des positions des uns et des autres et de ce brouillard informatif auquel vous vous référez et que l’on ressent dans les contacts, nous encourageons plus vivement encore que dans le passé le Maroc et le Front Polisario à poursuivre le processus des négociations sous l’égide de l’ONU, pour que ce ne soit pas un élément qui porte des conflits, pour parvenir à une solution politique mutuellement satisfaisante en termes de paix, de confort d’existence, en respectant la demande d’autodétermination faite par le peuple sahraoui occidental, et en mettant un terme à la souffrance. Je n’en parle pas de manière abstraite, mais, sur le terrain, on sent une réelle souffrance humaine.
Je voudrais aussi vous rassurer. Notre délégation à Rabat s’inscrit dans ce sens. Nous veillons à ce que notre attention soit toujours exprimée dans ces mêmes termes, à la fois de nuance et d’engagement que je viens de rappeler. Je souhaite vivement que l’ONU puisse trouver un chemin. Lors de chacune de mes missions au Maroc, nous avons eu l’occasion de parler avec la pudeur qu’on imagine, mais aussi avec l’acuité derrière la pudeur, de ces questions extrêmement délicates, extrêmement taboues, extrêmement sensibles de ce que eux considèrent comme une sécession territoriale et d’autres comme la libre expression d’un droit à la détermination d’un territoire dont ils réclament la gestion.
Réplique de Véronique Waroux. Je vous remercie, Monsieur le Ministre-Président, de votre attention et j’applaudis votre connaissance du sujet. J’avoue que jusqu’à l’année dernière, je ne connaissais pas la situation, mais je ne pense pas être la seule dans ce cas. J’ai retenu des mots forts: droits humains, situation de plus en plus alarmante, brouillard informatif, souffrances. Questions délicates, on le sait. On parle de soutien. Le soutien passe par le fait d’oser parler du problème et de rompre ce silence destructeur. Je sais qu’il faut être prudent diplomatiquement, mais, sachant que cinq cent mille personnes sont concernées depuis si longtemps et que l’on connaît si peu ce problème, je me permets d’inviter tout le monde à oser en parler.

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