INFOGRAPHIES L’Europe en offre les exemples les plus récents. À l’heure des migrations de masse, les clôtures fleurissent aux frontières. Le phénomène est mondial, on compte aujourd’hui près de 70 murs, contre une dizaine après 1945. Peu efficaces – l’histoire l’a démontré – ils servent surtout à endiguer les angoisses que crée la globalisation.
INFOGRAPHIES L’Europe en offre les exemples les plus récents. À l’heure des migrations de masse, les clôtures fleurissent aux frontières. Le phénomène est mondial, on compte aujourd’hui près de 70 murs, contre une dizaine après 1945. Peu efficaces – l’histoire l’a démontré – ils servent surtout à endiguer les angoisses que crée la globalisation.
*Elisabeth Vallet, chaire Raoul-Dandurand, UQAM
Ces murs qui partout se dressent
Mais le phénomène est mondial. Les clôtures, les barbelés, les barricades sont de retour. Hormis l’Amérique du Sud, tous les continents observent leur recrudescence. Donald Trump a fait de la clôture totale de la frontière mexicaine un thème de sa campagne. Sur la rive sud de la Méditerranée, en Tunisie, on donne les derniers coups de pelle à une barrière d’environ 200 km à la frontière libyenne. Au talus de sable de 2 mètres devrait s’ajouter un système de surveillance électronique. L’ensemble vise à enrayer la série d’attentats meurtriers qui a frappé dernièrement le pays, et dont les auteurs présumés auraient séjourné en Libye.
Avec ce chantier et les projets dont les budgets ont été votés, on compterait 66 murs dans le monde, selon les calculs d’Elisabeth Vallet, géographe et directrice du programme de recherche Borders in Globalization de l’université de Victoria, au Canada, contre seulement 11 au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. De manière significative, le rythme de construction s’est accéléré depuis les attentats du 11 septembre 2001.
Pourtant, les murs n’ont pas vraiment démontré leur efficacité dans le passé. Au iie siècle après Jésus-Christ, les Romains construisaient le long du limes – à travers l’actuelle Grande-Bretagne – les murs d’Hadrien et d’Antonin pour se protéger des Barbares. Pas de quoi enrayer le déclin de l’Empire d’Occident, qui tombera trois siècles plus tard. Avant eux, les Chinois avaient commencé à bâtir la Grande Muraille pour protéger leur frontière septentrionale. Elle ne pourra rien contre la détermination des guerriers mongols. Les Français ont érigé dans les années 30 une ligne Maginot qui n’a pas arrêté les Allemands. Ces derniers ont misé sur le mur de l’Atlantique, mais il n’a pas empêché le Débarquement. Aucun de ces édifices n’a rempli sa mission. Tous ont fini par tomber, physiquement ou symboliquement.
« Les barrières qui peuvent prétendre à un label d’étanchéité se trouvent sur des lignes de front. Autrefois à Berlin ou aujourd’hui à Chypre, en Israël ou en Corée. Les forces militaires y sont omniprésentes, et les passages quasi nuls », explique Elisabeth Vallet. Les murs qui « fonctionnent » sont le résultat d’une volonté conjointe de deux pays. A contrario de ceux visant à endiguer un flux migratoire, qui sont le fruit d’une décision unilatérale : un pays construit, l’autre subit. Ceux-là sont d’ailleurs érigés en retrait de la ligne frontalière.
Plus qu’ils ne stoppent les flux, la plupart des murs actuels les canalisent vers des points de passage. « Présentez-moi un mur de 50 pieds, je vous montrerais une échelle de 51 pieds », se plaisait d’ailleurs à ironiser Janet Napolitano, gouverneur de l’Arizona, avant d’être nommée secrétaire américaine à la Sécurité intérieure par Barack Obama. À la frontière mexicaine, les passeurs rivalisent d’ingéniosité. On les a vus expédier des leurres dans le champ des radars pour attirer l’attention des drones et des patrouilles terrestres, pendant qu’ils lançaient une incursion à des dizaines de kilomètres de là. Sans parler des très longs tunnels que les Mexicains creusent, au risque de provoquer des effondrements de terrain. Dans la région, le détecteur sismique est devenu un accessoire indispensable à la panoplie d’un mur.
Car il y a, dans ce domaine aussi, une course à l’équipement, fût-il défensif. À la triple muraille blindée, s’ajoutent désormais des systèmes de surveillance électronique, des capteurs thermiques, des drones… Entre l’expropriation des terres et la mise en œuvre, la construction du mur à la frontière mexicaine coûte de 1 à 5 millions de dollars le kilomètre, d’après un rapport du gouvernement américain. La facture s’alourdit encore si on ajoute les frais d’entretien. Le budget annuel de la police américaine des frontières a quasi triplé en dix ans, passant de 5 à 13 milliards de dollars en 2015. Des montants qui paraissent encore plus exorbitants quand la technologie se révèle inopérante. Ainsi, la barrière virtuelle en Arizona a englouti plus de 1 milliard de dollars pour couvrir péniblement… 85 km. Le département de la Sécurité intérieure a finalement mis un terme à l’expérience après avoir découvert que les câbles des tours de surveillance électronique ne résistaient pas à la chaleur ! Si la fermeture de la frontière côté californien semble aujourd’hui effective, elle ne doit pas faire oublier que l’Arizona est devenue la porte d’entrée principale des migrants aux Etats-Unis. Les candidats au rêve américain n’hésitent plus à se risquer dans son terrible désert, où des centaines de personnes trouvent la mort chaque année.
En Europe aussi, les murs n’ont fait que dévier les routes. À la frontière gréco-turque, la barrière d’Evros a détourné les migrants vers la Bulgarie, au nord, et vers les îles grecques, au sud. Depuis le 8 mars dernier, la fermeture simultanée des frontières slovène, croate et serbe a relancé la route méditerranéenne via les Pouilles et l’Adriatique.
Si les murs n’ont finalement pas d’efficacité, leur fonction serait-elle surtout politique ? Leur construction est, de fait, une démonstration de souveraineté nationale. Il s’agit de rassurer l’opinion publique du pays constructeur, assure le géographe Michel Foucher. Deux chercheurs de l’université de Princeton proposent une lecture complémentaire, économique celle-là. Ils ont mouliné l’histoire des murs sur deux siècles pour déterminer ce qui poussait réellement les pays à matérialiser leurs frontières. Conclusion : c’est le différentiel de richesse par habitant qui fournit la clef d’explication essentielle. Il est de 1 à 4 entre le Mexique et les Etats-Unis en 2006, au moment de la construction. De 1 à 5 en 1999 entre le Maroc et l’Espagne. Les murs anti-immigration, y compris sous prétexte d’une frontière conflictuelle, sont la conséquence directe de ce profond déséquilibre entre pays riches et pays pauvres, soutient également l’historien Claude Quétel. Les plus emblématiques, celui de la frontière américaine et ceux de Ceuta et Melilla, montrent assez bien comment se dessine cette ligne de partage. Le Bangladesh, pays le plus pauvre au monde, est cerné de murs, quand l’Arabie saoudite, l’un des plus riches, est le plus gros constructeur du moment. Il n’y a pas de coïncidences…
Finalement, suggère Claude Quétel, les nouveaux murs ne prétendent pas être des solutions, mais simplement des réponses. Ils ne servent plus à combattre un ennemi déterminé, mais une menace globale, l’immigration clandestine, le terrorisme, la pauvreté, voire les trois. Des murs « anti-tout », symptôme du chaos du monde. Ce qui laisserait malheureusement penser, selon les mots de l’historien, que « les murs ont de l’avenir ».
Le triomphe du barbelé
À l’ère des caméras de vidéosurveillance et de l’identification biométrique, on aurait pu croire le barbelé obsolète. Il reste pourtant largement utilisé sur de nombreuses frontières à travers le monde. Sa légèreté et sa souplesse en font un outil d’une grande efficacité. « Aux Etats-Unis, il a participé à la colonisation des prairies de l’Ouest et au génocide des Indiens. Pendant la Première Guerre mondiale, il a garni les tranchées. Enfin, en Pologne ou en Allemagne, il a clôturé les camps de concentration. Il a joué un rôle décisif dans trois des plus grandes catastrophes de la modernité », selon le philosophe Olivier Razac. Le plus simple, type Glidden, du nom de son inventeur, n’a plus que des usages agricoles. Le fil de fer a autant de formes que d’usages. Pour repousser les hommes ou empêcher l’escalade, on recourt à des petites lames plus ou moins longues ou tout simplement à une électrification. Pour les utilisations plus ponctuelles, un système de déroulement permet d’ériger très rapidement une barrière infranchissable pour contenir les déplacements d’une foule.
Trois frontières hors normes
Un rempart de sable au Sahara :
Une fortification de 2 700 km au cœur du désert. Le mur du Sahara occidental, territoire sans statut défini, revendiqué par le Maroc et le Front Polisario, est constitué de sable, mais aussi de barbelés, de puissants radars et d’une multitude de postes militaires tenus par des dizaines de milliers de soldats marocains. Le plus grand champ de mines du monde complète le dispositif. Ce mur vise à protéger la partie du Sahara occidental contrôlé par le Maroc des incursions du Front Polisario et maintient la division de ce territoire. Son entretien coûterait entre 2 et 4 millions de dollars par jour, estiment Alexandra Novosseloff et Frank Neisse dans leur livre Des Murs entre des hommes (La Documentation française).
Le « mur de la peur » au Bangladesh :
L’Inde a fermé la presque totalité de sa frontière terrestre avec le Bangladesh, soit quelque 3 400 km ! Officiellement pour se protéger des infiltrations terroristes, en réalité pour contenir les flux de migrants fuyant la pauvreté. Le tracé, extrêmement complexe, a multiplié les enclaves de part et d’autre, privant certains habitants de leur titre de nationalité et de leurs droits, tel l’accès aux services publics. Sévèrement gardé, ce mur passe pour infranchissable. Le grand nombre d’arrestations et de victimes de tortures en fait l’une des frontières les plus dangereuses au monde. Une personne y meurt tous les cinq jours depuis dix ans, selon les chiffres indiens, certainement sous-estimés.
Une barrière high-tech en Arabie saoudite :
L’Arabie saoudite se barricade. À la frontière avec le Yémen, le Qatar, les Emirats arabes unis ou l’Irak, les murs se multiplient, pour protéger le royaume contre l’immigration clandestine mais surtout contre les incursions de djihadistes. Le dernier ouvrage en construction sera équipé des gadgets technologiques les plus performants, tels que des caméras infrarouges à identification biométrique, capables de déceler le moindre mouvement de piéton à 18 kilomètres de distance et de repérer un camion ou un hélicoptère à 36 kilomètres. Sans oublier des tours de surveillance et des fossés minés. Au total, la barrière comptera cinq épaisseurs.
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