Soulèvement de Gdeim Izik, l’étincelle du Printemps arabe |
Le moment révolutionnaire au Maroc
Entretien avec Hamza Esmili
Lors des « Printemps arabes », on a moins entendu parler des événements marocains que des révolutions tunisienne et égyptienne. Pourtant, si elle n’a pas conduit à la chute du roi, la mobilisation au Maroc a été très importante.
À cinq ans de distance, nous avons demandé à Hamza Esmili, étudiant à l’EHESS en sociologie qui a participé au Mouvement du 20 Février au Maroc, puis à ses suites, de revenir avec nous sur ces événements.
Notification : Cinq ans ont passé depuis les soulèvements des Printemps arabes. En Egypte, cette année, le général al-Sissi s’est montré inquiet lorsque l’anniversaire du 25 février, date du début du soulèvement révolutionnaire, approchait : il a fait arrêter des activistes et a renforcé la protection policière de la Place Tahrir. Y a-t-il eu une réaction similaire au Maroc ?
Le début officiel du « Printemps marocain » est le 20 février, le jour de la plus grande manifestation : toutes les luttes qui ont eu lieu ensuite pendant trois ans se sont faites au nom du 20 février. Bien qu’elle n’ait pas été aussi médiatisée que celles d’autres pays de la région, cette manifestation a été vraiment importante : il y a eu environ 300 000 personnes dans les rues et 80 localités touchées. Je crois qu’en termes de localités touchées c’est la plus grande manifestation des « Printemps arabes » (par rapport, en tout cas, à la Tunisie et à l’Égypte). Le 20 février est donc devenu très vite la date emblématique du mouvement.
Cette année, en 2016, il y a eu une tentative de faire repartir le mouvement du 20 février. Car en ce moment, au Maroc, il y a beaucoup de manifestations sur des questions proches , et le « mouvement du 20 février » a cherché à s’unir à ces luttes en induisant une manifestation le 20 février 2016. La manifestation n’a pas eu de suites, mais il y a plusieurs raisons à cela. Et il ne suffit pas d’appeler à manifester pour qu’il se passe quelque chose !
Notification : Pour revenir aux événements d’il y a cinq ans, comment cela s’est passé au Maroc ? Quels étaient les facteurs économiques, sociaux, politiques qui ont mené au soulèvement ?
Il y a eu des événements assez importants à l’été 2009 à Laâyoune, qui est la grande ville du sud marocain. C’est une ville de conflit entre le Royaume du Maroc et ceux qu’on appelle « les séparatistes » – en fait le Front Polisario – qui demandent un référendum d’autodétermination du Sahara Occidental. Il y a donc eu un mouvement majeur à Laâyoune, avec la mise en place de campements sur les places. Il naissait d’une question sociale, c’est-à-dire de la revendication d’une égalité de fait entre citoyens du nord et citoyens du sud du Maroc. Ce mouvement a été dispersé dans le sang par les forces de l’ordre, la répression a été beaucoup plus violente qu’en 2011. Certains analystes considèrent que c’est là le vrai début des printemps arabes, avec les événements de Gafsa en Tunisie.
Notification : Est-ce qu’il y avait une conscience de ce lien à l’époque ?
Non, je pense que ce lien a été établi a posteriori. Pour en venir à la question de l’« effet domino » des printemps arabes, qui a souvent été invoqué, je pense qu’il faut au contraire penser ces événements comme résultant de dynamiques structurelles qui touchent des pays qui font face à des situations sociales proches. Ainsi, le Maroc, comme une grande partie de ce qu’on appelle « le tiers monde », a subi dans les années 80 les plans de réaménagement structurel. Cela signifie que le FMI arrive avec un programme très serré de réformes économiques – et politiques, il faut le dire – en échange de prêts. Le Maroc a choisi cette voie, et cela a eu pour effet le passage d’un rôle de l’État à un autre, c’est-à-dire une réduction drastique de l’État social. Car même si le régime d’Hassan II (1961-1999) a été un régime dictatorial, il y avait de la redistribution envers les classes intermédiaires. Pendant les années 1980-90 donc on assiste à un passage vers un fonctionnement de l’État beaucoup plus libéral. Et cela s’est traduit, notamment, par une marginalisation de la classe intermédiaire. Jusque-là, cette classe avait certains capitaux, une certaine place dans l’État – je pense aux agents de la fonction publique, aux instituteurs par exemple. Et c’est cette classe là qui a eu un rôle central dans le mouvement du 20 février. L’explosion sociale de 2011 a donc été préparée par un processus qui avait commencé bien avant.
Notification : Ton analyse va donc à l’encontre de cette idée d’« effet domino » des révoltes dans les pays « arabes » ?
Il y a eu certainement un effet d’aubaine parmi les militants : il y a notamment eu l’idée de reproduire que ce qui se passait en Tunisie au Maroc. Les militants marocains, toutes tendances confondues, ont pensé qu’il fallait profiter de ce qui se passait en Tunisie pour le transporter au Maroc. Mais l’analyse qui s’appuie sur la notion d’« effet domino » est trop réductrice car, comme je le disais, il ne suffit pas d’appeler à manifester pour que quelque chose se passe réellement. Pour que ces 3-400 000 personnes descendent dans les rues ce 20 février 2011, il a fallu un peu plus que des militants qui ont voulu profiter de l’effet d’aubaine. Je pense donc que cette idée d’« effet domino » a tendance à cacher les dynamiques structurelles qui peuvent toucher deux pays en même temps sans pour autant qu’il y ait de lien direct, si ce n’est un effet déclencheur.
Car effectivement, il y a eu un effet déclencheur : c’est en janvier, après la chute de Ben Ali, que se réunissent les militants de la gauche et de la principale confrérie religieuse au Maroc, Al Adl Wahl Ihsane – qui constitue 90% du mouvement.
Notification : Y a-t-il un lien entre cette confrérie et les Frères musulmans égyptiens ?
Non, il n’y a aucun lien. Al Adl Wahl Ihsane est un « ovni » dans le champ islamiste du monde arabe, justement parce que la confrérie n’a aucun lien avec les Frères musulmans : elle est issue d’un mouvement soufi. Le principal parti marocain qui est proche des Frères musulmans est au pouvoir en ce moment, il s’appelle le parti « Justice et développement ». Al Adl Wahl Ihsane signifie en fait « Justice et Bienfaisance ». C’est un mouvement qui est très marqué par la révolution iranienne, par la pensée iranienne. Et par une figure quasi prophétique – ou en tout cas mystique – , celle de Cheikh [Abdelassam] Yassine, fondateur du mouvement.
Notification : Depuis quand ce mouvement existe-t-il ?
Il existe depuis 1974, lorsque Cheik Yassine envoie au roi Hassan II une lettre intitulée « L’islam ou le déluge » où il lui propose de gouverner le Maroc ensemble. Hassan II n’étant pas particulièrement sensible à l’idée, il fait interner le Cheikh dans un asile ! Mais le mouvement Al Adl Wahl Ihsane est le principal mouvement politique aujourd’hui au Maroc, toutes tendances confondues, et notamment parce qu’il a une très forte présence dans les quartiers. C’est un schéma que l’on connait, et qui marche aussi bien pour le Hezbollah que pour les Frères Musulmans : ce sont des mouvements qui jouent le rôle de l’État là où il n’y en a pas. C’est-à-dire qu’ils font de la redistribution, ils payent les retraites, ils organisent les enterrements, etc. Beaucoup d’analyses « libérales » vont appeler cela du « populisme », mais c’est au contraire une organisation sociale qu’il faut prendre au sérieux, qui est tout-à-fait légitime aux yeux des habitants, et qui assure une subsistance à ceux qui n’ont plus rien. Ça mérite donc un peu plus que de la condescendance.
Notification : Dans l’article que tu as écrit avec Montassir Sakhi, vous évoquez une double scission au sein du mouvement du 20 février : entre les revendications économiques et sociales et les revendications politiques portant sur des « droits » d’une part, et entre les mouvements islamistes et la gauche laïque d’autre part. Comment s’est faite l’union de ces différentes revendications au sein du mouvement ? Et quel rôle au contraire ont eu ces clivages dans l’essoufflement du mouvement ?
En fait, il n’y a jamais eu d’union entre ces différents types de revendications. Et c’est pour cela qu’il est plus exact selon moi de parler de « moment » que de « mouvement » révolutionnaire. Le moment du 20 février a été un moment où est apparue l’histoire et ses enjeux, où sont apparus les groupes sociaux en lutte. Et tous les groupes sociaux, du plus haut au plus bas, ont participé à ce « moment » d’une manière ou d’une autre. Cela signifie que le moment portait en lui des intérêts tout à fait contradictoires. Il y avait par exemple des slogans libéraux, qui étaient axés sur « la bonne gouvernance », la « transparence » – un slogan célèbre du 20 février disait « il faut séparer l’autorité de la fortune », l’État du marché – qui étaient portés par des groupes sociaux situés. Car ceux qui proféraient ces slogans n’étaient pas ceux qui disaient « nous voulons entrer dans la fonction publique », « nous voulons des emplois sûrs », ni ceux qui luttaient pour le logement, pour un logement salubre… Il y avait donc des intérêts différents qui se sont retrouvés côte à côte.
Notification : Mais sans avoir une véritable organisation…
En effet, ils n’étaient pas organisés, mais ils ne cherchaient pas non plus à l’être. C’est-à-dire – et c’est là la grande illusion du mouvement – que tous les militants, et moi compris, avons pensé que le fait d’être ensemble dans la rue signifiait que nous voulions la même chose. Mais ce n’était absolument pas le cas. D’ailleurs, depuis ce qu’on a appelé l’« échec » du moment du 20 février, on a pensé que la raison en devait être qu’on n’était pas allés assez loin. Mais je ne pense pas qu’il y ait eu un « échec », il y a au contraire un mouvement du 20 février qui a réussi, et c’est ce mouvement libéral qui a obtenu une réforme constitutionnelle, la décentralisation, un ensemble de réformes structurelles qui ont effectivement été obtenues au Maroc. Mais ce sont en réalité des réformes qui vont dans le même sens que les réformes de 1990, c’est-à-dire vers une libéralisation. C’est assez frappant, on le remarque par exemple dans le fait qu’aujourd’hui l’éducation au Maroc est en ruines, les hôpitaux ont été privatisés, on passe de ce qu’a été le « bidonville », qui est une forme urbaine très importante au Maroc, à autre chose, qui serait plutôt le « ghetto »…
Notification : Et pour ce qui est du clivage entre islamistes et « gauchistes » ?
C’est une question difficile, qui touche davantage le champ politique. C’est-à-dire que c’est une question qui ne se pose que quand on décide d’entrer dans le champ politique, quand on devient militant actif. Ce n’est qu’alors que la question de choisir son camp devient pressante. Et évidemment 90% choisissent l’islamisme. Mais on a tendance à faire de ce clivage entre gauche et islamistes le clivage fondateur de la lutte sociale au Maroc, alors que ce n’est pas du tout un clivage social qui traverserait toutes les strates de la société, c’est plutôt une scission qui n’intervient que lorsqu’on fait de la politique.
Une partie de la gauche a en effet la même base sociale que la confrérie religieuse « Justice et Bienfaisance », et se retrouve donc à porter les mêmes intérêts sociaux. Pendant les premiers six mois du mouvement donc, il y a eu collaboration entre « Justice et bienveillance » – qui était, en termes quantitatifs, le principal pourvoyeur de forces du mouvement – et la gauche. Ils commencent à se séparer – et c’est aussi le moment où le mouvement se délite – lorsque le roi Mohammed VI promet une réforme constitutionnelle. C’était là un coup politique majeur : le roi fait un discours, le 9 mars 2011, où il accorde une réforme vraiment importante de la Constitution marocaine. Jusqu’en juin il continue a y avoir des manifestations, mais le 1 juillet il y a le référendum pour la réforme constitutionnelle, et le « oui » l’emporte à 97%. À partir de ce moment là, une bonne partie des organisations qui soutiennent le mouvement du 20 février se retirent, et il ne reste quasiment plus que « Justice et bienveillance ».
Notification : Quelle a été cette réforme constitutionnelle ?
C’est notamment l’abrogation de l’article 19 de la Constitution marocaine, qui fondait la sacralité du roi ; la constitutionnalisation de la langue amazighe, qui devient langue officielle du Maroc, avec l’arabe ; la réforme des institutions politiques, puisqu’on passe d’un Premier ministre nommé par le roi, à un Président du Conseil qui est le chef de la majorité parlementaire… On rentre dans un système politique tel que promu par l’ensemble des organisations internationales, comme cela a été fait aussi en Tunisie, de manière très semblable.
Notification : Quel a été le rôle des organisations internationales dans le mouvement ?
Elles ont eu effectivement un rôle dès le début du mouvement, mais surtout, et de plus en plus, après. Aujourd’hui on assiste au développement d’une société civile qui oriente le débat public vers ces questions de la « bonne gouvernance », de la lutte contre la corruption… on a un ensemble de slogans, libéraux, promus par les organisations internationales. Et le rôle des aides européennes, de l’Usaid, des fondations allemandes est important : elles financent toute une partie des organisations marocaines, qui en retour agissent sur le débat public. Vous ouvrez n’importe quel journal marocain, et vous verrez que les débats ne touchent absolument pas les questions sociales, mais des questions telles que : « est-ce que le Maroc est un pays arabe ou pas », ou sur la liberté d’expression… Tout cela est très bien, mais il faut savoir que le Maroc a 50% d’analphabètes, dont personne ne va parler !
Notification : Que penses-tu de cette appellation de « printemps arabes », qui évoque les printemps des peuples de 1848 et qui s’est amplement diffusée dans les médias occidentaux ? Est-ce une appellation qui était revendiquée par le mouvement ? Y avait-il la revendication d’exemples, de « précédents » nationaux ?
On l’a prise telle quelle en arabe. Certes c’est une vision un peu eurocentrée, c’est le printemps de 48, le printemps de Prague. Il y avait, de ce que j’ai vu au Maroc, cette tentation de se référer aux grandes révolutions du passé. Ces exemples sont fournis par une certaine construction de l’histoire plutôt eurocentrée, qui est véhiculée entre autres par l’école.
Il y avait certes aussi des exemples nationaux, mais qui concernaient moins la question de l’appellation. Les militants politiques se réclamaient des grandes luttes des années 70-80 contre le régime de Hassan II – de luttes marxistes-léninistes en l’occurrence – mais aussi des luttes du mouvement national contre l’occupant français. Il y a donc eu un héritage symbolique : si vous prenez les grands appels à manifester de 2011, vous trouvez souvent la référence à telle émeute en 1981, à telle figure historique, notamment à Mehdi Ben Barka .
Notification : Ce n’étaient donc là les références que d’une partie de la gauche ?
En fait, les aspects symboliques du mouvement, des icônes, des événements auxquels on se réfère, ce sont à nouveau des références qui apparaissent uniquement dans le champ politique institutionnel. C’est-à-dire que ceux qui ne sont pas politisés – et qui étaient nombreux dans les rues le 20 février – n’ont pas besoin de faire appel à une symbolique particulière.
Cette question de l’appellation du mouvement, de la revendication de figures historiques n’était pas capitale. La ligne de clivage se situait plutôt dans les intérêts divergents des différentes catégories sociales, qui étaient toutes représentées. Et si tout à l’heure j’ai parlé de « moment » révolutionnaire, c’est parce que justement tout le monde était conscient de la divergence des intérêts, de la présence d’intérêts antagonistes. Le moment du 20 février – et je dirais que c’est la caractéristique des printemps arabes, mais là je m’avance peut-être un peu – a été un moment où l’histoire apparaît « nue », où les enjeux apparaissent brutalement. Sans toutes les constructions symboliques, sans tous les discours et tous les dispositifs qui sont mis en place pour maquiller la réalité sociale.
Dans le moment du 20 février, tout le monde avait conscience des intérêts de chacun, et c’est pour cela que tout le monde s’investit dans le mouvement, même le roi ! Même les intérêts des strates les plus hautes de la société faisaient partie du mouvement : ils avaient tel type de slogans, portaient tel type d’intérêt, de revendication… mais ils étaient là. Et de même au plus bas. Ce qu’on appelle le « Lumpenproletariat » était aussi dans le moment, mais d’une autre façon, car il ne manifestait pas. Il était représenté par ceux, par exemple, qu’on a appelé, dans toute la région du Maghreb, les baltajia, les milices payées par des intérêts privés et qui étaient là pour « casser » les manifestations.
Notification : Est-ce que la partie de la population qui n’était pas politisée avant et qui a participé à ce « moment » révolutionnaire a continué à lutter après 2011 ?
Il y a ceux qui, après le moment du 20 février, se sont investis dans les actions militantes aux sens strict : associatives, partisanes, organisationnelles. Cette politisation peut donc être vue comme la conséquence du 20 février. Mais en réalité souvent elle ne fait qu’actualiser un potentiel déjà présent, car la plupart du temps il s’agit d’individus issus de familles de militants.
Par contre, la question de savoir si le groupes sociaux qui ont participé au moment du 20 février continuent de lutter est un sujet plus compliqué, mais très important. Personnellement, j’ai tendance à penser que tout le monde lutte tout le temps, mais qu’on lutte selon les moyens qu’on a. Lors du 20 février, on a eu l’impression qu’on avait plus de moyens que ceux qu’on avait réellement, et que le champ des possibles était plus ouvert que ce qu’il ne l’était en réalité. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus de luttes. Il y a des luttes dans les quartiers populaires, tous les jours, mais sous des formes qui ne sont pas celles des militants, des partis, de la symbolique etc. Ces luttes existent quand on ne paye pas la facture d’électricité, quand on décide de creuser sous terre pour rattacher les canalisations d’eau à chez soi : cela aussi, c’est de la lutte politique.
Notification : À quel point la situation géopolitique du Maroc dans la région et dans le monde a-t-elle eu un impact dans le « moment » de février ? Et à quel point cette position a-t-elle changé depuis ?
Tout le monde fait de la politique au Maroc – les Marocains, les Français, les Américains… – et tout le monde est investi partout. En 2011, les grandes figures qui émergeaient du moment du 20 février étaient sans relâche invitées aux ambassades de France, des États-Unis. On avait réellement l’impression que les grandes puissances changeaient de chevaux de bataille – et c’est peut-être cela qui nous a donné l’impression qu’on allait faire une vraie révolution. Mais en même temps, le roi, entre le 20 février et le 9 mars , a fait la tournée des capitales européennes, et il est passé à Washington : il est allé recueillir les conseils auprès de ces mêmes puissances ! C’est-à-dire que tout le monde faisait de la politique, mais tout le monde la faisait partout – au niveau institutionnel, on jouait pour défendre l’allié des puissances occidentales, c’est-à-dire la royauté, mais, à d’autres niveaux, ces mêmes puissances tâtaient le terrain, envisageaient un autre dénouement possible… en fait elles n’auraient eu aucun mal à se débarrasser de la monarchie. C’est ce qui s’est passé en Tunisie, par exemple.
Tout le monde joue à tous les niveaux. Mais si l’intérêt qui guide ces politiques n’est pas la sauvegarde ou la chute de la monarchie, c’est-à-dire la « forme » du pouvoir, la question qui se pose est : quel est l’enjeu ? qu’est-ce qui vaut la chandelle, pour ces puissances ? Il me semble qu’on peut trouver une réponse en rapprochant ce qui s’est passé au Maroc, en Tunisie, en Égypte, en Algérie – on ne parle jamais de l’Algérie, il y a pourtant eu des mouvements immenses – à ce qui se passe en France, en Europe, aux États-Unis. Le « printemps » est en effet « arabe » en un certain sens, mais le « printemps arabe » est mondial, parce que probablement les dynamiques qui expliquent les « printemps arabes » sont aussi les dynamiques qui expliquent bon nombre des luttes sociales en France : ce passage d’un mode du capitalisme à un autre. Et peut-être que ce qui comptait pour les puissances internationales, à l’époque des révolutions arabes, c’était bien plus que ce passage se fasse – d’une manière ou d’une autre, sous un régime ou un autre – que le type de régime en lui-même. C’est bien ce qui s’est passé en Tunisie : on a tout changé pour que rien ne change !
Notification : Comment a évolué le rôle de l’État au Maroc ?
Je ne suis pas sûr qu’il soit encore possible aujourd’hui de faire de la politique nationale. Si l’on admet que c’est cette dynamique de fond qui détermine la politique au Maroc, alors peut-être que le champ de bataille aujourd’hui est très semblable en France et au Maroc, par exemple. Oui, je pense qu’idéalement il faut défendre l’État au Maroc, qui est en train de disparaître à cause de privatisations massives. Mais est-ce qu’on a les moyens de défendre l’État ? Je ne suis pas sûr qu’on puisse le faire au Maroc, mais je pense par contre que c’est possible en France.
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