Sobre cérémonie dans l’unité à la mémoire de Mohamed Abdelaziz, président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) et secrétaire général du Front Polisario Mohamed Abdelaziz, qui a succombé mardi dernier à un cancer des poumons. Hier, l’ambassade de la RASD à Alger était en deuil.
Mahrez Laamari, ancien président de la Commission nationale algérienne de solidarité avec le peuple sahraoui, était le premier arrivé dans l’enceinte du bâtiment, transformé en résidence mortuaire où étaient accueillis diplomates, politiques, officiels et de simples citoyens, venus par sympathie pour l’homme ou par solidarité pour la cause sahraouie. En fait, toute l’Algérie est devenue sa maison mortuaire, pleuré à Tindouf parmi les siens. A l’ambassade et comme l’exige la circonstance, un registre de doléances est ouvert et, là aussi, le premier à inscrire son message est M. Laamari. « Mohamed Abdelaziz a été, jusqu’à son dernier souffle, un grand moudjahid, et sera enterré comme un martyr », dit-il en posant le stylo sur le pupitre. « Le défunt a légué un héritage, des idées et des principes pour recouvrer l’indépendance », a-t-il ajouté. Abdelmadjid Sidi-Saïd, secrétaire général de l’UGTA, a lui aussi tenu à signer le registre des condoléances : « C’est une perte cruelle pour les Sahraouis. Mohamed Abdelaziz était un président qui symbolise le militantisme, l’abnégation ainsi que la conviction totale de la cause qu’il avait toujours défendue, et que nous défendons avec lui », a-t-il affirmé aux journalistes présents. « C’est la cause du peuple sahraoui à retrouver son indépendance, son autonomie et vivre comme vivent tous les peuples dans leurs Etats. Lui rendre un hommage est une considération à son endroit », a-t-il ajouté. Parmi les convives, le maire d’Alger-centre, Hakim Bettache, très engagé auprès des Sarahouis, jusqu’à jumeler l’assemblée algéroise avec celle d’Al Ayoun, en relançant un accord qui traînait depuis 2004. C’était tout juste le 10 mai dernier. « Bien que le peuple sahraoui vient de perdre un grand combattant, il va continuer à militer pour obtenir son indépendance et le referendum d’autodétermination reste la voie idoine pour sortir de la crise dans laquelle il vit », espère M. Bettache. Cette même espérance qui fait dire à Bucharaya Hamudi Sidina, ambassadeur de la RASD en Algérie, les yeux rougis par les larmes : « Nous sommes tous Mohamed Abdelaziz !». « Nous promettons au défunt ainsi qu’aux autres martyrs de militer jusqu’à ce qu’on exauce le noble objectif qu’ils nous ont tracé ; celui de recouvrer l’indépendance ». Tous les présents avaient un mot pour l’homme et la cause : Abdelkader Teggar, président de la coalition de la société civile et de la coordination africaine solidaire au peuple sahraoui, a aussi exprimé sa compassion vis-à-vis du peuple sahraoui et réaffirmé « la position inébranlable de l’Algérie de soutenir coûte que coûte la cause des peuples opprimés et leur droit à l’indépendance ». Tous portent le même message à bout de lèvres : de Bouallah Ould Maguia, ambassadeur de la Mauritanie en Algérie, à Moussa Touati, président du parti Front national algérien, en passant par Asmahane Sarmouk du Mouvement de l’édification nationale. Tous, parmi tant d’autres.
La cour de l’ambassade, seul endroit assez vaste pour accueillir tous les présents, a fini par devenir une agora où débateurs et contradicteurs puisaient dans leurs connaissances académiques ou leurs histoires personnelles en lien avec la République sahraouie argumentant et analysant des faits et de la situation actuelle des Sahraouis, dans la discipline et la sérénité, au milieu de membres du Front Polisario. Parfois, on versait dans l’exagération ; née sans doute de l’émotion et du respect qu’inspirait le défunt. « Les femmes sahraouies ne sont pas stériles, mais, je vous le confirme, elles n’engendreront jamais un homme de la trempe de Mohamed Abdelaziz. C’était un homme qui a vécu dans la société marocaine, il a connu la politique du pays et a une grande rancune contre le Makhzen et non contre le peuple marocain », se laisse-t-on emporter ! Des voix plus raisonnables tempèrent l’ardeur du verbe : « C’est ce qu’on a dit aussi lorsqu’El-Ouali Moustapha Sayed, qui fut un brillant dirigeant du Front Polisario et de la RASD est décédé en 1976, mais Dieu merci, nous avons eu par la suite Mohamed Abdelaziz qui a su comment maintenir la paix malgré les voix qui appelaient aux armes à et, plus encore, a su comment porter haut la voix des Sahraouis ». « Certes, il s’est imposé comme le père spirituel de la cause sahraouie, mais nous aurons un autre dirigeant fort qui se mettra au service de la cause », répond-on, du tac au tac.
Oraison funèbre à Boudjdour… enterrement à Bir Lehlou
« Si la dépouille de Mohamed Abdelaziz arrive ce soir [mercredi, NDLR] à l’aéroport international d’Alger ou celui de Tindouf, elle sera transférée directement vers Boudjdour, l’un des camps de réfugiés dans le pays, pour un dernier recueil à sa mémoire et l’oraison funèbre », nous confie Mohamed Lamine Dabara, porte-parole de l’ambassade de la RASD d’Alger. En effet, selon M. Dabara, la dépouille sera exposée dans la tente qu’occupait le défunt, et dans laquelle Khatri Addouh, désigné président par intérim de la République et secrétaire général de même qualité du Front Polisario, recevra, lors de la veillée funèbre, les condoléances des présents. « Ensuite, sa dépouille sera transportée vendredi vers Bir Lehlou, territoire libéré », à 70 km du mur de la honte érigé par l’occupant marocain. « Il aurait dû être enterré dans le sol natal, à Aousserd, un village qui se trouve dans la ville de Samara, un territoire occupé par le Maroc depuis 1975 », regrette-t-il. « Dans le cas où sa dépouille n’arriverait pas ce soir, son enterrement sera reporté à samedi », détaille-t-il encore. Une source diplomatique sahraouie nous confirme que Mohamed Abdelaziz sera bien inhumé à Bir Lehlou, « une ville symbole de la résistance héroïque du peuple sahraoui ». Né le 17 août 1948 à Smara, rattaché administrativement à Marrakech, Mohamed Abdelaziz a participé en 1972 à la fondation du Front Polisario. Il organise les premiers raids contre les garnisons espagnoles le 20 mai 1973 lors de la bataille El Khanga, signant ainsi le déclenchement de la lutte armée en compagnie de 16 autres combattants sahraouis dont l’ancien ambassadeur de la RASD à Alger, Brahim Ghali, et l’ancien ministre de la Défense, Mohmaed El Bouhali. Des opérations auxquelles il participe lui-même, y compris lorsqu’il deviendra le « numéro un » sahraoui, en 1976 ; à la mort d’El-Ouali Moustapha Sayed. La même année, en août, Mohamed Abdelaziz est élu secrétaire général du Front Polisario et président du conseil de commandement de la révolution. Elu pour la première fois en octobre 1982 président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), il a été reconduit dans ses fonctions en 1985, 1989, 1991, 1999, 2003, 2007 et 2015. Le renouvellement par les congressistes de leur confiance au président Mohamed Abdelaziz témoigne de l’estime que lui porte le peuple sahraoui pour son combat et son militantisme pour la libération du Sahara occidental et le droit inaliénable des Sahraouis à l’autodétermination. A cette époque, il abandonne progressivement l’anonymat militaire pour revendiquer la stature d’homme d’État au sein du Polisario. Un tournant se produit à la fin des années 1980. Le mouvement comprend que la solution au conflit ne peut être militaire et exprime une volonté de paix. Une première rencontre entre le Polisario et le roi Hassan II concrétise cette volonté en janvier 1989. En 1991, le Polisario dépose donc les armes. Depuis, le Front attend l’organisation d’un référendum d’autodétermination sous l’égide de l’ONU. C’est le statu quo jusqu’à présent. Mohamed Abdelaziz a également été élu vice-président de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1985, puis de l’Union africaine (ex-OUA) en 2002. En 2015, il s’est vu décerner le prix Guernica pour «la paix et la réconciliation» lors du 78e anniversaire du bombardement de la ville de Guernica, en Espagne. Souffrant depuis plusieurs mois d’un cancer du poumon, il est décédé mardi 21 mai à l’âge de 68 ans. Le président du conseil national sahraoui, Khatri Addouh, assumera le poste de secrétaire général du Front Polisario et celui du président de la République, jusqu’à l’élection d’un nouveau secrétaire général lors d’un congrès extraordinaire qui sera convoqué dans un délai ne dépassant pas les 40 jours.
Un héros pour Alger, un « traitre » pour Rabat
Si, en Algérie, le président Abdelaziz Bouteflika glorifie l’homme et sacralise le combat des Sahraouis pour leur liberté, et a décrété un deuil de huit jours suite à son décès, le royaume marocain, lui, continue de le présenter comme un «traitre à la patrie », les Marocains considérant le Sahara occidental comme un territoire « reconquis » en 1975 à la suite de la Marche verte. Modeste qu’il était, Mohamed Abdelaziz partageait totalement la vie des combattants ou des réfugiés sahraouis dans les camps de la région de Tindouf, dans l’extrême sud-ouest algérien, s’exprimant avec autant d’aisance en arabe qu’en français ou en espagnol, et bien sûr dans le dialecte sahraoui hassanya. Lors de sa dernière apparition en public, alors qu’il supervisait des manœuvres militaires à Bir Lehlou, Mohamed Abdelaziz avait réitéré l’attachement du peuple sahraoui à poursuivre sa lutte de libération pour le recouvrement de ses droits légitimes à l’autodétermination et à l’indépendance. «Plus de quarante ans de résistance, de lutte et des réalisations sur la scène régionale, continentale et internationale, ont démontré que rien ne pourra empêcher les Sahraouis de recouvrer leurs droits», avait-il insisté.
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