La libye est le terrain mais l’Algérie est la cible

Grand Angle : LA LIBYE EST LE TERRAIN MAIS L’ALGÉRIE EST LA CIBLE !

Par Manlio Dinucci
Le chaos qui s’est installé en Libye depuis l’assassinat du Guide libyen, Maâmmar Kadhafi, par l’OTAN en collaboration avec les milices terroristes n’a pas encore permis aux criminels de mettre la main sur les richesses phénoménales du sous-sol libyen. Au delà de ses excès ou des excès de certains de ses enfants, Kadhafi avait réussi à obtenir l’adhésion de toutes les tribus en tant que facteur d’unité.
Les tribus qui avaient fait allégeance à l’ancien Guide, trouvant en l’homme leur point de convergence, n’ont plus aucune raison d’accepter la prééminence d’une tribu. Culturellement, il sera extrêmement difficile de les accorder autour d’un projet commun, l’amère expérience de ces dernières années en est l’évidence même.
L’Algérie, dont la profondeur stratégique libyenne est son talon d’Achille, était le pays qui avait le plus souffert des frasques du Guide mais n’avait jamais souhaité modifier les équilibres internes en raison de sa connaissance du tissu social libyen et de l’importance de ce pays pacifié dans la géopolitique de l’Ouest méditerranéen.
Or, l’actuel réalité de la Cyrénaïque et du Fezzan et les appétits grandissants des puissances occidentales et de certains acteurs régionaux tels que la Turquie, le Qatar et l’Arabie des Al Saoud font craindre une déstabilisation majeure de la région. Les opérations de l’OTAN avec leurs alliés arabes, sous couvert de lutte contre Daech, font craindre l’imminence d’une guerre régionale dont la cible ultime est l’Algérie.
En effet, il est stupide de croire que quelques centaines de soldats sur le terrain et des bombardements aériens peuvent régler une crise, éliminer une présence terroriste ou s’ouvrir le chemin aux richesses du pays. Comment alors interpréter l’intervention de l’Otan hors de toute mission sous couvert de l’organisation des Nations Unis ?
Si, en effet, aucun des objectifs apparents n’est réalisable, il ne reste plus qu’une seule interprétation possible à cette intervention qui est le véritable objectif de l’OTAN: aspirer l’armée algérienne vers un intérieur libyen totalement instable pour l’engluer dans un conflit qu’elle ne voudrait pas voir s’étendre à l’intérieur de ses terres…
Libye, le grand partage
Pétrole, immenses réserves d’eau, milliards de fonds souverains, un butin sous les bombes!
«L’Italie évalue de façon positive les opérations aériennes lancées aujourd’hui par les Etats-Unis sur certains objectifs de Daech à Syrte. Elles adviennent à la demande du Gouvernement d’Unité Nationale, en soutien des forces fidèles au Gouvernement, dans l’objectif commun de contribuer à rétablir la paix et la sécurité en Libye» : tel est le communiqué diffusé par la Farnesina (ministère des Affaires Étrangères italien) le 1er août.
Ceux qui pensent à «la paix et la sécurité en Libye» à Washington, Paris, Londres et Rome sont les mêmes, qui, après avoir déstabilisé et mis en pièces par la guerre l’État libyen, vont recueillir les débris avec la «mission d’assistance internationale à la Libye».
Leur idée transparaît à travers des voix autorisées. Paolo Scaroni, qui à la tête de l’ENI a manœuvré en Libye entre factions et mercenaires et se trouve aujourd’hui à la vice-présidence de la Banque Rothschild, a déclaré au Corriere della Sera qu’«il faut en finir avec la fiction de la Libye», «pays inventé» par le colonialisme italien. Il faut «favoriser la naissance d’un gouvernement en Tripolitaine, qui fasse appel à des forces étrangères qui l’aident à rester debout», en poussant la Cyrénaïque et le Fezzan à créer leurs propres gouvernements régionaux, éventuellement avec l’objectif de se fédérer à long terme. En attendant, «chacun gèrerait ses sources énergétiques», présentes en Tripolitaine et Cyrénaïque.
C’est la vieille politique du colonialisme du 19ème siècle, remise à jour en fonction néo-coloniale par la stratégie USA/Otan, qui a démoli d’entiers États nationaux (Yougoslavie, Libye) et fractionné (ou tenté de fractionner) d’autres États (Irak, Syrie), pour contrôler leurs territoires et leurs ressources.
La Libye possède presque 40% du pétrole africain, précieux pour sa haute qualité et son faible coût d’extraction, et de grosses réserves de gaz naturel, dont l’exploitation peut rapporter aujourd’hui aux multinationales étasuniennes et européennes des profits bien plus élevés que ceux qu’elles obtenaient auparavant de l’État libyen. De plus, en éliminant l’État national et en traitant séparément avec des groupes au pouvoir en Tripolitaine et Cyrénaïque, elles peuvent obtenir la privatisation des réserves énergétiques publiques et donc leur contrôle direct.
En plus de l’or noir, les multinationales étasuniennes et européennes veulent s’emparer de l’or blanc : l’immense réserve d’eau fossile de la nappe phréatique nubienne, qui s’étend sous la Libye, l’Égypte, le Soudan et le Tchad. Les possibilités qu’offre celle-ci avaient été démontrées par l’État libyen, en construisant des aqueducs qui transportaient de l’eau potable et pour l’irrigation, millions de mètres cubes par jour extraits de 1300 puits dans le désert, sur 1600 Km jusqu’aux villes côtières, rendant fertiles des terres désertiques.
Aux raids aériens étasuniens d’aujourd’hui en Libye participent simultanément des chasseurs-bombardiers qui décollent de porte-avions en Méditerranée et probablement de bases en Jordanie, et des drones Predator armés de missiles Hellfire qui décollent de Sigonella (base étasunienne en Sicile). Interprétant le rôle de l’État souverain, le gouvernement Renzi «autorise au cas par cas» le départ de drones armés étasuniens de Sigonella, tandis que le ministre des affaires étrangères Gentiloni précise que «l’utilisation des bases ne requiert pas une communication spécifique au parlement», assurant que ceci «n’est pas un prélude à une intervention militaire» en Libye.
Alors qu’en réalité l’intervention a déjà commencé : des forces spéciales étasuniennes, britanniques et françaises -comme le confirment le Telegraph et Le Monde- opèrent depuis longtemps en secret en Libye pour soutenir «le gouvernement d’unité nationale du Premier ministre Sarraj».
En débarquant tôt ou tard officiellement en Libye sous prétexte de la libérer de la présence de l’Isis (Daech), les USA et les plus grandes puissances européennes peuvent aussi réouvrir leurs bases militaires, fermées par Kadhafi en 1970, dans une position géostratégique importante à l’intersection entre Méditerranée, Afrique et Moyen-Orient.
Enfin, avec la «mission d’assistance à la Libye», les USA et les plus grandes puissances européennes se partagent le butin de la plus grande rapine du siècle : 150 milliards de dollars des fonds souverains libyens confisqués en 2011, qui pourraient quadrupler si l’export énergétique libyen revenait aux niveaux précédents.
Une partie des fonds souverains, à l’époque de Kadhafi, fut investie pour créer une monnaie et des organismes financiers autonomes pour l’Union Africaine. États-Unis et France -comme le prouvent les emails d’Hillary Clinton- décidèrent de bloquer «le plan de Kadhafi de créer une monnaie africaine», alternative au dollar et au franc CFA. Ce fut Hillary Clinton -documente le New York Times- qui convainquit Obama de passer à l’action. «Le Président signa un document secret, qui autorisait une opération couverte en Libye et la fourniture d’armes aux rebelles», y compris à des groupes jusque récemment classifiés comme terroristes, alors que le Département d’État dirigé par Clinton les reconnaissait comme «gouvernement légitime de la Libye».
En même temps l’OTAN sous commandement étasunien effectuait l’attaque aéronavale avec des dizaines de milliers de bombes et missiles, démantelant l’État libyen, attaqué simultanément de l’intérieur avec des forces spéciales y compris du Qatar (grand ami de l’Italie et de la France).
Le désastre social qui s’en est suivi, en faisant plus de victimes que la guerre elle-même, surtout chez les migrants, a ouvert la porte à la reconquête et au partage de la Libye.

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