Note
A
L’Attention de Monsieur le Ministre
Objet : Accord agricole Maroc-UE / Réforme du mécanisme du prix d’entrée.
J’ai l’honneur de soumettre à l’appréciation de Monsieur le Ministre quelques éléments concernant la réforme européenne du mécanisme du prix d’entrée qui sera appliquée, à partir du 1er octobre 2014, aux exportations de certains produits agricoles marocains vers le Marché européen, et qui fait l’objet actuellement de discussions entre le Maroc et l’UE :
Background de la réforme
Le Conseil des Ministres de l’Agriculture de l’UE a formellement adopté, le 16 Décembre 2013, quatre règlements de base pour la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC), suite à leur approbation par le Parlement européen en Novembre 2013. Ces textes législatifs concernent le « développement rural », les « questions horizontales », telles que le financement et les contrôles, les « paiements directs aux agriculteurs » et les « mesures de marché ».
La CE a saisi cette réforme pour élaborer, dans le cadre du Règlement sur « les mesures de marché », un projet d’acte délégué qui fixe les règles de détermination du prix d’entrée des fruits et légumes dans l’Union européenne
Après son adoption par la Commission Agriculture au Parlement européen, le 07 avril 2014, cet acte délégué a été entériné de manière définitive par les Ministres européens de l’Agriculture réunis lors du Conseil « Agriculture et Pêche », le 14 avril 2014.
Cette réforme, dont l’entrée en vigueur est fixée pour le 1er octobre 2014, prévoit des modalités plus contraignantes en ce qui concerne la détermination de prix d’entrée et réduit considérablement la marge de flexibilité quant à l’utilisation des méthodes de calcul du prix d’entrée. Elle aura un impact négatif sur les exportations marocaines concernant certains produits, notamment la tomate.
La flexibilité dans l’utilisation des méthodes de calcul du prix d’entrée prévues jusqu’à présent a été vivement critiquée par certains syndicats agricoles européens du sud, notamment espagnols, qui reprochaient son «utilisation abusive» par les opérateurs marocains, et l’inefficacité de ce mécanisme pour la régulation du marché européen de la tomate, notamment celle originaire du Maroc.
Ces groupes d’intérêts exerçaient, depuis 2007, une forte pression sur la Commission européenne à travers le Parlement européen pour obtenir une réforme du système des prix d’entrée. C’est ainsi que la résolution votée par le Parlement européen (PE), en février 2012, à l’occasion de la ratification de l’Accord Agricole Maroc-UE a appelé la Commission européenne à réformer ce mécanisme.
Système du prix d’entrée
Le marché européen constitue une destination privilégiée pour les exportations marocaines de fruits et légumes et ce, malgré l’application d’un régime douanier spécifique basé sur le système du prix d’entrée, introduit en 1994 par la Commission européenne.
Ledit système vise à protéger les filières agricoles européennes contre des importations à bas prix, à travers la mise en place de prix minimums d’importations. Ainsi, un prix d’entrée inférieur au prix d’entrée réglementaire entraînerait le paiement de droits de douanes additionnels, dénommés « droits spécifiques additionnels » ou « équivalents tarifaires ».
La détermination de la méthode de calcul de la valeur du prix d’entrée est laissée au choix de l’importateur selon les trois options suivantes :
sur la base du prix FOB des produits dans le pays d’origine, augmenté des frais d’assurance et de transport jusqu’aux frontières du territoire douanier de la communauté, dans la mesure où ce prix et ces frais sont connus au moment de la déclaration de mise en libre pratique des produits ;
sur la base de la valeur fondée sur le prix unitaire correspondant aux ventes dans la Communauté des marchandises importées ou de marchandises identiques ou similaires importées totalisant la quantité la plus élevée ainsi faites des personnes non liées aux vendeurs;
sur la base de la Valeur Forfaitaire à l’Importation (VFI) calculée quotidiennement par la Commission sur la base d’une moyenne pondérée à partir des prix représentatifs pour les importations de produits par origine communiqués par les États membres.
Les exportateurs marocains ont généralement recours à deux méthodes : sur la base de VFI quand celle-ci est positive. Quand elle est négative l’opérateur stocke la marchandise et attend que celle-ci devienne positive. Lorsqu’il s’agit de denrées périssables, l’opérateur procède au dédouanement de la marchandise sur la base du compte vente, dit « méthode déductive ». Dans ce cas, l’importateur doit déposer une garantie équivalente au montant qu’il aurait à payer s’il avait opté pour la VFI. Pour la libération de sa garantie, il doit apporter ultérieurement la preuve, moyennant compte de vente, que les prix qu’il a pratiqués sont en conformité avec le niveau des prix d’entrée. Dans ce cadre, la deuxième méthode de détermination du prix d’entrée intervient.
Outre le régime de dédouanement sur la base du compte vente, il existe une troisième méthode de vente basée sur la facture préalablement établie fixant les prix agrées entre l’importateur et l’exportateur en cas de « vente ferme ». Ce mode de dédouanement est rarement pratiqué par les opérateurs marocains sur le marché de l’UE.
La réforme telle qu’adoptée par l’UE limite la détermination du prix d’entrée sur la base de la VFI, ce qui verra nos exportations, particulièrement de la tomate, frappées par des taxes d’effet équivalent les rendant moins compétitives sur le marché européen.
Selon les opérateurs marocains, les exportations marocaines souffrant déjà de mécanismes contraignants de quotas et de calendrier, estiment nécessaire de maintenir la possibilité de déterminer le prix d’entrée selon la méthode déductive, tout en offrant la possibilité au déclarant d’opter pour la VFI lorsque celle-ci est positive, sans que cette dernière méthode ne lui soit imposée.
Appréciation quant à la démarche européenne
La Commission européenne a procédé de manière unilatérale à cette réforme sans consultation préalable avec la partie marocaine en contradiction d’une part, avec les dispositions de l’Accord d’association et de l’Accord agricole et des objectifs énoncés dans les communications conjointes de la CE et le SEAE relatifs aux 3M (Market, Money et Mobility) et plus précisément :
L’article 20 paragraphe 1 de l’Accord d’association, qui stipule, que : « En cas d’établissement d’une réglementation spécifique comme conséquence de la mise en œuvre de leurs politiques agricoles ou de modification de leurs réglementations existantes ou en cas de modification ou de développement des dispositions concernant la mise en œuvre de leurs politiques agricoles, la Communauté et le Maroc peuvent modifier, pour les produits qui en font l’objet, le régime prévu par le présent accord. La partie procédant à cette modification en informe le comité d’association. A la demande de l’autre partie, le comité d’association se réunit pour tenir compte, de manière appropriée, des intérêts de ladite partie ».
L’article 22 paragraphe 1 de l’Accord d’association, qui stipule que : « les deux parties s’abstiennent de toute mesure ou pratique de nature fiscale interne établissant directement ou indirectement une discrimination entre les produits de l’une des parties et les produits similaires originaires de l’autre partie ».
L’article 19 de l’Accord agricole, qui stipule dans son premier alinéa que : « Aucune nouvelle restriction quantitative à l’importation, ni mesure d’effet équivalent origine n’est introduite dans les échanges entre la Communauté et le Maroc ».
Les Communications conjointes de la Commission européenne et de la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité du 8 mars et du 25 mai 2011 sur « Un partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée avec le Sud de la Méditerranée » et sur « Une stratégie nouvelle à l’égard d’un voisinage en mutation » appelant à l’assouplissement des conditions d’accès au marché européen pour les produits originaires des pays du voisinage.
Démarches entreprises par le Maroc
Afin de s’informer davantage sur cette réforme européenne, la partie marocaine a avancé la date de la tenue du Sous-comité « Agriculture et Pêche », qui s’est réuni le 27 février 2014. Cette rencontre a permis à la partie marocaine d’insister sur l’impact d’une telle réforme, notamment sur les exportations des fruits et légumes marocains vers le marché européen (la tomate, en particulier). La partie européenne s’est contentée de prendre note des préoccupations marocaines sans pour autant explorer de solutions pour le Maroc à ce sujet.
De même, plusieurs délégations représentant le secteur privé et le Département de l’Agriculture, se sont rendues pour s’enquérir de la portée de cette réforme et de son impact pour le Maroc.
Plusieurs lettres ont été adressées aux responsables européens (Commissaire européen en charge de l’Agriculture, Commissaire européen en charge de l’Elargissement et de la Politique européenne de voisinage et Président de la Commission européenne) afin de les sensibiliser sur l’impact désastreux de cette réforme sur les exportations marocaines de fruits et légumes sur le marché européen.
Les réponses apportées à la fois par les experts et les hauts responsables de la Commission européenne se voulaient rassurantes, relativisant la portée de cette réforme destinée, selon eux, à harmoniser les dispositions portant sur la déclaration des marchandises sujettes aux prix d’entrée avec le code des Douanes Communautaire et à simplifier les procédures pour les douanes communautaires, tout en assurant la conformité avec les règles de l’OMC. Dans ce sens, ils ont recommandé d’approcher la DG TAXUD (douane européenne) afin d’éclaircir les modalités d’application de ces nouvelles mesures. Il est à noter que le Comité de Coopération douanière s’est tenu le 09 avril à Bruxelles sans que cette question n’ait été soulevée par les deux parties.
Il est à souligner que le Directeur Général de l’Agriculture et du Développement Rural à la Commission européenne, invité par Monsieur le Ministre de l’Agriculture et de la Pêche Maritime, pour participer au Salon International de l’Agriculture de Meknès, saisira sa présence au Maroc , le ….., pour discuter avec les responsables du Département de l’Agriculture des possibilités de trouver une solution à ce sujet.
A ce stade, la seule solution que le Maroc peut légitimement revendiquer est prévue par l’article 20 de l’Accord d’association consistant en l’octroi de compensations (augmentation du quota, révision du calendrier,…) ne recueille pas l’assentiment du Département de l’Agriculture qui milite pour une dérogation à accorder au Maroc quant à l’application de cette réforme.
Cette Direction demeure très sceptique quant à la suite qui serait donnée à la demande marocaine au moment où cette réforme a été introduite en grande partie pour réguler le marché européen des fruits et légumes, et ce sous la pression des lobbys européens. La tenue des prochaines élections européennes et la redistribution des portefeuilles au sein des Institutions européennes qui en découlera risque de compromettre cette issue.
Il serait opportun de saisir la visite au Maroc, les 19 et 20 mai prochain, de M. Stefan Füle, Commissaire européen en charge de l’Elargissement et de la Politique européenne de voisinage, pour aborder cette question et sensibiliser le responsable européen quant à la démarche unilatérale et incompréhensible adoptée de plus en plus par l’UE dans le cadre de ses relations avec le Maroc (Avis Juridique sur l’Accord agricole et Règlement relatif aux statistiques du commerce extérieur avec les pays tiers qui considère nos provinces du sud comme territoire distinct du Maroc).
Très Haute Considération
Copie pour information : Mme la Ministre Déléguée
M. le Secrétaire Général
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