Ghania Oukazi
Publié dans Le Quotidien d’Oran le 01 – 02 – 2017
La commission de l’Union africaine a entériné sans surprise l’adhésion du royaume du Maroc à l’organisation panafricaine après 33 ans d’absence. L’ouverture de ses frontières avec l’Algérie pourrait être sa première demande «au nom de la paix et la sécurité.»
Dès le début de l’examen à huis clos, lundi dernier, de la demande d’adhésion du Maroc à l’Union Africaine, introduite officiellement par son roi, Mohamed VI, le 28ème sommet des chefs d’Etat africains a enregistré d’emblée l’appui en sa faveur de 39 pays sur les 54 membres de l’UA, donc une majorité très confortable. L’Algérie a fait partie des pays comme l’Afrique du Sud, le Nigéria, l’Ouganda, le Soudan du Sud, la Namibie, leZimbabwe, le Lesotho, le Mozambique, le Malawi et le Kenya qui ont quelque peu tenté de saisir les véritables visées du Makhzen à travers cette adhésion. Il était cependant évident qu’Alger ne fasse aucune vague lors du vote. Les batailles diplomatiques n’ont désormais plus leur raison d’être au sein de l’actuel sommet. L’Algérie s’en sort rassurée -ou presque- de cette adhésion qui n’a posé aucun problème entre les pays membres de l’UA et à laquelle le Maroc n’a émis aucune condition préalable. Mais la naïveté n’a pas de place dans la diplomatie, le lobbying et les alliances d’intérêts. Le Maroc n’est pas dupe pour se contenter d’une adhésion qui, il le savait pertinemment, n’allait pas être rejetée. La volonté du Maroc de rejoindre les rangs de l’UA ne date pas d’aujourd’hui. Elle est consacrée dans les procès-verbaux de la diplomatie algérienne depuis de longues années. Algersait surtout que Rabat a usé de toutes les manœuvres auprès des pays africains pour réussir un retour « apaisé et serein » parmi eux. Entre les longues années passées et lundi dernier, jour de la consécration de son adhésion à l’UA, le royaume marocain a franchi des pas considérables au sein du Continent. La France lui a été d’un grand appui dans cette conquête. Connue pour être son soutien indéfectible dans les grandes questions, la France ne pouvait ignorer la quête du Maroc de rejoindre l’UA sans lui assurer des relais à cet effet. Les services que le Maroc rend depuis toujours à la France(afrique) sont précieux.
La Françafrique et les intrusions du Makhzen
Les manœuvres marocaines au sein et autour des parties maliennes en conflit pour gêner voire minimiser le rôle de l’Algérie en faveur de leur réconciliation, ont été bien appréciées par Paris. L’entrée en lice du Maroc dans le processus politique de résolution de la crise libyenne a aussi été bien orchestrée. Les puissances occidentales ont même joué le jeu pour que Skhiret la marocaine soit la ville où doit être signé le premier grand accord entre les antagonistes libyens. La meilleure manière de pousser Alger à refuser que l’accord soit signé chez elle, c’est de lui demander que l’armée algérienne devait encadrer et sécuriser les Libyens et les membres onusiens qui devaient assister à la signature de l’accord en question, depuis les territoires libyens jusqu’au palais des nations du Club des pins ou à la résidence d’Etat El Mithak. L’armée algérienne devait donc sortir en dehors de ses frontières pour escorter les délégations. Le refus des décideurs algériens ne s’était pas fait attendre. Il était rapide, direct et ferme. Il était évident. L’intrusion marocaine dans beaucoup d’affaires africaines, sa propension à lancer des projets de développement dans des territoires africains démunis ne datent pas d’aujourd’hui. L’on dit même que le 1er forum Algérie-Afrique tenu l’année dernière à Alger a manqué d’envergure en raison de manœuvres marocaines auprès d’hommes d’affaires africains de renom. Par des recoupements assez convaincants, des analystes ont démontré que Rabat s’est appuyé sur Paris pour soudoyer des responsables officiels et des chefs d’entreprises africains afin de leur demander d’accepter l’invitation d’Alger pour le forum mais de ne pas l’honorer.
Quand les lobbies phagocytent les initiatives
A quelques jours du forum, les organisateurs avaient bien compté près de 900 accords de principe pour ne se retrouver le jour de son ouverture qu’avec à peine une centaine d’invités africains. L’invitation «algérienne» adressée au redoutable conseiller personnel franco-israélien du roi marocain a obligé d’ailleurs à de grandes interrogations. Celles d’hommes d’affaires franco-israéliens pro-marocains n’en pose pas moins à ce jour. Ni les Occidentaux ni le Maroc n’allaient accepter que l’Algérie puisse penser à investir l’Afrique aussi facilement. Révolu le temps où elle alimentait en aides multiples les mouvements africains de libération. La diplomatie économique algérienne n’a pas encore acquis les réflexes de celle marocaine habituée, elle, aux alcôves des lobbies les plus imposants comme ceux américains ou israéliens. Autre grand agrégat, le Maroc se targue depuis toujours de présider le comité pour El Qods. La question palestinienne est encore ce dossier brûlant par lequel Rabat pourrait titiller ou doubler Alger. Le Maroc est aussi un grand allié des monarchies arabes du Golfe. En tout état de cause, il pourra en premier, tenter de convaincre l’UA de sensibiliser l’Algérie sur l’ouverture de ses frontières ouest
Au nom de «la paix et de la sécurité»
La réélection de l’ambassadeur algérien, Smaïl Chergui, à la tête de la commission africaine pour la paix et la sécurité pourrait rassurer quand à la suite à donner à d’éventuels élucubrations marocaines pour ce qui est du dossier sahraoui ou de l’ouverture des frontières. Quoique, il est en droit de retourner la question de la paix et de la sécurité en sa faveur. Tous les coups sont permis. Il faudra les calculer avec les visées géostratégiques américaines et françaises sur le Continent. Les Etats-Unis, faut-il le rappeler, ont toujours refusé que la RASD devienne un Etat indépendant à cause, soi disant, de son incapacité à participer à préserver «la paix et la sécurité» dans la région. Pour l’heure, il est clair que l’Algérie refuse catégoriquement de tomber dans le jeu de l’argumentaire arithmétique et se passe sans hésiter de faire des comptages de voix en faveur d’une adhésion qui ne devait pas, en principe, poser de problèmes. Ses diplomates se contentent ces derniers jours, de relever que l’entrée du Maroc aux côtés de la RASD est un grand acquis pour l’UA qui devra désormais œuvrer en faveur des dispositions de son acte constitutif imposant le respect des territoires et de leurs frontières. Ils sont certains que c’est une grande victoire des principes fondamentaux de l’Algérie et de ses convictions. Il serait ainsi illusoire pour les Marocains de penser un seul instant à faire réviser les statuts de l’UA en vue d’exclure la RASD. Si tel serait le cas, ce serait l’implosion de l’Union. Mais en ces temps de complots et de «printemps arabes » destructeurs, il serait judicieux de s’en prémunir le plus sûrement possible. L’Algérie est appelée à redéployer sa diplomatie en fonction de ces donnes nouvelles. Ses représentants diplomatiques à travers le monde, notamment en Afrique, ne doivent plus se contenter de savourer les fruits exotiques. Ils savent que l’Afrique a besoin de tout.
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