Le Maroc a fait son entrée officielle hier au sein de l’Union africaine par la personne de son roi, Mohamed VI, et un discours à lire entre les lignes.
Le souverain n’a pas fait dans la rhétorique offensive. Il n’a pas lancé le cri de victoire, mais a fait une intervention presque bachelardienne sur le thème du retour à la maison et sur la notion du foyer comme lieu intime du passé et du futur et comme le gardien de l’âme, du souvenir et de la mémoire. « Qu’il est bon de rentrer chez soi (…) L’Afrique est mon continent, et ma maison. Je rentre enfin chez moi, et vous retrouve avec bonheur. Vous m’avez tous manqué », a-t-il déclaré face à ses pairs africains.
L’image qu’il a choisie est d’apparence celle du monarque héritier en rupture avec le monarque père–Hassan II qui a choisi il y a 33 ans de claquer la porte de l’Union parce que ses membres avaient décidé en 1984 d’accueillir la jeune et combattante République sahraouie, la RASD.
« Au moment où le Royaume compte parmi les nations africaines les plus développées, et où une majorité de pays-membres aspirent à notre retour, nous avons choisi de retrouver la famille », a ajouté le souverain. Ici, on ne soulignera jamais assez l’immense charge affective dont il couvre ses mots et qu’il sonne pour parler de l’ancrage africain du Maroc. Ici, le choix de Mohamed VI est de parler de l’Afrique, non pas en termes politiques, mais en termes philosophiques et spirituels. C’est selon lui la maison qu’on n’a jamais cessé d’habiter même si on l’a désertée pendant plus de 30 ans.
C’est le refuge et l’abri qu’on souhaite regagner et protéger. Avec un peu d’efforts, on verrait dans ses analogies et dans la description qu’il fait du retour de son pays dans le giron panafricain – la « maison » ! – une similitude avec la chaleur du ventre maternel et celle de l’agneau de retour au bercail. Rien d’étonnant alors d’entendre plusieurs chefs d’Etat, parmi lesquels la Libérienne Ellen Johnson Sirleaf ou le Burkinabè Roch Marc Christian Kaboré, expliquer que le retour du Maroc permettrait de discuter de la question du Sahara occidental au sein de l’assemblée « en famille ». Mais est-ce possible ? Entre le Maroc et les indépendantistes sahraouis, il n’y a pas qu’un mur, mais des tranchées aussi profondes que l’est le conflit qui les oppose depuis plus de quarante ans. Il y a la demande du Polisario et de la RASD d’un référendum d’autodétermination, dont Rabat ne veut pas entendre parler.
Pour revenir au discours du roi Mohamed VI, il n’y a dedans, en effet, rien de belliqueux ni de transgressif des grands principes doctrinaux de l’Union Africaine, notamment ceux énumérés dans l’Acte constitutif de Lomé qui, depuis juillet 2000, fait de l’intangibilité des frontières héritées de la décolonisation et de la non utilisation de la force pour l’acquisition de territoires des lignes à ne pas franchir au risque de casser la « maison ». Cependant, il y a des allusions à ceux auprès de qui Rabat « ne fait pas l’unanimité »… Il y a des touches allégoriques selon lesquelles le Maroc du roi Mohamed VI reste celui du défunt roi Hassan II sur la question du Sahara occidental précisément !
Mort de l’UMA et rien de nouveau à l’horizon
« Le retrait de l’OUA était nécessaire : il a permis de recentrer l’action du Maroc dans le continent, de mettre aussi en évidence combien l’Afrique est indispensable au Maroc, combien le Maroc est indispensable à l’Afrique », a déclaré le souverain chérifien devant les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UA. Plus significatif encore lorsque le souverain exprime de façon claire et sans ambigüité que son pays « a toujours considéré qu’il faut d’abord puiser sa force, dans l’intégration de sa sous-région maghrébine. Or, force est de constater que la flamme de l’UMA s’est éteinte, parce que la foi dans un intérêt commun a disparu ! ». L’élan mobilisateur de l’idéal maghrébin, promu par les générations pionnières des années 1950, se trouve trahi. Aujourd’hui, nous constatons avec regret que l’UMA est la région la moins intégrée du continent africain, sinon de toute la planète », poursuit le souverain.
En d’autres termes si l’UMA n’existe déjà plus, ce n’est pas de la faute du Maroc, laisse-t-il fortement entendre avec la suggestion également que l’Union du Grand Maghreb n’a pas d’avenir. Le roi Mohamed VI précise que « si le commerce intra-régional s’élève à 10% entre les pays de la CEDEAO, et à 19% entre les pays de la SADEC, il stagne à moins de 3% entre les pays du Maghreb». Il spécifie « que la Communauté Economique d’Afrique de l’Est avance dans des projets d’intégration ambitieux, et que la CEDEAO offre un espace fiable de libre circulation des personnes, des biens et des capitaux » (…) mais que les pays du Maghreb sont, eux, à un niveau de coopération économique très faible. « Nos concitoyens maghrébins ne comprennent pas cette situation», énonce-t-il faisant du Maghreb un désir empêché par un responsable qu’il ne nomme pas mais qu’on devine : l’Algérie.
Enfin, il avertit : « Si nous n’agissons pas, sauf à prendre exemple sur les sous-régions africaines voisines, l’UMA se dissoudra dans son incapacité chronique, à rencontrer les ambitions du Traité de Marrakech, qui lui a donné naissance il y a 28 ans ». Une mise en garde face à une réalité déjà là mais dont il n’explique pas les raisons profondes. Cela ne l’intéresse pas et pas une seule fois il n’a d’ailleurs abordé la question du conflit sahraoui. A la place, et dans ce qui pourrait bien être une petite pique à l’Algérie et ce qu’elle a représenté et surtout par rapport à son soutien de près d’un demi-siècle à la cause sahraouie, il a glissé que « la notion de tiers-mondisme » lui parait « dépassée ». Quand on se rappelle ce que cette notion charrie comme sens et les noms qu’elle fait évoquer, on peut supposer que le retour à la maison décrit par le souverain marocain n’est pas sans risque de feu et n’est pas sans péril. Même si le monarque a pris soin d’adoucir son discours, il serait naïf de prendre ce qu’il dit pour argent comptant. Et comme nous le dit ce vieux conte de Perrault, derrière un agneau peut bien se cacher un loup. A la guerre comme à la guerre.
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