Ce qui se passe dans la ville d’Al Hoceima et les patelins avoisinants a de quoi inquiéter tout un chacun. Si les raisons de la contestation sont complexes et les solutions sont souvent teintées d’histoire mythifiée de la région, Economie Entreprises avait un tout autre sentiment, et c’est pour cette raison que le magazine a dépêché notre reporter Ghassan El Karmouni pour y voir plus clair.
Depuis près d’une décennie, tous les rapports économiques et sociaux émanant d’administrations publiques ont souligné que la ville est une «bombe à retardement». Avec un taux de chômage officiel de 16,3%, un taux d’analphabétisme de 39%, un accès très limité aux services publics de base, la ville se situe très loin en dessous de la moyenne nationale. Sachez aussi que pour les 389.000 habitants de la province d’Al Hoceima, il n’existe que 39 établissements scolaires (dont 7 privés) et seulement 488 lits d’hôpitaux.
Mais jusque-là rien d’alarmant, étant donné qu’un nombre important de provinces marocaines sont à ce même niveau de retard de développement. Mais qu’est-ce qui fait alors que la région d’Al Hoceima bouillonne?
Au fil des années, sous le regard des autorités, la province a vu s’effriter les principaux secteurs qui faisaient tourner son économie, à commencer par le cannabis. Selon le rapport 2015 de l’Office des Nations-unies sur la drogue et le crime, la culture du cannabis au Maroc a baissé de 134.000 hectares en 2003 à 47.196 hectares en 2013, soit une diminution de 70% en une décennie. Aucune autre culture de substitution n’a pu remplacer la manne du cannabis, et le rendement agricole de la région est un des plus faibles du pays.
L’industrie de la pêche, qui nourrit la province, a aussi accusé un inquiétant repli. Pendant des années, les pêcheurs de la région ont abusé des ressources halieutiques en utilisant des techniques interdites et en ne respectant pas les repos biologiques. Il s’agit d’une véritable catastrophe écologique dont très peu d’observateurs parlent, au point où ce qui est pêché aujourd’hui ne peut même plus satisfaire la demande locale. Dans les années 80, la ville non seulement exportait de la sardine, mais comptait plusieurs usines de transformation et d’emballage de poisson. Elles ont toutes fermé sous le poids de la rareté des ressources.
Al Hoceima est aussi une des villes les plus chères du Royaume. Son enclavement fait que les coûts de logistique pour acheminer les biens de consommation renchérissent le coût de la vie. Face à cet état de fait imposé par la nature, l’on peu comprendre que les Rifains de la région soient frustrés de voir le reste du Maroc s’équiper d’autoroutes, du plus grand pont à hauban d’Afrique et d’un train à grande vitesse!
Et enfin, l’indicateur le plus expressif du malaise de la ville est une décision administrative du ministère de l’Intérieur. Al Hoceima qui était la capitale de toute une région, avant le dernier découpage régional, est devenue une simple ville satellite. Selon les informations récoltées sur le terrain, la province comptait pas moins de 2.000 fonctionnaires. Aujourd’hui, les délégations régionales de tous les ministères et des administrations publiques ont été déplacées à Tanger, nouvelle capitale de la région Nord. Une simple décision de découpage territorial, dont personne n’a mesuré la conséquence, s’est transformée en un choc économique et social pour les habitants de la province.
La situation économique et sociale de la ville devient ainsi préoccupante et mérite une attention urgente. Durcir le ton n’est pas nécessaire. La solution est dans le développement et dans l’investissement créateur d’emplois. Le temps est à l’urgence. Au mal-être des populations de la région, l’Etat doit apporter des solutions concrètes de mise à niveau.
Le projet de développement « Al Hoceima Manarat Al Moutawassite » présenté au Roi en 2015 n’a pas encore débuté sa phase de mise en œuvre. Ce retard a été interprété à tort et à travers par les populations, mais les vraies raisons se trouvent dans un schéma de gouvernance qui se cherche. Entre une région présidée par le tout puissant PAM, une Wilaya installée à 350 kilomètres, une préfecture qui voit la ville à travers le prisme de l’histoire, Al Hoceima est livrée à des élus locaux qui n’ont aucune prérogative, mais avec beaucoup de bonne volonté de sortir leur ville du chaos.
Au final, ce qui se passe à Al Hoceima constitue un vrai test de la volonté des pouvoirs publics à aller de l’avant dans le chantier de la régionalisation avancée.
halaoui@sp.ma
Source : Economie Entreprises
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