La lâche fuite en avant de Rabat

Le Makhzen fait feu de tous bois avec l’espoir de créer un écran de fumée qui cacherait son désarroi après les multiples revers et camouflets qu’il a reçu accentuant la fragilité de sa position sur la question sahraouie, voire son isolement, et les tensions internes auxquelles il fait face. Et la cible toute désignée pour ces manœuvres dilatoires est évidemment l’Algérie dont la position, tant sur la scène continentale qu’internationale, ne souffre pourtant aucun équivoque puisque s’alignant sur le droit international. Mais pour Rabat, en accusant le voisin de prendre fait et cause pour le Sahara occidental – ce qui est vrai, en application du droit international, comme la majorité des pays -, il crée un abcès de fixation qui lui permet de détourner l’attention de ses nombreux problèmes internes dont la montée des contestations sociales, notamment dans le bouillonnant Rif où, pas plus tard que jeudi dernier, une manifestation a été organisé à Al Hoceima contre la corruption, la répression et le chômage. Cette ville est le théâtre depuis des mois d’un mouvement de contestation populaire. Aux cris de «Vive le Rif», «Non à la militarisation !», ou dénonçant la «corruption» de l’Etat, des milliers de personnes se sont rassemblées en fin d’après-midi sur la place du centre-ville. «Etes-vous un gouvernement ou un gang ?», proclamait une banderole, en forme de principal mot d’ordre du jour. Certains manifestants brandissaient carrément des drapeaux amazigh ou de l’éphémère république du Rif proclamée dans les années 1920. On a dénoncé pêle-mêle la «corruption» de l’exécutif et des politiciens locaux, les «mafias» locales, «l’esprit de répression» de l’Etat et de ses services de renseignement qui «manipulent les institutions», la «présence massive» des militaires dans la ville, le «sous-développement» de la région, le nouveau gouvernement islamiste.
Signe de détresse, le Palais réactive la soupape de soulagement qu’est l’Algérie, et sa dernière trouvaille est pour le moins hilarante, si ce n’était l’objectif machiavélique qu’elle visait. Rabat a littéralement mis en scène une soit disant agression physique d’un de ses diplomates par un diplomate algérien de haut rang. Le décor sera planté à Saint-Vincent-et-les Grenadines, dans les Petites Antilles, région des Caraïbes, qui accueillait un séminaire régional organisé par le Comité spécial de décolonisation, où aurait eu lieu la prétendue agression, au lendemain des manifestations d’Al Hoceima.
Habituée à ce genre de conduite, l’Algérie, qui s’est toujours refusé de monter en épingle les coquecigrues, calembredaines et billevesées du Makhzen, s’est contentée d’opposer un démenti officiel, à la mesure de l’événement, par la voix du porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Abdelaziz Benali Cherif. «Les informations rapportées par des médias marocains et reprises en l’état par certains sites au sujet d’une prétendue agression physique qui aurait été commise par un diplomate algérien de haut rang sur un membre de la délégation marocaine en marge de la tenue à Saint-Vincent-et-les Grenadines du séminaire régional organisé par le comité spécial de décolonisation communément appelé le C24, sont des informations inventées, infondées, fausses et mensongères et sans aucun lien avec la réalité […]. Nous considérons que les accusations proférées contre notre diplomate ne sont rien de plus qu’une piètre mise en scène d’une médiocre pièce de théâtre et une répétition des méthodes et d’un scénario auxquels nous avons été habitués», déclarera-t-il. «La réalité des faits tels qu’ils se sont déroulés est à l’antipode de la version avancée […]. Un membre de la délégation algérienne, une jeune diplomate en l’occurrence, a fait l’objet, depuis le début des travaux du séminaire, d’un harcèlement permanent et a même été victime de tentatives d’agressions de la part d’éléments de la délégation marocaine, ce qui a amené les autorités du pays organisateur à désigner des agents pour assurer sa sécurité», précisera M. Benali. «Les accusations contre notre diplomate sont une nouvelle fuite en avant et une illustration du dépit suite au travers et à l’échec subis par la diplomatie marocaine après le refus du Comité des vingt-quatre de céder à la pression visant à priver le peuple sahraoui de son droit à l’autodétermination […], les hautes autorités onusiennes ont été informées des détails de ce regrettable incident.»
Le diplomate algérien incriminé est en fait une jeune diplomate. Rabat en est arrivé à monter une histoire farfelue où elle fait jouer à un de ses diplomates le rôle de la victime d’une frêle jeune femme, sans se soucier des centaines de témoins qui ont vu le contraire ni des organisateurs amenés à assurer une protection rapprochée de notre diplomate harcelée par les marocains parce que l’Algérie défend le droit international favorable à l’autonomie du Sahara occidental.
Evidemment, Alger ne pouvait cependant adopter une position passive face à cette agression caractérisée. L’ambassadeur du royaume du Maroc, Lahcène Adelkhalek, a été convoqué, hier, au ministère des Affaires étrangères où le ministre des Affaires maghrébines, de l’Union africaine et de la Ligue des Etats arabes, Abdelkader Messahel, lui a fait part des «vives protestations» de l’Algérie suite au «harcèlement» de la jeune diplomate par des membres de la délégation marocaine, geste déjà condamnable par les règles de la bienséance, avant la loi. Affirmant que les éléments d’information confirmant les déplorables agissements des pseudos diplomates de la délégation marocaine, qui sont en possession de la partie algérienne, sont vérifiables autant auprès des organisateurs que des participants au séminaire. A ce titre, le ministre a indiqué à l’ambassadeur que «l’Algérie était en attente des excuses de la part du Maroc».
Mais quand bien même Rabat consentirait à présenter ses excuses, ça n’effacera pas pour autant la vilenie de son geste odieux. Quel homme digne de ce nom s’attaquerait à une femme ? «Etes-vous un gouvernement ou un gang ?», demandaient les manifestants d’Al Hoceima. Ils ont la réponse à leur question. Le reste n’est que coquecigrues, calembredaines et billevesées…
H. G.

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