On avait pourtant cru que l’adhésion du Maroc à l’Union africaine (UA) allait inciter sa diplomatie à plus de sobriété, plus de retenue et plus de modération. Son retour dans le giron africain était d’ailleurs le bienvenu, car un grand pays comme le Maroc ne pouvait plus rester en marge du concert africain, et l’Afrique elle-même ne pouvait se passer d’un pays de son poids géostratégique. On pensait même que le désir du roi Mohamed VI de rejoindre ses pairs africains était en soi un signe de sagesse.
On croyait naïvement que la diplomatie chérifienne allait abandonner certains agissements inélégants dictés par cette détestable philosophie de «à la guerre comme à la guerre». C’est-à-dire que tous les moyens sont bons pour imposer le fait accompli colonial au Sahara occidental. Mal nous a pris donc car, comme le dit l’aphorisme arabe, «Halima est revenue à ses vieilles et haïssables habitudes». Et ce fut encore le cas récent à Saint-Vincent-et-les Grenadines, aux Caraïbes, à l’occasion de la réunion du Comité de décolonisation de l’ONU.
Pour faire triompher ses propres thèses annexionnistes ou contrecarrer les résolutions onusiennes défavorables, c’est selon, la délégation marocaine a eu tout simplement recours à une bouffonnerie du plus mauvais goût. Une mise en scène destinée à accuser un diplomate algérien de haut rang d’avoir frappé le chef de sa propre délégation ! Comme si un tel présumé acte pouvait échapper aux nombreux témoins présents et aux caméras de surveillance, sans compter les journalistes !
Cette mascarade a eu bien sûr, de part et d’autre, des réactions diplomatiques largement médiatisées. Ce énième épisode montre en tout cas l’état de délabrement, de bunkérisation et de paranoïa dans lequel se trouve depuis un certain temps la diplomatie alaouite. Le royaume chérifien ne manque pourtant pas de diplomates talentueux et compétents, et sa diplomatie est l’une des plus anciennes du monde musulman. Mais comment expliquer sa régulière descente aux enfers depuis la mort du roi Hasan II et particulièrement depuis ces derniers mois ? Au point d’atteindre un niveau de médiocrité digne d’une république néocoloniale de troisième ou quatrième ordre ?
De temps en temps, la presse marocaine la plus audacieuse et qui est en même temps la plus talentueuse, se fait l’écho de la mise à l’écart de diplomates professionnels au profit de profils étrangers au métier. Un choix de clientèles basé sur le seul critère d’allégeance et de clientélisme. Une désastreuse politique de ressources humaines aggravée par l’amateurisme, l’indécision et l’impulsivité du Roi et de certains de ses ministres des Affaires étrangères en matière de politique extérieure. Et les grosses bévues ne se comptent plus. Rupture unilatérale, brutale et incompréhensible des relations diplomatiques avec l’Iran et le Venezuela d’Hugo Chavez qui avait reconnu la Rasd.
Avec Téhéran, ce fut d’autant plus stupéfiant que la rupture avait été décidée au moment même où cette puissance géostratégique et énergétique normalisait ses relations avec les USA et l’Europe. «Si l’Amérique était encore sous la coupe des néo-conservateurs, hostiles par principe à l’Iran, la politique marocaine aurait pu être comprise comme un alignement sur Washington», écrivait alors le magazine marocain Tel Quel. «Qu’est-ce que le Maroc est allé faire dans cette galère anti-iranienne ? Bien malin, aujourd’hui, qui pourrait donner une réponse. A moins qu’il ne s’agisse, tout simplement, d’une affligeante manifestation d’amateurisme de notre diplomatie. Connaissant ses antécédents en la matière, cette hypothèse, hélas, n’est pas à écarter», écrivait encore l’hebdomadaire. Le pire, c’est surtout la vassalisation de plus en plus manifeste à l’Arabie saoudite et ses satellites du CCG. On sentait bien que la rupture avec l’Iran était un acte de pur suivisme, destiné à plaire à une monarchie wahhabite qui sert beaucoup comme tiroir-caisse de Rabat.
Mais il y a surtout et depuis fort longtemps cette incapacité manifeste à améliorer les relations ou à surmonter les contentieux avec l’Algérie. Les rapports avec son grand voisin sont déterminés, c’est archi connu, par le prisme déformant du conflit du Sahara occidental. Sur ce dossier, la diplomatie marocaine fait aujourd’hui preuve d’un autisme profond qui dépasse de loin l’enfermement diplomatique des années Hassan II. Pourtant, à la fin de son règne, le père de Mohamed VI avait su désolidariser les relations avec l’Algérie de la question du Sahara occidental, ce qui lui a permis de jouer un rôle important dans la création de l’Union du Maghreb arabe (UMA). Cette schizoïdie traduit encore plus l’esprit bunker qui caractérise de nos jours la diplomatie du Palais royal. Une parano et une schizophrénie diplomatiques qui avaient abouti un certain temps à une sérieuse détérioration des relations avec l’ONU et davantage avec son SG de l’époque Ban Ki-moon. A court d’arguments, le gouvernement avait même organisé des marches de protestation contre lui, avec des ministres qui avaient battu le pavé à Rabat. Du jamais vu ! Et, enfin, recul patent des réseaux d’influence marocains au sein de l’Union européenne. Une UE avec laquelle le dialogue fut un certain temps au point mort, sans oublier par ailleurs le refus d’intégrer l’Union africaine, longtemps après la sortie fracassante de l’ancienne OUA en 1984. La diplomatie marocaine semble donc se satisfaire de la relation intime et protectionniste avec Paris et du rapport très intéressé avec la pompe à fric saoudienne. Mais ses deux attaches de protection et de financement peuvent-elles se substituer à une diplomatie digne de ce nom et digne d’un pays de l’envergure du Maroc ?
N. K.
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