par Chaoui Mokhtar
Source : Plumes Horizons
Depuis l’entrée en hibernation du printemps arabe (je dis bien hibernation et non pas mort), le Régime marocain se comporte comme cette armée qui a remporté quelques batailles en croyant avoir gagné la guerre. Il est fier de son uppercut qui a laissé KO toute la jeunesse du 20 février, et il n’a de cesse de savourer sa victoire en humiliant les vaincus, car il pense que son succès est définitif et ne peut souffrir aucune autre contestation. Aidé en cela par le chaos qui règne dans les pays arabes, et utilisant cela comme épouvantail, il se plaît à exhiber ses biceps, à légiférer comme bon lui semble, à paupériser la population, à engraisser ses sous-fifres, ses « khoudams dawla », à soudoyer les politiciens, à terroriser les récalcitrants et à diaboliser les têtes brûlées.
Pire encore, parce qu’il a une prise de main ferme sur tout, tout, tout, surtout autour du cou du peuple, et que rien ne lui échappe, du moins c’est ce qu’il croit, il est devenu arrogant, sardonique, absolutiste, dictant ses règles, plaçant des guignols à la tête des grands partis politiques, portant au panthéon celui-ci et clouant au pilori celui-là, favorisant un parti au détriment d’un autre lors des élections, et si son favori ne gagne pas, bloquant la constitution du gouvernement jusqu’à ce que « ouled l’makhzen » forment la majorité, etc. etc. Bref, il n’a plus froid aux yeux lorsqu’il s’agit de déroger aux règles qu’il a lui-même établies. Il a discrédité toutes les associations, les syndicats, les hommes politiques, les intellectuels, et s’est positionné en première ligne, ne jurant que par les discours et les instructions royaux. Sous d’autres cieux, cela s’appelle une monarchie absolue, chez nous, c’est la clairvoyance du monarque. Le Régime marocain a atteint un degré de suffisance tel que même pour sévir il ne met plus de gants, il n’y va plus avec le dos de la cuillère, il ne prend plus la peine de ficeler un complot plausible, de concevoir un stratagème potable, encore moins de monter une machination crédible. Dans le pire des cas, si l’affaire se corse, il ressort la loi anti-terroriste et ceux qui réclament des droits légitimes se verront quadrillés par des unités spéciales, menottés, filmés, passés en boucle à la télé et accusés de terrorisme. Non, plus la peine de se creuser les méninges, car le Régime est convaincu qu’il a affaire à un peuple de couards, de crédules, de délateurs, de dociles qui, même s’il ne gobe rien de ses manigances, a la trouille dans les gènes et il se contentera, dans le meilleur des cas, de cuver ses frustrations, sa rage, sa hougra et ses révolutions dans l’océan des réseaux sociaux.
S’il y a vraiment une victoire à mettre sur le compte du Régime marocain, c’est qu’il a réussi à abêtir son peuple à cou de discours religieux, de paillettes, de festivals, de selfies et de virtuel. Le Marocain est devenu un somnambule, un être dévitalisé par le virtuel, qui a plus peur de perdre son smartphone que sa liberté. Il est disposé à décharger son âme pour charger son portable, il préfère se vider de son sang que de voir se vider la batterie de ses tablettes. Le Big Brother de George Orwell est un enfant de chœur en comparaison avec notre Big Brother à nous, car le nôtre a réussi à nous vider de notre dignité, à nous convertir en esclaves consentants, à nous pâmer devant ses selfies, à les partager et à lancer des vivats, à croire en son omniscience, à légitimer son omnipotence, voire à le sacraliser. Cela dépasse l’entendement et autorise Big Brother à se prendre pour Dieu et à faire et défaire le Maroc à sa guise.
Seulement voilà, l’arrogance du Régime, son culte du moi, son hégémonie, son cynisme et son sadisme lui font oublier que s’il y a une donnée variable, versatile, inconstante, imprévisible, c’est bien l’humain. On a beau l’abêtir avec des discours mensongers, on a beau l’endormir avec les sourates et les hadiths, on a beau le terroriser avec la police et l’armée, on a beau enfoncer sa tête dans la fange de l’ignorance, on a beau lui faire un lavage de cerveau pour le rendre plus servile qu’il ne l’est déjà, il finit toujours par se réveiller, regarder autour de lui, se rendre compte de la supercherie et se rebeller.
Ce qui se passe dans le Rif, et désormais un peu partout au Maroc, est le réveil d’un peuple qui n’en peut plus, qui en a assez qu’on lui mente ; qu’on lui serve la misère enrobée de belles paroles ; que sa patrie soit la ferme de la monarchie ; que son pays soit géré selon les humeurs du roi ; qu’on dissémine sa richesse pour payer les starlettes des multiples festivals alors qu’il n’a pas de quoi soigner sa famille ; que ses impôts financent les interminables voyages des ses maîtres alors qu’il n’a pas de quoi acheter la fournitures scolaires de ses enfants ; que les milliards de son phosphate soient gaspillés dans les politiques hasardeuses en Afrique, construisant des hôpitaux ici, bâtissant toute une ville là-bas alors qu’il vit, lui, dans des grottes, des bidonvilles ou des villes bidons. Le peuple en a assez. Il refuse désormais la politique des paillettes ; il refuse qu’on sacrifie son éducation, sa santé, sa justice, son pouvoir d’achat pour enrichir encore et encore le sérail. C’EST CELA LA FITNA, LA VRAIE. C’est cela qui mène le pays, lentement mais sûrement, vers le bourbier. L’insurrection, voire la révolution, est à nos portes. Le peuple en a marre de ce Makhzen, de ce Régime, de ces partis politiques corrompus et il le fait savoir. Les revendications légitimes du Rif sont celles de tout le Maroc. Va-t-on, à chaque fois qu’une région réclame ce qui lui est dû, la qualifier de séparatiste, taxer ses porte-paroles de traîtres, ressortir le disque raillé et le speech suranné de la machination étrangère ? La politique de la diabolisation des militants, de la fabrication des affaires à charge, des promesses politiciennes, de la bastonnade, des interpellations, de l’emprisonnement, etc. ne fait que mettre de l’huile sur le feu et appelle à des réponses plus violentes. Encore une fois, les réponses du régime marocain aux revendications du Rif est une preuve de plus de sa cécité, sa suffisance, son arrogance et sa stupidité. Il va sûrement gagner encore une fois cette bataille, il va sûrement réussir à monter les autres Marocains contre les Rifains, utilisant pour cela tout son arsenal humain, médiatique et numérique (il suffit de voir le travail de sape de ses Services à travers les chaines TV, les journaux à sa solde, la toile, et les commentaires vindicatifs de leurs barbouzes), mais il ne fera que fomenter la haine contre lui, reporter l’explosion de la haine populaire, fructifier les germes déjà semées d’un futur printemps.
Le printemps arabe est révolu ; le printemps marocain ne fait que commencer. Il ne tient qu’à nous de l’arroser avec de l’eau en instaurant une vraie démocratie, en répartissant les richesses du pays de façon équitable, en assurant aux Marocains la justice et la dignité, ou avec du sang en continuant à les considérer comme des sujets corvéables à souhait, à les paupériser, à les mépriser, à les terroriser dès qu’ils réclament un peu de droit… bref, à les gouverner avec cette mentalité moyenâgeuse qu’on appelle le Makhzen.
Be the first to comment