Khadija Mohsen Finan s’adresse à la DGED pour la publication d’un article très critique envers le Makhzen

Moins d’une semaine après le discours royal annonçant la nouvelle consitution (17 juin 2011), Khadija Mohsen-Finan, se met en contact avec Abdelmalek Alaoui, responsable de Global Partners Intelligence, un des bureaux de la DGED spécialisé dans le contrôle des médias.

Mme Finan voulait publier un article très critique sur la pseudo-réforme constitutionnelle proposé par le Makhzen.
En toute évidence, son article a été rejeté. Cependant il ya lieu de se demander quelle est la relation entre Mme Finan et cet agent de la DGED.

Voici le texte intégral de son écrit:

« L’exception marocaine » dans la tournante révolutionnaire
  Lorsque les révoltes secouaient le monde arabe en cet hiver 2011, la classe politique marocaine ne s’est pas sentie concernée par le vent de liberté qui a soufflé sur l’ensemble de la région. Elle  a mis en avant le caractère particulier de son système et les réformes qui ont été engagées depuis les années 1990.
Deux éléments essentiels seraient  au fondement de cette « exception marocaine » censée mettre le régime à l’abri des turbulences révolutionnaires : la légitimité dynastique du monarque qui est toujours reconnue et les réformes engagées par Hassan II et poursuivies par Mohamed VI pour tourner la page de l’autoritarisme.
En succédant à son père en juillet 1999, celui qui avait été surnommé le « roi des pauvres », s’est inscrit d’emblée dans la continuité des réformes initiées par Hassan II. Le champ politique est reconfiguré, la monarchie y intègre une opposition socialiste longtemps boudée et les islamistes du parti de la Justice et du Développement (PJD) profitent de l’ouverture politique pour se faire accepter.
Ce régime d’ « alternance »permettait d’assurer la rotation des élites tout en légitimant le pouvoir monarchique  en lui donnant, par un  toilettage « modernisateur », l’aspect d’une monarchie constitutionnelle.
Pour autant, l’ambiguïté n’était pas levée sur le rôle précis du monarque et du gouvernement face à des dossiers essentiels. En réalité, l’association de l’opposition socialiste en mars 1998 n’avait pas privé le trône de son monopole politique et le roi conservait la gestion des principaux dossiers.
L’alternance a permis à Hassan II de redéfinir la fonction monarchique en réaffirmant son rôle de pièce maîtresse dans un jeu politique dont il continuait de définir les règles et au sein duquel il arbitrait les conflits entre acteurs politiques rivaux. Les consensus de façade qui avaient permis l’adoption de la réforme constitutionnelle de 1996 montraient que le roi demeurait bien la seule source du pouvoir dans le pays. Les partis politiques traditionnels avaient alors recentré leurs revendications sur les garanties juridiques et institutionnelles dans le déroulement des consultations électorales, s’attachant davantage aux procédures qu’aux programmes politiques.
Mohamed VI s’est inscrit dans la continuité de cette ouverture qu’il a  essaye de prolonger en lui donnant les aspects d’une transition politique. Dans son essence, comme dans sa méthode, l’alternance survivait à Hassan II.
 Une presse indépendante a vu le jour à la fin des années 1990, portée par des acteurs désireux de rompre avec les anciennes pratiques journalistiques. Petit à petit un espace public s’est mis en place.
Mais progressivement, au cours des années 2000,  les libertés des années précédentes se sont rétrécies, au nom des lignes rouges qui ne doivent jamais être franchies : monarchie, islam et intégrité territoriale.
D’autres mesures ont été prises, allant dans le sens affiché par la monarchie d’une plus grande modernité politique comme la réforme du statut personnel Moudawana ou encore la mise en place de l’ Instance Equité et réconciliation (IER). Dans tous les cas, il s’agissait d’abord de renouveler le pacte entre gouvernants et gouvernés et de construire un consensus autour d’une question.
En 2004, la création de l’IER en est l’illustration. Le pouvoir marocain s’était approprié un travail sur la mémoire des « années de plomb », à froid, sans qu’aucune crise ne l’ait suscitée. En général, ce sont les situations de transition politique qui donnent lieu à la création de telles commissions dont le but, entre autres, est de consolider le processus d’ouverture politique. Le recours à ce genre de procédés a donc lieu après une guerre civile, une longue période d’oppression ou la chute d’un régime dictatorial pour aller vers un Etat de droit. Au Maroc, cette rupture ne s’est pas produite. Ce travail sur l’histoire, sur un passé avec lequel on a  souhaité réconcilier les citoyens s’est fait à l’initiative et sous le contrôle étroit du palais.
Pourtant, cette histoire réécrite dans les années 2000 est bien celle du système politique, qui décide lui-même de bâtir une cause nationale axée sur la réparation matérielle et morale de l’injustice causée. Contrairement à d’autres opérations de réconciliation qui se sont inscrites dans le cadre des politiques d’après-violences qui ont accompagné des transitions démocratiques, dans le cas du Maroc, il ne fut question ni de vérité ni de justice, mais seulement de réparations.
 Pour Rabat, ce travail de mémoire permettait de corriger les abus du système politique sans toucher à ses normes ni à ses fondements, puisque le roi, pièce centrale de l’autoritarisme de ces années, incarne aussi l’ouverture des années 1990 et des années 2000.
Cette question se pose à nouveau aujourd’hui avec la réforme de la Constitution. En effet, avant même d’en évaluer le contenu, la démarche  semble d’abord poser problème au niveau de la forme.
Nous sommes bien devant une monarchie qui « offre » des réformes, qui initie le changement, qui met en place l’alternance. Bref qui décide du moment, de l’aspect à donner, et du contenu de ces réformes octroyées. Elle intervient même sur la réponse qu’elle souhaite obtenir par le biais de la consultation référendaire. A la fin de son discours du 17juin, Mohamed VI n’a-t-il pas martelé le OUI avec lequel il allait lui-même se prononcer ?
Le roi se pose ainsi tantôt en roi-citoyen, en  citoyen votant, en roi réformateur offrant une « réduction « de ses propres prérogatives dans la cadre d’une ouverture politique initiée par son propre père et à laquelle il adhère totalement, bien qu’imparfaitement, puisque les libertés se réduisent.
Cette confusion des rôles a longtemps était mise sur le compte du particularisme marocain, occultant quelque peu le contenu même des réformes et leur application. Aujourd’hui, alors que beaucoup se félicitent de cette « révolution tranquille », il serait bon de nous interroger sur cette avancée que l’on dit sans précédent.
Le 20 février dernier, l’onde de choc des révolutions tunisienne et égyptienne atteint le Maroc où de très nombreux manifestants exigent des changements politiques profonds et la fin de la corruption. Mohamed VI se montre à l’écoute et annonce le 9mars une « réforme constitutionnelle globale »  préparée dans le cadre d’une commission ad hoc, pour être soumise au peuple le 1er juillet.
Le projet a pour objectif essentiel de rééquilibrer le partage du pouvoir au sein de l’exécutif. Pour cela, les prérogatives du roi doivent être limitées au profit du Parlement et du gouvernement, avec la désignation du Premier ministre au sein du parti ayant remporté les élections législatives.
Le 17juin, dans un discours fleuve, le roi expose les grandes lignes de la nouvelle Constitution qui  représente, dit-il « un tournant historique et déterminant dans le processus de parachèvement de la construction de l’Etat de droit et des institutions démocratiques ».
Le ton est ainsi donné, et le monarque rappelle également que ce processus ne correspond pas à un octroi par la monarchie mais a bien été élaboré « en parfaite communion avec toutes les forces vives de la Nation ». Il s’agit donc bien, comme par le passé, d’un consensus renouvelé et d’un nouveau pacte entre le trône et le peuple qui laissent à la marge tous ceux qui n’y adhèrent pas.
Au niveau des prérogatives du roi, il est difficile de croire que son pouvoir soit réduit, celui-ci n’est plus constitutionnellement définit dans un article, il est dilué dans toutes les dispositions. Pour assurer la stabilité du régime, il s’assure un large domaine réservé, assurant des missions régaliennes en tant qu’arbitre et garant.
Au plan religieux, fait surprenant, le Conseil des Oulémas est désormais inscrit dans la Constitution.  Quant au roi, il conserve son titre de Commandeur des croyants et reste la première autorité religieuse du pays. Sa personne est inviolable, même si la notion de sacralité est remplacée par celle de respect qui lui est dû.
Dans quelle mesure sommes-nous vraiment dans une diminution de son rôle et comment évoquer le cheminement tant salué vers une monarchie constitutionnelle ?
Certes le pouvoir du Premier ministre est plus important, mais ce changement ne correspond à une véritable avancée que si les élections sont conduites dans la transparence et la compétition politique, ce qui n’était pas réellement le cas jusqu’ici.
Au delà du fonctionnement des institutions et du rôle du roi, la nouvelle Constitution inscrit des changements qui viennent consolider des réformes engagées, comme celle de la Moudawana mais dont l’application demeure très mystérieuse, comme l’égalité de l’homme et de la femme pour ce qui concerne les droits civils.
En réalité, compte tenu du rôle central du monarque, des zones d’ombre et de la difficulté de mettre en application certaines mesures peut-on réellement parler d’équilibre des pouvoirs et saluer un texte qui validerait l’aspect démocratique de cette monarchie, mettant en avant son caractère constitutionnel ?
A l’aune de ce que nous avons vécu dans le monde arabe, les manifestants marocains peuvent-ils se satisfaire d’annonces peu précises et présentées comme le parachèvement d’un processus démocratique engagé de longue date ?
Dans sa forme comme dans son contenu, la réforme constitutionnelle proposée s’inscrit dans l’ouverture octroyée par la monarchie, une ouverture dosée et contrôlée. Mais si dans les années 1990, cette ouverture paraissait enviable dans un monde arabe immobile, elle paraît aujourd’hui bien en deçà des exigences d’une rue qui a compris que les libertés et l’Etat de droit s’arrachent dans une négociation entre une société civile, aujourd’hui très puissante, et un pouvoir qui peine à donner un souffle nouveau à un mode de gouvernance vieilli et décalé dans le contexte arabe.
Khadija Mohsen-Finan
Politologue. Université de Paris VIII

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