Aujourd’hui, le situation du mouvement populaire et pacifique rifain ne varie pas. C’est le statut quo ante qui prédomine. Rien ne bouge. C’est l’impasse. Cela oblige plus que jamais les soutiens au mouvement rifain de se réinventer.
Dans la province d’Al Hoceima, le siège militaire, sécuritaire et policier est toujours d’actualité. Tout est sous contrôle. Tout est bouclé. La surveillance de tout le monde est de mise. Le pouvoir continue de sévir en toute impunité. Pire, le pouvoir est en train de , d’une part, tuer la vie à petit feu, forcer à l’exil la fine fleur de la population et de l’autre, sinistrer toute l’économie de la région. Autant dire, et c’est le sens que je peux donner à ces indices : Un nettoyage ethnique graduel, insidieux, systématique et programmé est à l’œuvre. Décidément, rien ne semble empêcher le pouvoir de poursuivre son œuvre.
Objectivement, dans le RIF, le mouvement n’est plus à l’œuvre, pour ne pas dire qu’il n’existe plus, vraisemblablement, il couve toujours. En ce moment, la province d’Al Hoceima connait une accalmie. Les manifestations sont quasi nulles. En revanche, les causes qui ont déclenché le mouvement sont toujours là. Ceux qui animent cette actualité, sont, d’une part, les détenus politiques, de l’intérieur de leurs lieux d’incarcérations, et d’autre part, les communications régulières traitant du déroulement des procès en appel et les spéculations sur leur issue, et enfin, les actions de soutien de la diaspora. Par ailleurs, les réseaux sociaux se révèlent des outils indispensables d’activisme, et de socialisation. Ils sont investis massivement comme un espace public (Opinion publique, médias) où se tiennent publiquement des échanges citoyens, plus ou moins rationalisés, car non productifs, interminables et nuisibles parfois. Ce n’est pas une zone de non-droit, pour autant, il y a des risques de représailles du pouvoir qui peut réagir en poursuivant les auteurs de certaines publications déplaisantes. Cela représente, tout de même, un avantage de taille. La Toile est une source abondante de connaissances et de révélations, où beaucoup y prennent s’informer sur le terrain.
Le terrain physique, quant à lui, est désinvesti, de crainte de rafles et d’arrestations abusives. Le droit fondamental, les libertés politiques constitutionnelles sont confisquées et le droit international est violé. Le déni est total. Une sorte d’ »apartheid » qui ne dit pas son nom. Comme tout le monde le sait, tout cela est prémédité. La mobilisation à l’international, quant à elle, ne faiblit pas
Dans ce faisceau d’éléments, on discerne les signes d’un désir du pouvoir en place de laisser pourrir la situation en jouant la montre. Le pouvoir détient le monopole de la violence physique légitime. Ses agents sont autorisés à commettre les dépassements de toutes nature, et en toute impunité, et ce au nom de la sécurité et sûreté de la société. Les rifains sont ainsi accusés de vouloir renverser l’ordre dont il se dit le garant, d’où la sanction de leur insoumission. Dès le départ, sa réaction a été autoritaire et constamment dans la négation. Il me semble qu’il ne changera pas de sitôt. C’est délibéré, prémédité, et s’inscrit dans une stratégie savamment élaborée par les sécuritaires haut gradés du régime, et validée par la hiérarchie étatique. A rappeler que le roi est le dirigeant effectif du pays, loin de camper la fonction symbolique ou cérémonielle qu’on lui prête. En bref, le rapport de forces est en sa faveur et il reste maitre du jeu.
Le mouvement, quant à, doit réaménager sa stratégie militante car le modèle qu’elle a adopte jusque-là, a atteint ses limites. A présent, ce statu quo et cette impasse ne font que s’éterniser, d’où la nécessité d’examiner cette configuration, et de construire un projet et des choix stratégiques. Dans ce sens, il faudra tâcher d’élever ce combat au lieu de le rétrograder.
Pour que le mouvement et ses soutiens se maintiennent debout, il y a urgence à du sang neuf, revaloriser le combat et repousser ses horizons. C’est vital. Certes, le mouvement rifain est inépuisable, cependant il faudra penser à amorcer un nouveau tournant et un nouveau palier de nouvelles revendications. Plus concrètement, il faudra penser à remettre d’autres options au centre de l’agenda, élargir les perspectives et le répertoire d’actions. Si mouvement il y a, il doit être durable, il doit être motivé par une transformation globale du contexte rifain actuel, faute de cela, on risque d’esquiver l’essentiel.
Par ailleurs, la logique de la compromission du sort des détenus politiques rifains, entretenue et martelée pendant à ce jour, se révèle une tactique fantaisiste, infondée, dénuée de base logique et rationnelle. Elle a servi pendant longtemps, pour certains, à neutraliser tout débat de fond et pour écarter les tenants des thèses dites « radicales » ou « extrémistes ». En effet, à un certain stade du processus du mouvement, certaines voix ont décrété que toute « radicalisation » du mouvement exposerait les détenus à des difficultés dans leur procès, les pénalisait, et alourdirait leurs peines. Mais ce que nous ignorons est que le sort des détenus et leur procès a été ficelé et scellé en amont..
Ce que nous devons garder à l’esprit
Ne jamais renoncer, ne jamais désespérer. La cause rifaine est juste. Le mouvement | HIRAK est une dynamique sociale et politique, tout à fait normale et intervient dans la logique des choses.
Le désenchantement du peuple rifain et le malaise sont réels, et il faudrait le reformuler correctement. Assez de tergiversations, d’irrésolution et d’indécision
Il y a une vraie nécessité de changements structurels pour répondre à de nombreux périls qui nous guettent
Le pouvoir marocain est illégitime, son contentieux avec le RIF est séculaire, il n’est pas inédit ; et n’est qu’un prolongement de l’Histoire
La justice marocaine est une justice aux ordres, soumise à l’exécutif. C’est le palais, le cabinet du roi, qui détient l’essentiel du pouvoir et qui controle le sort des détenus
On n’est jamais mieux servis que par soi-même. Il faudra réhabiliter le principe de « l’auto organisation » des masses à travers les comités populaires et des assemblées pour réaliser les objectifs en vue.
Les corps intermédiaires en présence, dont les partis politiques marocains, sont faussés et impuissants. Ils sont animés par l’unique volonté de conquérir et d’exercer le pouvoir ( Le but naturel de tout parti politique).
Cela dit, ils sont indispensables dans toute société. Il faudra penser à une stratégie pour développer ces institutions.
Quelques recommandations fondées sur une synthèse des observations
Quel qu’en soit les circonstances, l’attitude de la militance rifaine et leurs amis , doit rester immuable :
Préserver le principe unificateur de l’action du mouvement : Le RIF au-dessus de toutes considérations.
Faire primer le bien commun sur les intérêts personnels
Continuer à agir pour obtenir la reconnaissance internationale, à exiger une enquête internationale indépendante. Chercher des mesures effectives.
Agir pour mettre un terme à toute coopération entre l’union européenne et le Maroc. L’Europe contribue substantiellement à financer l’oppression des rifains
Articuler la réflexion sur le temps court et le temps long
Assainir le mouvement et promouvoir les bonnes pratiques. Poursuivre son combat quitte à coexister avec les « parasites ». Si la majorité décide de bannir cette minorité agissante, elle sera exclue et isolée de fait. C’est regrettable mais ce passage est nécessaire. Nous sommes en présence d’intérêts divergents. Par ailleurs, ces « trolls » frustrés du monde, ces esprits tristes, englués dans l’invective permanente, avec pour objectif de jouer les coqs, de mettre le bazar dans cet effort d’ordre et d’organisation, seront jugés par l’Histoire.
Chercher un socle commun, rapprocher les points de vue, et trouver une convergence sur les questions essentielles, et une coopération minimale.
Définir les principes élémentaires de la vie publique et la vie politique rifaine pour renforcer la démocratie interne des institutions, des individus et accroître leur crédibilité aux yeux du public
Respecter le pluralisme. Que les forces qui veulent s’organiser indépendamment, le fassent en toute liberté. Le mouvement rassemble des profils divers, des polarités différentes, et des rifains de tous bords politiques. Cela ne fragilise en aucun cas le mouvement, tout au contraire, cela le renforce.
Promouvoir des principes démocratiques : l’égalité, le dialogue, la coopération et la transparence.
Améliorer la maitrise de la communication politique. Apprendre à communiquer correctement et fidèlement sur le mouvement et répandre ses idées vers un public plus large
Dégager une conception de ce que l’on veut, et prendre des engagements clairs.
Aller en rang dispersé, nous ferait perdre non seulement en efficacité, mais surtout, nous perdrons la force de frappe que représente Notre rassemblement.
Enfin, j’attire l’attention sur les effets de la délocalisation du combat à mener, du RIF vers la diaspora.
Le mouvement n’a cessé d’évoluer et d’agréger de nombreuses revendications.
Si la revendication intiale était de faire toute la lumière dans l’assassinat du Mohcine FIKRI, il y a eu par la suite un ensemble de revendications qui se sont greffés à la premiere dont la levée du dahir qui remonte à 1958 et décrète la province d’al Hoceima une zone militaire, et d’autres revendications socio-économiques et culturelles : une infrastructure hospitalière, dont un hôpital oncologique, une université, la lutte contre la corruption, le développement de la région , la lutte contre l’expropriation des terres etc… Après les arrestations des manifestants, les revendications ont été déviées vers la réclamation de la libération immédiate et inconditionnelle des détenus politiques rifains.
Aujourd’hui on en est à dénoncer et à condamner les mauvais traitements des détenus politiques rifains, c’est là qu’une déviation s’opère, on détourne le sens du mouvement, on rétrograde le combat pour focaliser sur des détails au lieu de pointer toute la structure. Ces mauvais traitements sont consubstantiels à l’Etat makhzenien. Un état de non droit. Derrière les interrogations de ces aspects des choses, se cache un problème politique très important : celui de la définition de l’Etat.
Le fait diasporique rifain a besoin d’être institutionnalisé
L’actualité nous persuade définitivement que l’organisation des de la diaspora rifaine en un modèle institutionnel général, et en un corps politique viable, et plus ou moins élaboré. Il doit constituer notre principal atout. Après des décennies de tâtonnements, il est temps d’avoir une approche globale du fait diasporique rifain et mettre en place des institutions, à la fois pour :
Défendre ses intérêt
Sauvegarder la langue et la culture rifaine
Contribuer à une meilleure intégration des rifains dans leur pays d’accueil.
Gagner en capacité d’influence, pour négocier, séduire et convaincre
Pour ce faire, rien n’est plus simple que d’exploiter et mettre en œuvre des connaissances portant sur la structuration de l’identité rifaine à l’étranger.
Les institutions auront pour mission de réguler les pratiques des groupes issus de la diaspora rifaine en contexte européen, dont le rôle sera de défendre ses valeurs, ses objectifs, ses intérêts, et ceux de ses citoyens. Elles fonctionneront en étroite collaboration avec les gouvernements et les administrations locales.
Une Assemblée populaire, démocratique et représentative des Rifains Expatriés (RE)
Des ONG de défense des droits humains pour faire connaître à l’opinion occidentale le sort des rifains, celles qui doivent agir dans l’humanitaire, des actions d’aide et de développement, et des associations diverses.
Des médias d’information de qualité pour relayer un AUTRE regard sur le RIF
Un festival annuel pour promouvoir l’art et la culture rifaine
Une cellule d’Information, de documentation et de promotion de la culture rifaine visant à donner un nouvel essor à la langue écrite, à la littérature et à la musique
Promouvoir un réseau d’entrepreneurs et d’investisseurs pour explorer le potentiel économique et de développement dans le RIF
Mieux canaliser les retombées des transferts d’argents des migrants rifains vers le RIF et les mobiliser pour financer l’économie du RIF. Cela passe par la mise en place d’une banque d’investissement de la diaspora.
Travailler sur un projet d’Institut de la statistique et des études économiques et démographiques avec pour mission de collecter, produire, analyser et diffuser des données sur la diaspora rifaine.
La méthodologie qui sera adoptée au sein de ces institutions, est celle des règles de la démocratie élémentaire. Ces institutions vont agir comme un ensemble d’éléments en interaction, regroupés au sein d’une structure pilote ayant un système de communication pour faciliter la circulation de l’information, dans le but de répondre à des besoins et d’atteindre des objectifs spécifiques.
Source : Blog de Rachid Oufkir, 8 mars 2019
Tags : Maroc, Rif, Hirak, répression, diaspora,