Le 27 février était le 42e anniversaire de la déclaration d’indépendance du Sahara occidental d’avec l’Espagne. Bien que, pour le moment, il n’y ait pas d’indépendance à célébrer pour la majeure partie du territoire qui reste sous occupation marocaine, un petit triomphe pouvait être ressenti dans les camps de réfugiés sahraouis en Algérie, où réside la majorité de la population.
Le même jour, une décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a été rendue en faveur de la décolonisation. Pour être plus précis, la décision concerne un accord entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc réglementant l’accès de l’industrie de la pêche européenne aux eaux marocaines.
Ce soi-disant accord de partenariat dans le secteur de la pêche est en place depuis 2006 et expirera en juillet 2018, tandis qu’un processus de renouvellement est en cours. La décision de la CJUE indique clairement que tout accord de ce type avec le Maroc ne pourra inclure les eaux au large du Sahara Occidental, sur lesquelles le Maroc revendique la souveraineté.
Le problème
La déclaration était anticipée, cohérente avec les décisions précédentes et peu controversée d’un point de vue juridique international. Cependant, ce n’est que le dernier développement d’un conflit entre différentes branches de la gouvernance de l’UE concernant le commerce de l’Union avec le Maroc. La controverse portant évidemment sur l’occupation par le Maroc du Sahara occidental, que l’ONU considère comme un “territoire non autonome“.
Cela concerne actuellement deux négociations distinctes que la commission européenne et le Maroc auront au printemps 2018 : l’ accord de partenariat dans le secteur de la pêche qui autorise les navires européens à pêcher dans les eaux marocaines, et un accord commercial concernant les produits agricoles et de la pêche [fr]. L’accord de pêche expirera en juillet et l’accord commercial en avril.
Bien que la CJUE ait clairement annulé en 2016 [fr] tout accord bilatéral avec le Maroc en ce qui concerne les territoires occupés, la commission commerciale de l’UE semble avoir insisté sur le renouvellement des accords en en concluant un nouveau avec le Maroc en janvier 2018. Une surprise qui a suscité des condamnations de la part du gouvernement en exil du Sahara occidental, des groupes militants, ainsi que du Parlement européen.
La semaine dernière, des parlementaires de l’UE ont adressé à leurs collègues une déclaration disant qu’ils étaient :
« … inquiets de la façon dont la Commission gère le processus, du manque de transparence et des possibilités de contrôle pour les députés européens, et des tentatives de la Commission de contourner l’arrêt de la Cour de justice de décembre 2016 ».
L’un des signataires est Jytte Guteland, membre du groupe parlementaire social-démocrate qui figurait l’an dernier dans un groupe d’eurodéputés européens déclarés persona non grata par les autorités marocaines alors qu’ils essayaient d’entrer au Sahara occidental.
Sur la conduite de la commission commerciale, elle exprime des inquiétudes qui vont au-delà de ce cas particulier. Parlant à Global Voices, Guteland a noté que les actions de la commission étaient inquiétantes.
« La façon dont la commission a traité la première décision de justice [2016] m’a beaucoup inquiétée. Ils ont choisi de négocier un nouvel accord commercial incluant le Sahara Occidental malgré la décision de la Cour. À une époque où le principe de l’état de droit est constamment remis en question, il s’agit d’une question de crédibilité de l’UE. L’UE doit respecter ses propres décisions et le droit international ».
Dans une lettre ouverte de protestation, 89 organisations de la société civile sahraouies ont déclaré :
« Le peuple sahraoui ne bénéficie pas, économiquement ou autrement, de l’exploitation illégale de ses ressources naturelles et du commerce avec l’Union européenne ; le consentement du peuple sahraoui n’a pas non plus été recherché de manière crédible. Tous les gains économiques et le développement résultant de l’exploitation de nos ressources naturelles et de leur commerce illégal avec l’UE sont distribués de manière sélective dans le seul but de renforcer l’occupation illégale du Maroc et de discriminer systématiquement davantage le peuple sahraoui qu’il occupe ».
En tant que territoire non autonome, le droit international exige que le peuple du Sahara occidental ait son mot à dire dans toute activité économique qui se déroule dans le territoire et que cela lui soit bénéfique. Pour compliquer davantage la question, la majorité de la population dans les territoires occupés se compose aujourd’hui de colons marocains, tandis que la majorité du peuple sahraoui est exilé du Sahara occidental, vivant principalement dans les camps de réfugiés de l’Algérie voisine. C’est à partir de ces camps que fonctionne le Front Polisario [fr], reconnu internationalement.
Dans la même lettre de protestation, les groupes de la société civile accusent la commission d’essayer de contourner la loi au moyen d’un subtil changement de terminologie.
« Nous constatons également avec frustration que la Commission remplace la terminologie délibérée du “peuple sahraoui” par “population”. Ces concepts sont fondamentalement différents. Consulter les organisations marocaines, les parlementaires et les entreprises au sujet du Sahara occidental ne peut jamais remplacer le consentement du peuple sahraoui ».
Dans une dénonciation similaire, le réseau de surveillance international Western Sahara Resource Watch (WSRW) a rejeté une demande de consultation par la commission.
« D’après ce que nous comprenons, les négociations avec le gouvernement du Maroc sont maintenant terminées et le texte convenu a été paraphé. Le gouvernement du Maroc ne représente pas les gens du territoire. Il est clair qu’aucun consentement n’a été reçu, comme la Cour l’exigeait. Nous ne voyons pas l’intérêt d’une consultation sur un accord qui ne serait pas approuvé par les habitants du territoire ».
En réponse à la décision de mardi, le Front Polisario a annoncé qu’il était prêt à poursuivre les négociations avec l’UE sur l’accès aux eaux qui ne sont pas autorisées à être incluses dans l’actuel accord de pêche avec le Maroc. Selon Guteland:
« Ce serait plus légalement justifié puisque l’ONU considère le Polisario comme le représentant du Sahara occidental. Pour continuer à établir un accord avec le peuple, la société civile sahraouie doit également être consultée ».
Eaux encore poissonneuses
En tant que principal partenaire commercial, l’économie marocaine dépend fortement de l’UE pour ses exportations . Dans le même temps, de nombreux États membres européens font face à des pressions internes et à un fort lobbying de la part de leurs industries de pêche respectives pour avoir accès aux ressources du Sahara occidental.
https://fr.globalvoices.org/2018/03/07/222353/Le stock de poissons et de créatures marines s’épuisant rapidement dans tous les océans du monde, l’importance des eaux territoriales du Sahara occidental dans l’Atlantique devrait augmenter. Aujourd’hui, ces eaux sont considérées comme les plus riches de tout le continent africain et, en raison de l’occupation, le Maroc se place au premier rang des exportateurs de poisson et de fruits de mer du continent. Les chiffres officiels suggèrent qu’environ 70% de la totalité des captures marocaines sont débarquées dans les ports du Sahara occidental alors que près de la moitié des captures restantes vont à Tan-Tan [fr] et à Agadir [fr] à proximité des territoires occupés. On estime que les navires étrangers dans ces eaux capturent plus de 90% de leurs prises dans les eaux du Sahara occidental.
https://fr.globalvoices.org/2018/03/07/222353/La plupart de ce poisson ne finira pas directement dans votre assiette mais est plutôt la première étape d’une chaîne de production. Au Maroc et ailleurs, le poisson est transformé en tourteau ou en huile qui, à leur tour, sont exportés ailleurs sous forme de fourrage pour les industries de la viande et les fermes aquacoles. De même, le secteur principal de l’économie du Sahara occidental est l’exploitation de la roche phosphatée, une ressource dont le Maroc est déjà le premier exportateur mondial. Le phosphate est le principal composant des engrais synthétiques dont dépend l’activité agricole mondiale. En tant que tel, le Sahara occidental, souvent appelé la dernière colonie d’Afrique, est un territoire très important pour l’approvisionnement alimentaire mondial.
L’accord commercial entre l’UE et le Maroc concernant les produits de la pêche et de l’agriculture est, dans sa forme actuelle, un élément important de la transformation de l’occupation marocaine du Sahara Occidental en une zone rentable.
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