Le succès de la mobilisation populaire contre le cinquième mandat est indéniable. Le mur de la peur est brisé depuis le 22 février et le mouvement s’inscrit maintenant dans la durée et parvient à préserver son caractère pacifique. Le soulèvement est impressionnant d’organisation et de détermination, certains parlent d’un deuxième 1er novembre ou de renaissance de la nation algérienne, mais la bataille n’est pas encore gagnée. Encore moins « la guerre ».
Pour la rue et l’opposition qui, en plus du renoncement de Bouteflika à sa candidature, réclament le départ de tout le système, beaucoup reste à faire. Le premier défi c’est d’amener le président ou ceux qui agissent en son nom à retirer cette candidature surréaliste, condition sine qua non pour apaiser les esprits et réfléchir à la suite dans la sérénité.
Pour le moment, et en dépit des démonstrations de force organisées trois vendredi de suite, le pouvoir ne montre aucun signe de fléchissement sur ce point. Dans quatre jours, le 13 mars, le Conseil constitutionnel devra dévoiler les candidatures retenues et rien n’indique que celle qui a fait sortir les Algériens dans la rue n’en fera pas partie. Néanmoins, cela ne signifie pas qu’il ne subsiste aucune chance de voir Bouteflika amené à céder par une forme ou une autre. Renoncement de son plein gré, sur pression de l’armée ou de son entourage, par l’invalidation de sa candidature ou simplement par l’application de l’article 102 de la Constitution qui prévoit l’état d’empêchement du chef de l’Etat, par quelque moyen qu’il adviendrait, le retrait du président constituera une grande victoire pour la mobilisation populaire mais sonnera aussi le début des choses sérieuses.
L’enjeu sera ensuite de peser sur la transition qui s’ensuivra de fait. Laisser le système gérer la transition à sa guise c’est lui offrir toutes les chances de se régénérer et de se maintenir. Bouteflika est âgé, gravement malade et plus que jamais impopulaire. Ce n’est pas tant son maintien que le souci de lui survivre qui importe aujourd’hui à son proche entourage et à toutes les factions du régime.
Pour le système, l’idée est simple : provoquer une période de transition, le temps de régler en douce la succession. En interne, bien entendu.
L’automne dernier déjà, on a tenté de vendre l’idée d’une conférence nationale qui devait déboucher sur le report du scrutin en contrepartie de profondes réformes. L’opposition n’a pas mordu et c’est ce sursaut qui a contraint le pouvoir à cette option désastreuse pour lui de cinquième mandat.
En réitérant, le jour même du dépôt de la candidature de Bouteflika, la même offre de conférence et de réformes pour après la présidentielle, le pouvoir n’a pas eu plus de succès. Il s’agira pour l’opposition de garder le cap et de s’imposer comme acteur clé de la transition. L’enjeu est crucial.
Laisser le pouvoir actuel décider de son propre destin, c’est prendre le risque de passer à côté d’une opportunité historique. L’opposition, forte de la mobilisation populaire qui ne faiblit pas, peut bien s’ériger en chef d’orchestre dans l’étape à venir pour peu que ne remontent pas à la surface ses contradictions, ses clivages et les excès d’égo de ses chefs qui ont fait le bonheur du pouvoir des décennies durant.
La classe politique n’a pas d’autre choix que de s’entendre sur un minimum syndical, soit une feuille de route aux contours clairs et la composante humaine qui aura à mener la transition. Donner un contenu politique aux manifestations est de sa responsabilité.
Pour la rue aussi, le renoncement de Bouteflika, encore une fois s’il se concrétise, ne signifiera pas la fin de sa mission. Elle sera appelée à maintenir la mobilisation si le pouvoir se laisse tenter par l’idée d’imposer un successeur par un coup de force ou une manœuvre. Il lui appartiendra aussi de rester vigilante pour que les marches, jusque-là calmes, ne dérapent pas et de réfléchir éventuellement à d’autres formes de lutte pacifique, sans verser dans les excès, comme ces appels à la grève générale et à la désobéissance civile qui feront les affaires du pouvoir.
Les choses sérieuses ne font peut-être que commencer pour tout le monde. Le pouvoir n’a pas dit son dernier mot et se serait une erreur de prendre son silence pour une capitulation.
L’Est Républicain, 11 mars 2019
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